SENTV : En tournée promotionnelle en Côte d’Ivoire, les acteurs de la série «Maîtresse d’un homme marié» ont rencontré un grand succès auprès des fans, reflet de l’accueil qu’a reçu le téléfilm sénégalais un peu partout en Afrique de l’Ouest.
Nul n’est Prophète chez soi. C’était difficile, voire impossible, de passer à côté de ce dicton cette semaine sur les réseaux sociaux sénégalais. Ecrit, le plus souvent, en commentaire pour accompagner les photos et vidéos de l’accueil monstre reçu par le casting de la série «Maîtresse d’un homme marié» en Côte d’Ivoire. En tournée promotionnelle, Marème Dial, Lala, Cheikh, Dialika, Birame et autres ont reçu beaucoup d’amour et de ferveur de milliers de fans Ivoirien(e)s. «Là où au Sénégal, diront quelques internautes, les esprits chagrins ont préféré les vouer aux gémonies.» Une belle revanche pour la productrice Kalista Sy, dont les acteurs ont enchaîné, dans un rythme effréné, invitations, interviews, séances de dédicace… Cerise sur le gâteau, quelques acteurs de l’ancienne série ivoirienne à succès «Ma famille» ont même fait partie de l’accueil triomphal. On voit dans une vidéo la principale actrice Akissi Delta dire toute son admiration à Cheikh Babou Gaye qui incarne à l’écran Cheikh Diagne, un rôle principal. Une belle revanche de la filmographie sénégalaise sur celle ivoirienne.
Saut dans le temps. En 2002, les séries sénégalaises qui sont déjà présentes dans la petite lucarne, voient leurs efforts pour s’exporter être réduits à néant par l’arrivée du téléfilm ivoirien «Ma famille». Il met aux prises un couple dont le mari, incarné par Michel Bohiri, est un redoutable dragueur. Des intrigues amoureuses racontées avec beaucoup d’humour : le scénario n’est pas révolutionnaire mais, il ravit le cœur des téléspectateurs sénégalais qui n’hésitent pas, quelques années après, à réserver un accueil triomphal aux acteurs en tournée d’exhibition au Théâtre Daniel Sorano de Dakar. La prestation payante n’empêche pas les fans sénégalais de se bousculer aux portes pour entrevoir (en vain) Akissi Delta, la principale actrice. Treize ans après l’arrêt de cette série, la situation se renverse. Cette fois-ci, les stars sont les fans et les fans, les stars. «Je ne m’attendais pas à ce succès», dit l’acteur Cheikh, coincé dans un fauteuil avec comme intervieweuse, Akissi. Pour Bigué Bob, Rédactrice en chef du journal «EnQuête» et spécialiste culturelle, le succès de l’un n’a rien à envier au succès de l’autre. «La première saison de ‘’Ma famille’’ avait pulvérisé les records en Côte d’Ivoire et conquis les téléspectateurs de l’Afrique de l’Ouest, et même Centrale. ‘’Maîtresse d’un homme marié’’ a le même aura», analyse-t-elle. Dans une interview accordée à la journaliste en 2013, Akissi Delta, elle-même, accordait le succès de sa série, non au thème, mais à l’effort technique linguistique. Ce qui est indéniable pourtant pour certains professionnels du milieu, MDHM est, dans le scénario, un cran au-dessus de «Ma famille».
«Des thèmes qui parlent aux pays de l’Afrique de l’Ouest»
Avec sa collaboration et diffusion sur la chaîne A+ des bouquets Canal, la série MDHM a pu procéder à la suppression de la barrière linguistique dans laquelle s’enferment encore plusieurs séries sénégalaises. Une version en français qui permet de gagner des téléspectateurs un peu partout en Afrique francophone. Fatou Kiné Sène est journaliste critique cinéma et présidente de la Fédération des critiques de cinéma. Elle donne une note positive à cet effort technique : «Avec le doublage, les autres nationalités peuvent désormais suivre et avoir accès aux thèmes et codes de la série.» Bien que plus relatée, la Côte d’Ivoire n’est, en effet, pas le seul pays à avoir réservé un accueil chaleureux à MDHM. Avant, il y a eu le Mali, la Guinée, le Burkina, le Congo… «Et même la diaspora africaine», ajoute Thierno Diagne Bâ. En séjour à Paris, l’expert audiovisuel et gestionnaire des industries culturelles avoue recevoir beaucoup de retours d’autres nationalités sur la série. Cependant, même si le déverrouillage linguistique a contribué à la réussite, ce serait réducteur de lui attribuer tout le mérite. D’autant plus que le téléfilm, alors en diffusion en version wolof sur la plateforme YouTube, recevait déjà beaucoup de commentaires positifs d’autres nationalités qui réclamaient le sous-titrage. Et puis il y a eu des exemples précurseurs. Bigué Bob : «MDHM n’est pas la seule série sénégalaise diffusée sur A+. Avant elle, il y a eu ‘’Tundu Wundu’’ qui a eu du succès en Afrique. Il y a eu ‘’Pod et Marichou’’ qui n’a malheureusement pas été bien appréciée par les téléspectateurs.» Pour la journaliste comme pour ses collègues critiques, le principal ingrédient du succès africain réside dans l’écriture.
