Questions autour de la liberté provisoire accordée à « Boughazelli »

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L’ancien député de l’Apr Seydina Fall «Boughazelli» a bénéficié d’une mise en liberté provisoire depuis mercredi dernier. Le Doyen des juges a répondu favorablement à la requête de ses avocats, avant même l’audition au fond de l’inculpé. Une pratique qui rendrait sa liberté provisoire suspecte… mais fondée en Droit. Avis d’experts.

«Boughazelli a un dossier médical qui ne permet pas sa présence en prison. Il souffre de diabète», avait plaidé Me El Hadji Diouf aux premières heures de l’arrestation de l’ancien député de l’Apr, Seydina Fall dit «Boughazelli», en novembre 2019. La maladie de son client était l’un de ses principaux arguments de défense pour lui éviter l’emprisonnement dans cette affaire de détention présumée de faux billets de banque d’un montant estimé à 46 millions FCfa. Une stratégie finalement payante, parce qu’elle a abouti à la mise en liberté provisoire de son client pour raison médicale, mercredi dernier, en milieu de journée. Une suite spectaculaire réservée à la demande de mise en liberté provisoire introduite quelques jours plus tôt par les conseils de l’homme politique et fidèle allié du président de la République Macky Sall.

Seulement, en matière de demande de mise en liberté provisoire, la pratique voudrait qu’aucune requête n’étant recevable avant toute audition au fond de l’inculpé. «D’habitude, c’est la pratique, explique un avocat. Chaque fois qu’une demande de mise en liberté provisoire est introduite pour un dossier en instruction, c’était systématiquement rejeté.» Et, selon les dires de ses propres conseils, Seydina Fall n’a pas toujours fait face au Doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande instance hors classe de Dakar qui l’avait inculpé et placé sous mandat de dépôt. Alors sa mise en liberté provisoire est-elle illégale ? C’est ce qui se disait… jusqu’à ce que des praticiens du Droit estiment que cette mise en liberté provisoire n’a rien d’illégale. Si  et seulement si elle a respecté toutes les règles.

Aucun texte n’interdit la mise ne liberté provisoire avant l’audition au fond

Souvent dressé devant le demandeur, l’obstacle de l’audition au fond avant de formuler une demande de mise en liberté provisoire ne tiendrait sur rien non plus. «Ce n’est rien ça, explique un magistrat du parquet. C’est juste une façon très simple de formuler un refus. Si cette règle devait s’appliquer, il serait impossible pour un juge d’instruction d’inculper une personne et de la placer sous contrôle judiciaire assorti d’une mise en liberté provisoire dès la première comparution. Pourtant, la personne inculpée n’est pas encore entendue au fond. Ça devait donc être plus grave.»

Le parquetier évoque les dispositions de l’article 129 qui disent que la mise en liberté provisoire peut être demandée à tout moment au juge d’instruction par l’inculpé ou son conseil sous les obligations prévues à l’article précédent. Et les questions de santé sont fondamentales dans une demande de mise en liberté provisoire. «Tout ce qui est demandé pour la mise en liberté provisoire, c’est de sérieuses garanties de représentation en justice. Le fait d’évoquer l’audition au fond pour justifier la mise en liberté provisoire est juste pour se protéger», souffle le parquetier. Un autre magistrat, actuellement en détachement, renchérit : «Cette règle d’une audition au fond n’est qu’une manière de refuser pour ne pas permettre à l’inculpé de troubler l’ordre public, d’effacer les preuves, de corrompre les témoins, d’entrer en contact avec eux sans même donner sa version au juge d’instruction. Aucun texte n’interdit ça. Ce sont juste des arguments que le parquet utilise pour s’opposer subtilement à une mise en liberté provisoire.»

Les raisons médicales priment sur tout autre argument

Cette pratique de s’opposer à des demandes de mise en liberté provisoire ne peut résister à une requête motivée par une urgence médicale. «Les questions de santé sont fondamentales dans une demande de mise en liberté provisoire, avance un autre procureur de la République. Si un juge d’instruction laisse un malade en prison en ayant les preuves que sa maladie est incompatible avec la détention même hospitalière, il en sera le responsable s’il meurt. Ce qui fait qu’il y a toujours au moins deux documents médicaux pour attester de la maladie du détenu. Parce qu’il faut l’avis de médecins pour éclairer le magistrat.»

Pour le parquetier, les questions sanitaires lient en quelque sorte les mains au juge d’instruction. Et, à en croire proches et avocats, Seydina Fall souffrirait d’un diabète chronique. Il piquerait souvent des crises en prison, ce qui rendrait son état incompatible avec la détention carcérale. «Boughazelli a un dossier médical, tout le monde le sait. Des expertises ont été faites et chacune dit que c’est un danger de le maintenir en prison. Il avait souvent des comas diabétiques», estime un proche du dossier qui se «refuse de livrer plus de détails» pour ne pas, dit-il, «gêner l’instruction qui est toujours en cours».

Makhaly Ndiack NDOYE

L’obs

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