SENTV.info : Hosni Moubarak est mort ce mardi 25 février au Caire. Un deuil national de trois jours a été décrété en Égypte à partir de ce mercredi. L’ancien président sera traité avec tous les honneurs d’un « héros de la nation ».
« Héros de la nation ». Voilà le terme utilisé par la présidence de la République et le commandement de l’armée dans leurs condoléances à la famille d’Hosni Moubarak. Prière et cérémonie officielle auront lieu à la mosquée du Maréchal Tantawi. Un lieu de culte d’où partent les obsèques militaires de tous les très hauts gradés de l’armée.
Des juristes avaient pourtant estimé que Moubarak n’avait pas le droit à de telles funérailles puisqu’il avait été définitivement condamné dans une affaire de corruption. Mais d’autres ont répondu par le texte d’une loi accordant un traitement exceptionnel aux « héros » de la guerre égypto-israélienne de 1973.
La population réagit
Au Caire, les réactions sont mitigées au sein de la population, entre les nostalgiques et les anciens révolutionnaires qui ont fait tomber Moubarak en janvier 2011, explique notre correspondante au Caire, Nadia Blétry.
Mostafa Mohamed est un chauffeur de taxi de 45 ans et il n’en revient toujours pas de la mort d’Hosni Moubarak. Il tourne le bouton de sa radio pour trouver une chaîne d’information : il n’a entendu nulle part qu’Hosni Moubarak, l’ancien chef d’État égyptien était mort. Pour lui c’est un choc : « Je suis triste. L’homme avait des qualités et des défauts mais franchement, je considère que ce n’est pas à nous de le critiquer. Ce n’était pas un homme mauvais. Maintenant, c’est dur. L’éducation coûte cher et même la vie quotidienne est chère. »
Une nostalgie que ne partage pas du tout ce trentenaire attablé dans un café à chicha du centre-ville, qui appartient à la génération Tahrir, celle qui a renversé le chef de l’État en 2011.
« Au début, confie-t-il, je ne me sentais pas concerné par le mort de Moubarak. Jusqu’au moment où j’ai commencé à comparer le temps de Moubarak et celui de Sissi aujourd’hui. Franchement, Sissi est pire en termes de liberté d’expression, de droits de l’homme, de situation économique. Mais à la fin, on sait tous que Sissi est juste un résultat de la période Moubarak. Donc c’est de la faute de l’ancien chef d’État et ça me fait le détester encore plus. »
La majorité des Égyptiens se sent elle sans doute davantage concernée par sa situation économique que par la mort de l’ancien président, alors que le pays s’est encore paupérisé ces cinq dernières années.
La répression sous Hosni Moubarak
Le raïs avait dirigé l’Égypte d’une main de fer pendant 30 ans. Il avait été chassé du pouvoir après la révolution de janvier 2011 et les manifestations gigantesques de la place Tahrir au Caire contre la corruption du régime et contre les violences de l’État. Des manifestations qu’il avait sévèrement réprimées. Il avait alors été lâché par l’armée et condamné à la prison à vie pour la mort de plus de 800 personnes, mais finalement acquitté.
Mohamed Lotfy dirige la Commission égyptienne pour les droits et la liberté. Il a vécu cette répression et selon lui, le régime actuel applique une répression encore plus sévère que sous Hosni Moubarak : « En pensant à Moubarak, on pense aussi à aujourd’hui. Et on se dit que malgré toute la brutalité et la dictature de Moubarak, le régime actuel qui continue à gouverner l’Égypte n’est pas moins brutal que le régime de Moubarak, si ce n’est pas encore plus brutal. Il y a encore beaucoup d’opposants derrière les barreaux. Beaucoup de personnes de différents mouvements des droits de l’homme sont encore arrêtées aujourd’hui. »
Pour Mohamed Lotfy, tout cela n’est que la continuité de ce que Moubarak avait établi en son temps. « Le régime actuel est une continuité d’un régime qui date de deux décennies en arrière, y compris la période de Moubarak : consolider cet État policier de Moubarak et le renforcer par des mesures encore plus brutales, encore plus violentes et répressives que sous Moubarak. Effectivement, on a continué dans cette même politique répressive, si ce n’est pas plus, que ce que Moubarak faisait. Beaucoup de gens prennent le risque : ils parlent et en paient le prix. J’en ai payé le prix, d’autres en ont payé le prix et on continue à en payer le prix. Mais c’est notre mission à nous. »
Musulman égyptien aujourd’hui exilé, Amr Darrag a connu la prison quand Hosni Moubarak était au pouvoir. Lui aussi estime que la situation s’est largement détériorée depuis que l’actuel président Abd Elfattah al Sissi est au pouvoir. Selon lui, « il y a une continuité entre la période Moubarak et la période Sissi. Mais la façon de faire est différente. Moubarak s’est montré assez intelligent pour tolérer certaines libertés, certaines opinions et une certaine liberté de la presse. Cela laissait un espace aux gens pour exprimer leurs opinions et faire entendre leurs voix. »
Amr Darrag reconnaît que la situation sous Moubarak avait des limites afin de ne menacer ni le président ni son régime. « C’est l’équilibre que Moubarak a très bien su maintenir. Mais Sissi est différent, sa politique c’est d’assurer le contrôle par l’élimination totale. Il a éliminé tous ceux qui représentaient la moindre opposition à son pouvoir. »
Le rendez-vous manqué avec l’Afrique
L’histoire de Hosni Moubarak a commencé par un attachement à l’Afrique avant même de devenir président. Anouar el-Sadate confiait à son vice-président Hosni Moubarak toutes les missions africaines. Durant 15 ans, le président égyptien était de toutes les grandes conférences et sommets africains. Une partie décisive des négociations qui aboutiront à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et à la libération de Nelson Mandella se déroule au Caire sous le patronage de Moubarak.
