Agressions sexuelles : Que dit la nouvelle loi sur le viol conjugal, les peines, le recel criminel, les délais de prescription etc…
SENTV : Il y a quelques jours, sonnait le premier anniversaire de la loi criminalisant le viol et la pédophilie. Après un an d’existence de cette loi votée le 30 décembre 2019, des cas de viol ont remis à jour le débat sur les agressions sexuelles. Il s’agit de ceux enregistrés à Ouakam où une jeune fille accuse deux de ses professeurs de l’avoir violée et à Tambacounda où une fillette de 8 ans a été abusée sexuellement par un adolescent de 19 ans. Dakaractu, dans les lignes qui suivent, livre les contours de cette loi, ses spécificités pour ne pas dire sa teneur.
Pour aborder cette loi criminalisant le viol et la pédophilie, votée le 30 décembre 2019 et promulguée moins de 15 jours après par le président Macky Sall, il est bon de rappeler le contexte qui a conduit à cette volonté de condamner rigoureusement ces agressions sexuelles, au Sénégal. En ce sens, deux agressions sexuelles meurtrières ont servi de déclencheur.
Il s’agit de l’atrocité commise le samedi 18 mai 2019 à Tamba, à travers la tentative de viol meurtrière dont a été victime Bineta Camara et celui dont a été l’objet C. Yade (16 ans) au quartier Hersent (Thiès), 4 jours auparavant.
L’État qui s’est lancé dans la dynamique de vulgariser cette loi et de l’expliquer aux populations, a confié la tâche à une équipe dont fait partie le magistrat Alassane Ndiaye. Directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces au niveau du ministère de la Justice, il avait profité d’une rencontre, avec des acteurs de la presse, pour expliquer pourquoi ce choix de corser les sanctions et dévoiler les grands axes de cette loi que sont les peines, le recel de crime, le viol conjugal, les preuves médicales, entre autres.
Les peines
Avec cette nouvelle loi criminalisant le viol et la pédophilie, le législateur a pris l’option de corser tout simplement les peines. Parce qu’il fallait aggraver les sanctions relatives aux actes de viol et de pédophilie. Quand il s’est agi de procéder à la criminalisation, il ne pouvait pas le faire sans modifier les peines appliquées à ces infractions. Et la première modification, c’est la nature de la peine. Par exemple, on parlait d’emprisonnement pour les délits et des travaux forcés pour les crimes. Maintenant, on parle de réclusion criminelle qui peut aller jusqu’à la perpétuité. Et pour les peines criminelles, il y a également des échelles de peines. Ce sont des peines de 5 à 10 ans ; de 10 à 20 ans et la réclusion criminelle. Alors que les délits se limitent à des peines limitées au maximum à 10 ans. C’est pourquoi, il fallait relever le quantum des peines et changer leur nature.
La preuve médicale
La preuve médicale est l’élément clé dans une affaire de viol, d’inceste ou de pédophilie. C’est ce qui permet aux juges d’être convaincus ou non de la culpabilité du mis en cause dans une affaire de mœurs. À ce sujet, les textes ont posé des jalons. Ainsi, il est prévu que pour le certificat médical, quelqu’un qui est victime d’une infraction de viol peut se faire établir un certificat médical. Mais la personne poursuivie a aussi la possibilité de demander une contre-expertise. Dès lors qu’on estime que le certificat médical a été établi, par complaisance par un expert, la personne accusée estimant devoir se défendre contre ce document médical peut demander à ce qu’il y ait une contre-expertise’’. Et dès lors qu’il y a contre-expertise qui vient relever des éléments différents de ceux établis dans le certificat médical, il appartiendra au juge de faire la part des choses. Il ressort, alors, que quiconque fait une dénonciation qualifiable de ‘’calomnieuse’’, peut être l’objet d’une plainte de la personne accusée à tort.
Rappel est ainsi fait de la loi 2003 de la Cour suprême qui donne une possibilité à cette dernière d’être dédommagée. ‘’Dès lors qu’une personne est poursuivie pour viol ou d’un autre crime et qui fait l’objet d’une très longue détention, et qu’à la fin, le juge estime que les faits ne sont pas établis et délivre une ordonnance de non-lieu, cette personne peut déposer une demande auprès de la Cour suprême pour être indemnisée’’, prévoient les textes de loi. Cela est maintenant prévu.
Concernant l’obtention des preuves dans une affaire, il est de notoriété que c’était difficile. Et cela continue de l’être, mais tout va s’améliorer, a promis le magistrat qui, dans la même lancée, annonçait la construction prochaine d’un centre de prise en charge des victimes d’agression sexuelles. ‘’Si on met en place ce centre-là qui permettra davantage de procéder à des tests Adn qui vont permettre au moins, de pouvoir lier des personnes à des actes. Parce qu’il ne suffit pas qu’une personne ait de relations sexuelles avec quelqu’un pour qu’on puisse parler de viol. Il faut établir l’absence de consentement. Et cela procède de plusieurs éléments : il y a les déclarations des victimes ; les circonstances dans lesquelles les faits sont commis ; l’environnement immédiat des faits ; la relation entre la victime et l’auteur des faits, entre autres. Tout cela sont des faits qui sont analysés par le magistrat instructeur pour voir avec exactitude si on peut relever l’absence de consentement ou non. Et c’est ce qui permet de voir, s’il y a des preuves ou non. C’est comme on dit : s’il y a un doute, il profite à l’accusé.
