Le Sénégal dans l’impasse (Par Meissa Babou)

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SENTV : Le Financial Times a publié, dans son édition du 23 juin 2020, une interview du Président Macky Sall dans laquelle il prédit, pour le Sénégal, une récession économique, voire une catastrophe économique sans précédent. C’est le même type de discours qu’il avait tenu quelques semaines auparavant en affirmant que le Sénégal va perdre 3 points de croissance en raison de la pandémie. Une perte acceptable quand on sait qu’une bonne partie de notre économie est informelle. Toutefois, ces propos du Président de la République semblent relever beaucoup plus d’un alarmisme de bon aloi. En effet, le pays n’a jamais été confiné totalement. Les entreprises privées ont continué à travailler en période pandémique, même si c’est en équipes réduites pour certaines. Il est vrai que des cessations d’activités temporaires sont enregistrées au niveau de quelques secteurs notamment le transport et l’hôtellerie.

Les raisons des sorties alarmistes du Président Macky Sall

Le Président Macky Sall a cru devoir profiter de la pandémie de la Covid-19 pour demander une annulation de la dette Africaine. Il s’est auto-proclamé chantre, voire porte-parole d’une cause pour laquelle il n’a reçu aucun mandat de la part de ses pairs. Sa sortie, que ses thuriféraires ont voulu présenté comme la preuve d’un leadership africain, est révélatrice de la mauvaise passe que traverse le Trésor public sénégalais.
En effet, au moment de l’apparition de la pandémie de la Covid-19, le Sénégal avait déjà atteint ses limites d’endettement. La perte de plusieurs points de croissance, qui plonge le pays dans un cycle de récession économique, n’est pas pour arranger les choses. De même, les difficultés financières de l’État ainsi que le doublement du déficit du déficit budgétaire (de 3 à 6,1% du PIB) ont entraîné récemment le maintien de la notation de la dette souveraine du pays à Baa3 (Qualité moyenne inférieure) avec la mention « perspectives négatives » par l’Agence de notation Moody’s. Ces « perspectives négatives » renvoient aux risques et doutes associés à la capacité du Sénégal à soutenir son niveau d’endettement. Ce qui induit, concrètement, une mauvaise perception du Sénégal sur les places financières avec comme conséquences une méfiance et des taux d’intérêt plus élevés.

La demande d’annulation de la dette publique formulée par le Président Macky Sall n’a pas rencontré un écho favorable auprès des institutions internationales. En effet, pour qu’une telle demande puisse avoir des chances d’être considérée, il faudrait, au préalable, qu’un audit de l’endettement soit opéré notamment pour comprendre la manière dont les fonds mis à la disposition du Sénégal ont été utilisés, voire dilapidés, détournés, ou servis au financement de projets de prestige. Par contre, la Banque mondiale (BM) a entendu le cri de cœur des pays moins avancés (PMA) en acceptant d’annuler certaines de leurs dettes. Le Fonds monétaire international (FMI), pour sa part, a prorogé les échéances de remboursement de la dette sur 3 ans au profit de certains pays comme le Congo, le Tchad ou l’Éthiopie. En plus des dépenses liées à la lutte contre les effets de la Covid-19, ces pays rencontrent d’énormes difficultés, voire exceptionnelles, comme, par exemple, des pertes de recettes pétrolières à cause du bas niveau des cours du pétrole, des dépenses faramineuses liées à la guerre engagée contre le terrorisme ou des mesures prises pour faire face à la famine résultant de la sécheresse. Le Sénégal n’est dans aucune situation exceptionnelle pouvant justifier une annulation de sa dette publique.

