Une des promesses centrales du candidat Macky Sall était la création de 500 000 emplois en 5 ans (il avait prévu de ramener son mandat de 7 à 5 ans). Son ministre de la Jeunesse, de l’Emploi et de la Construction citoyenne
(MJECC) d’alors, Mame Mbaye Niang, ne ratait aucune occasion pour confirmer cette promesse électorale devenue un engagement présidentiel ainsi son optimisme de voir celui-ci se réaliser. Ces derniers mois, à l’approche de l’heure du bilan, le ton affirmatif et péremptoire du ministre avait cédé la place à des affirmations moins catégoriques, voire teintées de doutes en évoquant, entre autres difficultés, le manque de formation des jeunes. On connaît la suite : il a depuis peu quitté ce ministère sur la pointe des pieds sans en dresser le bilan attendu par tous les sénégalais, car tout indique que pari est loin d’être tenu et qu’on peut d’ores et déjà parler de cible ratée.
Des statistiques fantaisistes aux sources obscures pour camoufler un échec
Dans une de nos précédentes contributions, nous attirions l’attention sur la manipulation et les mensonges que s’était livré l’ancien Ministre du Travail à propos du nombre d’emplois crées par Macky Sall et ses gouvernements successifs depuis 2012.
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Cet ancien ministre affirmait que, de 2012 à 2016, ses services régionaux du travail avaient enregistré 336 554 contrats de travail, soit autant d’emplois crées. Ce qui était évidemment faux, car il versait sciemment dans l’amalgame en considérant que le nombre de contrats visés était égal à celui d’emplois crées. En effet, il est aisé de comprendre, par exemple, que les contrats saisonniers, de stage, d’apprentissage ou de travailleurs temporaires sont régulièrement renouvelés et concernent les mêmes personnes, donc ne se traduisent pas forcément par des emplois nouveaux. Donc, faire le cumul des contrats de travail enregistrés annuellement et le brandir comme un trophée ou le prendre comme un signe d’efficacité n’est qu’un leurre.
Mame Mbaye s’était également engagé dans cette voie de duperie en annonçant, lors de sa revue à mi-parcours, en décembre 2014, que 94 354 emplois ont été crées entre 2012 et 2014. Il affirmait, sans ambages, que l’engagement des 500 000 emplois en 2017 sera tenu si l’on considère les prévisions de création d’emplois avec les programmes et projets comme le programme des domaines agricoles communautaires (PRODAC), le projet de promotion de l’emploi pour les jeunes et les femmes (PAPEJF) et l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (ANPEJ). Sentant l’échéance s’approcher ce même ministre a fait un revirement spectaculaire lorsqu’il affirmait, en février 2017, que la création de 500 000 emplois durant le quinquennat de Macky Sall n’est plus un défi !
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Comme un prestidigitateur, il nous sort un autre lapin de son chapeau en déclarant que « 45% des jeunes qui affrontent le marché de l’emploi n’ont pas de qualification. Le défi n’est plus de créer 500 mille ou un million d’emplois. Les emplois, il va y en avoir parce qu’il y a une croissance ». Le 21 novembre dernier, en prenant la parole lors de l’ouverture du Forum de l’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (ADPME), le Premier ministre Boun Abdallah Dionne a repris cette fameuse phrase de reniement prononcée, il y 10 mois, par Mame Mbaye Niang, lorsqu’il déclare à son tour : « 45% de nos jeunes n’ont aucune qualification, aucun métier. Donc nécessairement, ils gonflent les statistiques du chômage ». Il termine son discours en appelant le secteur privé à la rescousse de l’État. Que faudrait-il comprendre à travers ce nouveau langage ? Une seule chose à notre avis : c’est un aveu d’échec ! Autrement dit, Macky Sall et son gouvernement ont raté la cible des 500 000 emplois à créer avant fin 2017.