Certificat médical
Il est connu qu’avoir un certificat médical est souvent difficile. Cela arrive lorsque la personne victime de l’infraction se rend automatiquement au niveau d’un établissement de santé. Là, souvent, il y en a qui demandent des montants qui varient entre 5 000 et 10 000 F pour établir ce certificat médical. Mais en principe si la victime se présente au niveau d’un commissariat de police, de la gendarmerie, ou au tribunal, il appartiendra au Commissaire, au Commandant de Brigade ou au Procureur de requérir d’un médecin de procéder à des constatations et d’établir un procès-verbal. Et dès lors qu’il s’agit d’une réquisition, la victime ne devrait pas débourser un quelconque montant pour obtenir ce certificat médical. Mais, au-delà de cela, les autorités sont en train de réfléchir, au niveau du ministère de la Famille et de celui chargé de la Justice pour la mise en place d’un Centre pour l’assistance des victimes. Ce qui permettrait à ces victimes-là de pouvoir obtenir l’aide nécessaire, dès le départ. Il y a également, ce qu’on appelle l’aide juridictionnelle qui, pour le moment, est presque limitée aux personnes poursuivies qui peuvent avoir un avocat payé sur la base de cette aide juridictionnelle. Il y a des réflexions qui sont en train d’être menées pour élargir cette aide juridictionnelle aux différentes victimes qui pourraient en bénéficier dès le début d’une procédure, a indiqué le juge Alassane Ndiaye.
Le recel criminel
Le recel criminel également est devenu une infraction qui peut permettre même de mieux poursuivre les infractions liées aux viols et à la pédophilie. Il est défini comme étant le fait pour quelqu’un qui a connaissance d’une infraction criminelle, d’essayer de dissimuler l’auteur de ces faits-là, soit en lui permettant de se cacher ou même de s’enfuir pour ne pas faire l’objet de poursuite.
Délais de prescription
En principe, la prescription pour le délit, c’est 3 ans. Mais pour le crime, elle est de 10 ans. Cela veut dire qu’une fille qui est âgée de 8 ans et qui ne peut pas dénoncer des faits et qui se tait jusqu’à l’âge de 16 ans, a la possibilité de dénoncer ce dont elle avait été victime. Et les poursuites pourraient être engagées. Alors que, avant cette nouvelle loi, il fallait juste un délai de 3 ans pour qu’on ne puisse plus parler de cette infraction-là et que des poursuites ne pouvaient plus être engagées.
Dénonciation
Le problème de la dénonciation aura toujours été une limite à la poursuite des infractions liées aux viols. Mais avec la criminalisation, on peut au moins espérer que les personnes qui ont connaissance de ces infractions de pédophilie ou de viol et qui ne dénoncent pas, peuvent même faire l’objet de poursuite pour ce qu’on appelle non dénonciation de crime. Laquelle est une infraction qui peut être retenue contre toute personne qui, ayant connaissance de ces infractions les a tues et n’a pas dénoncé les faits auprès de la justice ou de l’autorité administrative pour que des poursuites puissent être engagées.
Lorsqu’une personne fait une dénonciation qui n’est pas surtout avérée à la fin de la procédure, celle qui a été victime de cette dénonciation-là, peut même déposer une plainte pour dénonciation calomnieuse. Donc, dès lors qu’on est victime d’une poursuite provenant d’une plainte et quel que soit le type d’infraction pour laquelle on a été poursuivi, si on a bénéficié d’une relaxe à la fin, on peut déposer une plainte contre la personne qui avait engagé les poursuites contre soi, pour dénonciation calomnieuse. Et s’il est avéré que cette personne a fait cette dénonciation pour nuire à votre honorabilité ou votre personne, l’auteur peut être condamné et la victime peut demander, alors, des dommages et intérêts.
Dégradation droit civique
Pour la dégradation civique, c’est juste une perte de certains droits. Et ce n’est pas le tribunal qui le dit. Et ladite juridiction n’a pas besoin de le dire. Il suffit juste que la personne soit condamnée à des peines criminelles pour que celle-ci perde certains de ces droits-là. Il s’agit, entre autres, des droits d’être électeur ; d’être éligible ; d’être témoin ou expert dans un procès et autres ; d’être tuteur d’une famille. Tous, des droits que la personne condamnée perd automatiquement. Et pour les recouvrer, ce qu’on appelle la réhabilitation, il faut que la personne fasse, en principe la demande 5 ans après avoir été libérée de la peine à laquelle celle-ci a été condamnée. Et tant que cette personne n’est pas réhabilitée, elle ne pourrait et ne devrait pas pouvoir voter ni être éligible à une élection.