La sourde oreille des institutions internationales constituerait certainement une source de frustrations pour les Autorités de notre pays. Elles continuent de réclamer une annulation de la dette publique, à défaut, son rééchelonnement. Cela leur permettrait d’occulter leurs responsabilités d’une gestion gabegique et déprédatrice qu’elles ont mis en place et continuent d’entretenir. Le Président n’a pas manqué d’actionner tous ses relais pour obtenir une suite favorable à sa demande. Le fait d’avoir mis en place un fonds FORCE Covid-19 d’un montant de 1000 milliards de FCFA ne saurait être, à elle seule, une justification à l’annulation de la dette publique. C’est pourquoi plusieurs ne sont pas loin de penser que l’enregistrement et la publication d’un nombre élevé de morts causés par la Covid-19 ne sont pas fortuits et pourraient servir d’argument supplémentaire pour appuyer la demande d’annulation de la dette publique formulée par le Sénégal.

Situation économique difficile du Sénégal

Les difficultés économiques que vit le Sénégal actuellement sont une conjonction de facteurs, qui ont fini de plonger la trésorerie de l’État dans l’impasse. Le manque de liquidités, qui est devenu chronique, a fragilisé bon nombre d’entreprises au niveau national suite aux retards de paiements de leurs créances par le Trésor public. C’est ainsi que plus de 250 milliards de CFA sont dus aux seules 5 majeures des BTP et autant pour le secteur bancaire.
Cette situation pouvait pourtant ne pas survenir dans un environnement favorable. En effet à partir de 2013, la situation économique mondiale, s’était apaisée à cause d’une baisse exceptionnelle du prix du baril de pétrole, lequel est descendu jusqu’à 30 dollars US. Ce qui est historique tout en étant une aubaine pour les pays importateurs de pétrole comme le Sénégal. Cette opportunité a profité à l’État, qui n’a pas répercuté cette baisse au niveau du prix à la pompe. L’État s’est même permis d’arrêter la subvention, de plus de 50 milliards de CFA, allouée à la SENELEC. En agrégeant autant de profits, l’État s’est engagé dans des politiques sociales comme le Programme national de bourses familiales (PNBF), la Couverture Maladie Universelle (CMU), le Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC), etc. Ces politiques qui ont pour objectif de soulager les populations vulnérables, ont produit de très faibles résultats. En effet les statistiques produites sur la pauvreté en 2015 par l’ANSD ont montré que le taux de pauvreté est passé de 47 %, en 2012, à 56 %. La preuve que ces politiques n’ont pas amélioré le vécu quotidien des sénégalais.

Avec un niveau d’endettement de 43 % du PIB au début de la seconde alternance, le Gouvernement de Macky Sall s’est engagé dans un rythme d’endettement exponentiel. En moins de cinq ans, le niveau d’endettement a atteint 65 % du PIB. Le Gouvernement n’a pas voulu entendre ni prendre en compte les nombreuses alertes lancées par des spécialistes et experts. Cet important endettement a permis au Gouvernement de se lancer dans des projets économiquement non rentables et socialement non prioritaires. C’est le cas de la réalisation de l’autoroute Illa Touba, du TER, du Centre International de Conférences Abdou Diouf (CICAD), etc. Aucun de ces projets ne rencontre l’adhésion des populations dont les préoccupations sociales tournent principalement autour de l’emploi, de la cherté du coût de la vie (plus de 50% des biens de consommation alimentaires sont importés, donc sont chers), de l’accès à l’éducation (déficit de places dans les universités publiques), des difficultés de bénéficier de soins médicaux de qualité, etc.

C’est dans cette ambiance de doutes et de difficultés, que les populations se demandent le sens d’avoir un taux de croissance de 7%, si celui-ci est extraverti et ne bénéficient qu’aux entreprises multinationales au détriment, par exemple, des 65 % de ruraux partagés entre l’agriculture, la pêche et l’élevage.

La croissance tant chantée « qu’on ne mange pas malheureusement « , mais qui est l’opium des politiques et des organisations internationales, ne produit même pas d’emplois par manque de réinvestissements. Le chômage est devenu un fléau social et national par l’absence de politiques de développement tournées vers le secteur primaire et secondaire. Le coût de la vie plombe tous les espoirs et plonge le pays dans une misère généralisée. L’absence d’une véritable politique de développement, tournée vers l’autosuffisance alimentaire et sanitaire, ainsi que le manque d’industrialisation, sont les véritables causes d’un appauvrissement des masses qui peinent à assurer le quotidien.
Les mêmes méthodes du FMI qui continuent de produire les mêmes effets.