Enfin, il convient de noter que si Mame Mbaye Niang avait fini d’étaler toute son incompétence à concrétiser l’engagement présidentiel de créer 500 000 emplois avant la fin de 2017, par contre il s’est montré très efficace dans la création d’emplois au profit de ses proches et des militants de l’APR. En effet, nous avons appris, en septembre 2017, lors de la cérémonie de passation de service, entre lui et son successeur, qu’il avait créé plus de 60 chargés de mission dans son ministère. Décidément le « Yonu yokuté » se limite aux seuls militants beige-marron !
Des statistiques officielles contradictoires
Dans son édition 2013 du rapport Situation économique et sociale du Sénégal (SES) publiée en février 2016, l’ANSD présente des statistiques de l’emploi exclusivement tirées des résultats du Recensement Général de la Population, de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’Élevage de 2013 (RGPHAE 2013). Dans ce document, on y apprend que le taux de chômage au Sénégal se situe à 25,7%, soit 951 975 personnes en chômage. Les jeunes chômeurs âgés de 15 à 34 ans représentent près de 60% de ce chiffre. Ce qui fait qu’ils constituent la catégorie de la population sénégalaise la plus touchée par le chômage avec des taux de chômage compris entre 24,4% et 32,8%. En termes simples, entre le quart (1/4) et le tiers (1/3) des jeunes âgés de 15 à 34 ans est au chômage.
La même institution, l’ANSD, revient une année plus tard pour nous faire savoir, à travers les résultats de son Enquête nationale sur l’emploi au Sénégal (ENES) du second trimestre de 2017, publiés en septembre de cette année, que le taux de chômage au Sénégal s’établit à 12,5%. Toujours selon ces résultats, le chômage des jeunes de 15 à 34 est au-delà du niveau national en s’établissant à 15,2%.
En une année, l’ANSD nous fournit deux taux de chômage extrêmement contradictoires : 25,7% tirés des résultats du RGPHAE 2013 et 12,5% issus des résultats de l’ENES. On passe ainsi, sur un laps de temps, à une réduction de 50% du taux de chômage grâce à un changement du mode de calcul ! En effet, les données du RGPHAE 2013 portent sur la situation des individus au regard de leurs activités habituelles (c’est nous soulignons) appréciée sur une période de référence de 12 mois, tandis que celles de l’ENES portent sur leurs activités du moment (c’est nous qui soulignons) appréciées à l’intérieure d’une période de référence très courte (généralement 1 semaine).
La seule question qui vaille est de savoir à quel taux de chômage faudrait-il se fier pour avoir une bonne lecture de la situation ?
Plusieurs personnes et spécialistes pensent que le taux de chômage tiré des résultats du RGPHAE 2013 est plus proche des réalités que vivent les sénégalais. Il reflète le vécu quotidien qu’endurent tous les sénégalais qui ne parviennent pas à trouver un emploi salarié pendant plus de trois mois à l’intérieur d’une période de 12 mois. Il est vrai que le taux de 12,5% est plus conforme aux normes internationales en la matière particulièrement celles de l’Organisation internationale du travail (OIT). Toutefois, il convient de rappeler que ces normes internationales de calcul du taux de chômage sont basées sur des périodes de référence très courtes et sont plus adaptées aux marchés du travail occidentaux dont le principal signe distinctif est leur caractère formel. Or, au Sénégal (et dans les pays sous-développés), le secteur informel occupe une place prépondérante dans le marché du travail. En effet, selon un rapport officiel relatif au diagnostic sur l’emploi des jeunes au Sénégal publié en 2014, plus de 90% des emplois des jeunes se trouvent dans le secteur informel dont 80% en milieu urbain et 98% en milieu rural. Mieux, dans le secteur informel, toujours selon ce rapport, la majorité des jeunes sont des travailleurs indépendants (46%) et aides familiaux (33%). Par conséquent, un taux de chômage de 12,5% dans le contexte sénégalais actuel est loin de la réalité. En dépit de cette divergence, somme toute fondamentale, les deux modes de calcul du taux de chômage s’accordent sur un point : les jeunes de 15 à 34 ans constituent la catégorie de la population qui a subi et qui continue de subir le niveau de chômage le plus élevé. Ce qui donne une indication sur l’échec de Macky Sall et de ses différents gouvernements.
Ibrahima Sadikh NDour ibasadikh@gmail.com