Grâce présidentielle
Relativement à la politique pénale, au niveau du ministère, les violeurs ne bénéficient pas de la grâce. La loi ne l’interdit pas. Parce qu’elle est une prérogative constitutionnelle du président de la République. Donc, ce dernier peut gracier qui il veut, dès lors, que la condamnation est définitive. Mais dans la politique pénale actuelle, c’est le président lui-même qui a demandé à ce que les personnes poursuivies pour certains faits ne soient pas graciées. C’est le cas pour les personnes poursuivies pour des faits de mœurs (viol, pédophilie, inceste). Il peut y avoir, toutefois, des cas des personnes gravement malades, âgées, bien qu’étant des violeurs dont la santé n’est pas compatible avec la prison ; celles-ci peuvent exceptionnellement bénéficier de cette grâce-là, a indiqué le Directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces.
Comme aucune œuvre humaine n’est parfaite, le magistrat d’annoncer la possibilité de procéder à l’amélioration de certaines dispositions. Selon lui, tout dépendra de l’application qui sera faite ultérieurement quand on aura fini d’éprouver la loi. Mais pour le moment, comme on est dans la phase de mise en œuvre, et c’est le début, il estime très difficile de relever les différentes failles qu’il va falloir essayer de corriger.
Viol conjugal
Le viol dans le couple est également sanctionné dans cette loi. Le juge Alassane Ndiaye en a donné quelques exemples. En effet, venu présenter les contours de cette loi criminalisant le viol et la pédophilie, il a donné l’exemple d’une étudiante qui avait déposé une plainte contre son époux pour agression sexuelle. Un fait né d’un problème entre son conjoint et elle. Et comme les deux ne se parlaient plus, pour entretenir des rapports sexuels avec son épouse, le monsieur l’agressait sexuellement, d’après les déclarations de la femme qui était en possession d’un certificat médical édifiant. Et selon elle, pour entretenir des relations sexuelles, le mari lui attachait les deux mains et les deux jambes pour arriver à ses fins. Ce qui dénotait d’une absence de consentement. Dès lors, si c’est établi, avec les déclarations et avec les certificats médicaux produits, cela peut constituer un viol et aboutir à une autre condamnation. Il y a eu un autre cas de viol connu aussi, hors de Dakar, la victime une fille qui venait d’être mariée à un homme qu’elle n’aimait pas. Et pour la consommation du mariage, le monsieur avait sollicité l’aide d’un de ses amis. Tous les deux l’ont enlevée de chez elle, et l’ont conduit à un endroit. Et pour pouvoir consommer le mariage, c’est l’ami qui a tenu la fille des deux mains pour permettre à l’époux de passer à l’acte. Deux agressions sexuelles qui caractérisent le viol, même si la victime et l’auteur des faits sont dans les liens du mariage. Seulement, le législateur peut avoir des difficultés face à ces cas de viols conjugaux. Le problème majeur se trouve dans le fait qu’il est parfois difficile de le prouver quand cela se passe dans l’intimité de la chambre. Mais, dès lors qu’on parvient par des déclarations et des constatations médicales, de le prouver, cela peut aboutir à une condamnation.
Des exemples qu’il a donnés, pour dire que dans les couples on peut parler également de viol. Et que la définition qui a été donné par le texte relativement au viol conjugal est très large et prend en charge tous les cas de viol qu’il soit dans le couple ou en dehors.
L’application de la loi pour le moment
À près d’un an de l’application de la loi, beaucoup de justiciables sénégalais s’interrogent sur son applicabilité. Le juge Alassane Ndiaye un des artisans de ce texte a relevé que des manquements n’ont pas encore été relevés. Mais qu’il y a beaucoup de poursuites qui ont été lancées suite aux cas de viols et de pédophilies enregistrés.
‘’Pour le moment, il n’est pas possible de faire une évaluation de la situation de la loi. C’est une loi qui a été votée au mois de décembre 2019, puis promulguée au début du mois de janvier 2020. Mais les poursuites ont commencé à être engagées. Des personnes sont arrêtées et sont en train d’être poursuivies par des juges d’instruction. On est donc pour le moment dans la phase d’instruction. Avant c’était le flagrant délit. Et là, automatiquement les personnes accusées étaient jugées dans les plus brefs délais. Tel n’est plus le cas, maintenant. Pour le moment les personnes arrêtées ne sont pas encore jugées parce que les procédures sont en cours devant les juges d’instruction. Peut-être d’ici un an ou deux, on pourra voir ce qu’a été l’application des textes par rapport à ces personnes poursuivies’’, renseigne le président Alassane Ndiaye.
Avec Dakaractu