Mais en 1995, lors du sommet africain d’Addis Abeba, Moubarak a été victime d’un attentat dans la capitale éthiopienne. Depuis lors, le raïs a boudé les grandes réunions africaines, rappelle notre correspondant au Caire, Alexandre Buccianti. Toutes sauf la Coupe d’Afrique des Nations. Sous sa présidence, l’Égypte a remporté cinq fois le prestigieux championnat et toujours pas après son départ.
Les relations tendues avec les pays voisins
L’Égypte, grand pays d’Afrique, s’est détournée du continent pendant longtemps en faveur des relations avec les pays du Moyen-Orient, en particulier sous l’ère Moubarak. Robert Solé, écrivain et journaliste spécialiste du pays, rappelle que les relations ont d’ailleurs été tendues pendant sa présidence à l’Ouest avec la Libye de Mouammar Kadhafi, au Sud avec les conflits au Soudan, et jusqu’en Éthiopie qui construit le grand barrage Renaissance sur le Nil et qui menace l’approvisionnement en eau de l’Égypte.
« L’Égypte a deux frontières qui font chacune 1 200 kilomètres et qui la perturbent considérablement. C’est le Soudan au Sud et à l’Ouest, c’est la Libye. Moubarak a eu des ennuis avec Kadhafi et la Libye, et avec le Soudan. Alors il a essayé au Soudan de jouer un rôle quand même de médiateur entre les deux Soudan. Il avait besoin d’une stabilité sur son flanc sud, mais cela n’a pas été très loin. »
Quant au barrage Renaissance en Éthiopie, le problème est intervenu à la fin de la présidence Moubarak. « Il a vu se coaliser des pays riverains du Nil contre l’Égypte, poursuit Robert Solé. Le barrage a été une erreur de la part des Égyptiens. Ils ont essayé dans un premier temps de l’empêcher, ils n’ont pas réussi. Ils ont essayé de le retarder, cela n’a pas réussi non plus. Puis ils se sont aperçus que même le Soudan n’était plus du côté égyptien, que l’Éthiopie bénéficiait de nombreux soutiens. Là, ç’a été un gros échec de Moubarak dont hérite le président actuel. »
Hosni Moubarak vu par l’Occident
L’Occident a-t-il pendant trop longtemps fermé les yeux face à Hosni Moubarak ? Ce dictateur qui réprimait toute voix discordante dans son pays était considéré comme garant d’une certaine stabilité dans la région. Jean-Marc de la Sablière a été l’ambassadeur de France au Caire entre 1996 et 2000, une époque où la France, sous Jacques Chirac, entretenait une relation très étroite et cordiale avec l’Égypte. Pour ce diplomate chevronné, il faut bien faire la distinction entre la politique intérieure et extérieure de l’Égypte sous le règne du raïs Moubarak.
« En politique extérieure, il n’y avait que des hommages, souligne Jean-Marc de la Sablière. Rappelez-vous, c’était le sage, l’homme qui garantissait la paix. Il avait une relation très raisonnable avec Israël, et ça, c’est quelque chose qu’il est difficile de remettre en cause. Maintenant sur la situation intérieure, on a tendance aussi un peu à voir les choses en fonction de ce qui s’est passé en 2011. Le pilier du régime était l’armée et reste aujourd’hui l’armée. Il s’était développé à la fin une tendance également sécuritaire où il y avait pas mal d’excès de la police. On était passé d’une situation où il y avait non seulement une répression, un combat féroce contre les Frères musulmans, mais où en plus, dans la société, il y avait le sentiment que la police abusait vraiment. »
L’ancien diplomate français s’interroge néanmoins : « Est-ce qu’il appartient à l’Occident de distribuer des bons points ? Moi, je dis qu’il faut se méfier énormément des ingérences dans les affaires intérieures. »
RFI