A l’entame d’un deuxième mandat, aucun programme de développement pouvant redonner un brin d’espoir n’est en vue. Au contraire, le Sénégal est en train de vivre un ajustement structurel qui ne dit pas son nom. Cet ajustement s’opère dans le silence et risque de nous faire vivre dans cinq ans de galère supplémentaires. La situation de déséquilibre croissant et permanent des grandeurs macroéconomiques frise la banqueroute. Elle appelle des mesures d’ajustement comme en Grèce ou en Argentine, alors que le Gouvernement continue de refuser à faire des efforts pour réduire le train de vie de l’État. Au nombre de ces mesures d’ajustement, nous pouvons citer :
la suppression de toute forme de subventions comme celles accordées aux étudiants du privé pour contenir les dépenses publiques, même si cette mesure risque de ne pas produire les effets escomptés à cause des 57 000 bacheliers orientés dans les universités publiques ;
l’augmentation des recettes fiscales au moyen de l’accroissement des prix de certains produits de consommation de masse comme le carburant et le ciment au détriment des populations appauvries.
la baisse des coûts de fonctionnement des services publics à travers des mesures visant la réduction de la facture téléphonique et celle du carburant, lesquelles ne permettent pas de réaliser des économies significatives, alors que de substantielles économies pouvaient être faites, par exemple, en supprimant des institutions budgétivores, inutiles, conçues uniquement pour recaser une clientèle politique (CESE, HCCT, etc.), en réduisant la taille de l’attelage gouvernemental, en baissant les fonds politiques qui alimentent les différentes caisses noires, etc.
Rappel de quelques priorités

Il urge donc aujourd’hui de réorienter la seconde phase du Plan Sénégal Émergent (PSE2) vers les segments en souffrance que la Covid-19 a fini de révéler. En effet, la difficile distribution des kits alimentaires, qui s’est étalée sur plus de trois mois, démontre plus encore la nécessité de mener une politique d’autosuffisance alimentaire ou au moins tendre vers une sécurité alimentaire. Cette politique doit comprendre les bases alimentaires de notre pays comme le riz, la pomme de terre et tous les légumes importés du Maroc et des autres pays de la sous-région. La viande et le lait, qui sont pour bon nombre de sénégalais des produits de luxe à cause des prix trop élevés, doivent être une priorité dans une politique d’élevage sérieusement élaborée. Pour une véritable baisse du cout de la vie, il est indispensable de promouvoir une politique énergétique efficiente pour une diminution drastique des factures d’eau et d’électricité qui empêchent les pères de famille, surtout les retraités, de dormir. L’amélioration du pouvoir d’achat sera certainement une réponse a la pauvreté qui guette 57 % de nos concitoyens.

Un changement dans l’approche de la politique sanitaire pour une meilleure prise en charge est aussi une exigence et une demande sociale pour tous les sénégalais dépourvus de moyens pour aller se soigner à l’étranger. Les plateaux médicaux doivent être améliorés avec des technologies de dernière génération au lieu de se lancer dans des investissements comme la procréation médicalement assistée (PMA), qui est très éloignée des priorités des populations dans leur écrasante majorité. Ceci dans un contexte où les hôpitaux dans les régions ne peuvent prendre en charge de nombreuses pathologies en plus du déficit de médecins spécialisés.

Le système scolaire qui continue de former des généralistes doit être réformé intégralement. L’introduction des métiers dans la formation depuis le brevet nous évitera des déchets scolaires source de chômage. Certains lycées des régions peuvent être réorientés dans la formation professionnelle pour une meilleure intégration des diplômés dans le système économique.
En attendant que tout cela soit mis en œuvre, les sénégalais continuent de souffrir stoïquement.

Meissa BABOU / UCAD

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