SENTV : La région ouest africaine est en ébullition. En plus de la crise sécuritaire qui prévaut dans plusieurs pays, d’autres sont traversés par des turbulences politico-institutionnelles. Le Mali et la Guinée Conakry sont les exemples les plus récents.
Le 18 août 2020, un groupe de colonels s’empare du pouvoir à Bamako après une série de manifestations du M5-RFP constitué de partis politiques, d’associations religieuses et de la société civile. Suite à ce coup d’État, une transition est installée, mais fera long feu. Le 24 mai 2021, le vice-président, le colonel Assimi Goita destitue le président de la Transition Bah N’daw et son Premier ministre Mactar Ouane. Constatant la vacance du pouvoir, la Cour constitutionnelle reconnaît l’ancien chef des forces spéciales dans le centre du Mali comme le nouvel homme fort du pays. Un nouveau Premier ministre est nommé en la personne de Choguel Maïga, membre influent du mouvement qui a accéléré la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta.
Moins de cinq mois après, un voisin goûte au même râtelier. Le 5 septembre, Alpha Condé est renversé par le Groupement des forces spéciales dirigé par le Colonel Mamady Doumbia. L’ancien membre de la légion extérieure annonce la création d’un « Comité national pour le rassemblement et le développement ».
Ces coups d’État ont pris de court la Communauté économique des États
de l’Afrique de l’Ouest. L’institution sous-régionale qui regroupe 15 pays a, à chaque fois tenté de sauver les meubles en tentant d’imposer des sanctions contre les pays où ces accessions anticonstitutionnelles au pouvoir ont été enregistrées. Au Mali, les mesures de la CEDEAO ont évolué dans le temps. Après le coup d’État du 18 août, des décisions sévères avaient été prises à l’image des sanctions économiques qui ont pesé dans la mise d’une transition. La même intransigeance n’a pas été constatée après le second coup de force du Colonel Goita. En lieu et place de sanctions conséquentes, la CEDEAO s’est limitée à suspendre le Mali de ses instances. Mais le coup d’État survenu en Guinée Conakry semble avoir inspiré une nouvelle stratégie.
Au sortir du sommet extraordinaire tenu le 16 septembre dernier à Accra, la conférence des chefs d’État et de gouvernement a décidé du maintien de la suspension de la Guinée de toutes ses instances jusqu’à la restauration de l’ordre constitutionnel. Les dirigeants ouest-africains ont également donné un délai de six mois aux autorités actuelles pour organiser des élections présidentielles et législatives pour la restitution de l’ordre constitutionnel en Guinée.
Pour corser la dose, les chefs d’État décident de la mise en œuvre de sanctions ciblées impliquant l’interdiction de voyage des membres du CNRD ainsi que leurs membres de leur famille et le gel de leurs avoirs financiers. Lors du même sommet, la transition malienne est passée en revue et il a été demandé à Bamako « le respect strict du calendrier de la transition devant conduire des élections dans le délai non négociable de février 2022 ».
Dans le même temps, les autorités de la transition sont invitées « à soumettre au plus tard à la fin du mois d’octobre le chronogramme devant conduire aux étapes essentielles pour les élections de février 2022. »
Se voulant persuasifs, les chefs d’État n’excluent pas d’appliquer des sanctions ciblées contre « ceux dont les actions impactent négativement sur le calendrier de la transition tel qu’arrêté par les chefs d’État. » Des sanctions qui incluraient l’interdiction de voyage pour ces personnes et leur famille et le gel de leurs avoirs financiers. Il ne fait aucun doute qu’à travers ces décisions, la CEDEAO tente de reprendre le contrôle de la situation. Mais n’est-il pas trop tard ? Aussi bien du côté malien que guinéen, les militaires qui sont aux manettes ne donnent l’impression d’être ébranlés.
La CEDEAO a dénoncé « les arrestations continues ainsi que l’incarcération de leaders politiques et anciens dignitaires par les autorités de la transition. » Elle conspue également la volonté du gouvernement de Choguel Maiga d’engager des compagnies de sécurité privées au Mali. Faisant de la lutte contre la corruption une priorité, les autorités transitoires maliennes ne montrent pas des signes de lever le pied sur l’accélérateur. Au sujet des négociations avec la compagnie privée russe Wagner, le Premier ministre évoque la nécessité pour le Mali de voir d’autres horizons à la veille de la réorganisation de l’opération Barkhane.
En Guinée, les réponses sont moins teintées de diplomatie. Non seulement la libération d’Alpha Condé exigée par ses anciens collègues n’est pas acceptée. Mais le Colonel Mamady Doumbouya a montré qu’il n’avait pas grand-chose à faire des « décisions » de la CEDEAO. Sur les menaces d’interdiction de voyage et de gel de leurs avoirs financiers brandies par l’organisation, les militaires guinéens ont fait savoir qu’ils n’ont pas de mission hors de leurs pays et qu’ils n’avaient pas de comptes à l’étranger. Au sujet du délai imparti pour l’organisation des élections, la junte s’en remet à la volonté du peuple de Guinée.
« À Conakry, si l’on s’en tient aux réactions des uns, la CEDEAO est plutôt considérée comme une organisation qui défend les chefs d’État et non les peuples. Certains même estiment que c’est un syndicat des chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest. Une organisation qui a montré ses limites face aux Chefs d’Etat des pays membres », a constaté un journaliste guinéen qui s’est entretenu avec Dakaractu. Il faut donc dire que jamais l’institution sous régionale n’a été autant défiée, voire décrédibilisée. Qui plus est de l’intérieur. Et si elle devait faire son introspection quant à ses propres règles ? Il est à noter que ces coups de force sont la conséquence d’actes posés par des présidents peu respectueux des principes d’un État de droit.
Les chefs d’État en sont conscients et ont, au titre du « renforcement de la démocratie », réaffirmé que la « consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance est essentielle pour le développement, la paix et la stabilité de la région. »
« En conséquence, la Conférence instruit le Président de la Commission à initier le processus de réexamen du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001 afin de renforcer la démocratie, la paix, et la stabilité dans notre région », rapporte le communiqué final de la rencontre du 16 septembre. Ce protocole qui complète celui du 10 décembre 1999 relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, promeut la démocratie et la bonne gouvernance. Et cela apparaît dès le chapitre I sur « les Principes de convergences constitutionnelles ».
L’article 1 consacre la « séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires », valorise le « renforcement des Parlements et la garantie de l’immunité parlementaire », garantit l’ indépendance de la justice ». La section b rappelle que « toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes, et transparentes » et alors que le paragraphe suivant interdit « tout changement anticonstitutionnel, de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir ».
Au chapitre II, les questions liées aux élections sont réglées par l’article 2 qui écarte toute réforme substantielle de la loi électorale dans les six mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs. Il est indiqué au deuxième point que « les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates ou périodes fixées par la constitution ou les lois électorales ».
La lutte contre la pauvreté et la promotion du dialogue social sont prises en compte par ledit protocole. L’article 26 engage les États membres à assurer les besoins de base et services essentiels à leurs populations. Si toutes ces conditions sont remplies, les forces armées n’auront d’autre choix que de s’occuper du rôle qui leur est assigné par le protocole, notamment défendre exclusivement l’indépendance, l’intégrité du territoire de l’État et ses institutions démocratiques ».