Polygamie, viol, violences conjugales, dépression, maladie, Kalista Sy a su, dans une écriture évolutive, s’emparer des thèmes très actuels. Une nécessité pour Thierno Diagne Bâ. «Le récit parle aux Sénégalais, aux Africains et en général à la diaspora. Contrairement au cinéma d’auteur qui s’adresse aux amateurs, les thèmes traités ici sont partagés par les pays africains en général et ouest-africains en particulier. En clair, les raisons qui ont fait de ce téléfilm un succès au Sénégal sont les mêmes ailleurs.» Bigué Bob : «Beaucoup d’Africaines peuvent se voir, voir leur vécu à travers Marème, Dialika ou Lala. On a des Cheikh, Birame et autres dans notre entourage. A bien des moments, différents téléspectateurs peuvent avoir l’impression de voir leur vie ou partie de leur vie à l’écran à travers cette série. Aujourd’hui, seuls les noms des pays diffèrent mais, on trouve presque les mêmes réalités en Afrique.» A commencer par le thème central porté par le titre du téléfilm. Au Sénégal, s’il n’y a pas un terme spécifique pour nommer une maîtresse, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Congo ou au Burkina, l’expression utilisée tourne autour du deuxième, voire du troisième bureau. Alors qu’au Mali, la maîtresse de passage est souvent qualifiée de «porte» pouvant déboucher sur «un bureau». Mais pour Fatou Kiné Sène, c’est moins le thème central que la manière osée et inédite de mettre en scène les idées. «Dans ‘’Ma famille’’, Bohiri et Akissi jouaient à cache-cache. Dans MDHM, les rôles se montrent. Marème assume sa position et va même jusqu’à affronter l’épouse légitime. Ce sont des rôles plus osés que ce qui se fait d’habitude.» Cheikh et Marème en roucoulades dans un lit drapé de pétales de rose, l’on se rappelle encore d’une des scènes qui a valu à la production du téléfilm, une plainte devant le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). Et qui, ailleurs, a surtout contribué à hisser le personnage de Marème Dial en héroïne.
«En osant incarner un rôle tabou, Marème Dial porte la série»
Alima Gadji qui joue le rôle de Marème Dial a été en Côte d’Ivoire, celle qui a été le plus acclamée et invitée par des stars locales. Son personnage a soulevé le même engouement au Sénégal grâce d’abord à son apparence. A l’écran, elle rayonne dans ses coiffures et tenues traditionnelles. Thierno Diagne Bâ : «La diaspora a d’abord été attiré par ce qu’elle découvrait. En dehors des belles fresques de la ville dakaroise, elle est attirée par la manière dont les acteurs s’habillent, se coiffent. Il n’est pas rare de croiser une fille avec les tresses portées à l’écran par Marème.» Mais ce qui est intéressant avec ce rôle, c’est encore la manière dont son personnage s’étoffe et d’anti-héroïne devient une héroïne. Alors que les téléfilms ont souvent tendance à opérer une nette distinction entre les deux protagonistes, MDHM joue très souvent à effacer les caractéristiques atypiques. Résultat, l’héroïne se fait parfois détester et l’anti-héroïne aimer. Rien n’est figé. «Ce n’est pas fréquent dans les séries sénégalaises ou la séparation est nette en général. Et c’est la même chose avec le personnage de Birame qui est un anti-héros, mais avec sa façon de jouer, contribue à porter le film», continue Thierno Diagne Bâ. Héroïne aussi parce qu’avec son jeu, Alima est parvenue à être la figure dominante de la série. «Elle est célébrée en Côte d’Ivoire comme à Ouagadougou parce qu’elle ose incarner un rôle tabou que son personnage l’assume et aussi parce qu’elle pousse les femmes à s’identifier à elle et les hommes à l’admirer», analyse Fatou Kiné Sène. Une particularité qui devrait encore pousser la série à se hisser au-delà du marché francophone. Et peut-être alors qu’une rencontre avec la fanbase sénégalaise pourrait être triomphalement envisagée.
AICHA FALL
IGFM