À qui appartient la souveraineté au Sénégal : au peuple ou à ses guides ? (Par Diouldé Boiro)

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De prime abord, précisions qu’il ne s’agit point de discuter la réponse de la constitution qui sonne comme un principe intangible. La souveraineté comme dans toutes les républiques appartient au peuple.
Seulement une analyse de l’histoire politique et de l’organisation sociologique du pouvoir au Sénégal peut nous laisser dubitatif.
Des lors, la question prend tout son sens avec comme problématique : comment s’organise et se transfère le pouvoir politique au Sénégal ?

Pour répondre à cette question, nous devons faire appel à d’autres questions sous-jacentes : pourquoi y »a t-il cette prolifération de guides satellites qui captent le pouvoir souverain du peuple ?
La délégation de souveraineté est-elle une expression saine du jeu démocratique ?
Un président élu sur cette base peut-il avoir la légitimité et la puissance que lui confère la loi ?

Historiquement, l’Afrique est un continent sociologiquement hiérarchisée. En plus des castes sur le plan de la stratification, il y’a les ordres sur le plan de la gestion du pouvoir à caractère politique.
La société sénégalaise ne fait pas exception comme le démontre le livre d’Abdoulaye Bara Diop intitulé « Système des castes dans la société wolof ».

Cette organisation sociale a certes été déséquilibrée par la colonisation mais, elle n’a cependant jamais totalement disparue. Au contraire, elle a resurgi après la colonisation en prenant parfois de nouvelles formes. Le guide est devenu pour la plupart le marabout qui gère non seulement le spirituel, mais aussi dans une large mesure le temporel tant dans son aspect politique qu’économique. Envers Dieu comme envers le pouvoir politique, le marabout ou plus largement le guide est appelé à intercéder. Le sujet pourvoie la subsistance, l’économie et aussi la souveraineté au guide. La somme des efforts des sujets grandit le guide qui acquiert tel le Léviathan de Thomas Hobbes un pouvoir composite immense. En retour, le guide protège les sujets sans en être obligé. Par conséquent, le guide peut monnayer le pouvoir mis à sa disposition sans grand coup férir. Ainsi semble se constituer, fonctionner et se déléguer le souverain pouvoir sous nos cieux.

Est-ce une pratique saine pour le jeu démocratique qui stipule que la souveraineté part du peuple et revient au peuple ?

Il n’appartient pas à la science de juger comme le précise Djibril Samb dans son ouvrage intitulé interprétation des rêves dans la Sénégambie.

Toutefois, la science peut et même a le devoir d’analyser et d’expliquer le réel tel que l’enseigne Hegel dans « La Raison dans l’histoire ». Le fait en est que, fort de la conscience de ce mode d’existence et de fonctionnement du pouvoir souverain, les hommes politiques de tout bord, fréquentent et à la limite courtisent les guides fussent-ils des marabouts religieux. En s’affichant avec ces guides, les hommes politiques cherchent non seulement la bénédiction, mais aussi la visibilité, la crédibilité, les suffrages bref, le buzz pour parler vulgairement.

De leur côté, les guides fréquentés par les notoriétés politiques augmentent leur quotas, leur aura qui sont certes, d’abord, acquis auprès de Dieu, de leur science, de leur héritage mais aussi ensuite et surtout, de la fidélité de leurs sujets.

Le peuple quant à lui, devient de plus en plus enclin à la docilité, à la corveabilité. Pour couronner le tout, la société prend un malin plaisir à s’agripper autour de guides de fortune en les inventant là où ils n’existaient pas et en magnifiant à outrance des vestiges squelettiques d’actions, de miracles, de guides qui ne l’ont été que de nom. Chaque contrée érige son guide et en fait la promotion en exigeant sa reconnaissance par le pouvoir politique central. La souveraineté en principe propriété exclusive du peuple, devient finalement prisonnière du jeu des grands presque tel que celà se passe aux États-Unis d’Amérique où les grands électeurs peuvent l’emporter légalement mais, illégitimement sur le peuple.

De leur côté, les gouvernants politiques se confondent en largesses pour s’attirer la confiance des guides et par ricochet, les suffrages du peuple subordonné à ces guides. La démocratie, dans un tel labyrinthe, ressemble plus à un jeu de dupe qu’à une expression saine de la souveraineté. Du haut jusqu’au bas, l’administration gouvernementale est compromise car obligée de tenir compte en essayant d’y mettre de l’harmonie, les exigences contradictoires du peuple, des guides et du pouvoir central. Or comme le dit Freud en parlant de la vie du pauvre moi, nul ne peut obéir parfaitement à deux maîtres et encore moins à trois. Pourtant, aussi bien le pouvoir du guide que celui de l’édile politique appartient en entier au peuple. Seulement par ignorance, ce dernier finit par se méprendre à force de transactions frauduleuses de sa puissance souveraine. C’est à croire avec Machiavel que, le peuple est toujours et partout atteint d’une myopie anthropologique. Au fond, il sait ce qu’il ne veut pas, mais il ne sait pas ce qu’il veut,a pour transposer l’expression d’Eric weil.

Diouldé Boiro. Professeur de philosophie au lycée Demba Diop de Mbour
Membre du comité central du PIT/Sénégal.
boirogalo@gmail.com.

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