Entre saisie de munitions et de drogues au large de Dakar : les eaux sénégalaises sont-elles sûres ?
SENTV : Le 1er décembre, le navire « Eolika », battant pavillon guyanien, atteint le port de la Spezia. Ce cargo flottant doit transporter une marchandise pas comme les autres. La République dominicaine, une île qui se trouve aux Caraïbes, a commandé des munitions au fabricant italien, Fiocchi Munizioni. Il s’agit de cartouches de calibre 5.56 mmX45 mm pour l’armée et des balles réelles de calibre 9 mm ainsi que des balles à blanc pour la police. La commande n’arrivera jamais à bon port.
Le transporteur qui devait faire une seule escale à Las Palmas, aux Iles Canaries, a jugé opportun de prolonger le voyage et de descendre plus au sud. Le 19 décembre, ce navire qui appartient à une compagnie suisse mais dont l’exploitation est confiée à un armateur grec, débarque dans les eaux sénégalaises.
Le comportement de l’équipage constitué de trois citoyens ukrainiens attire l’attention des douaniers. Leur curiosité sera payante car une fouille des conteneurs révélera le pot aux roses. Les soldats de l’économie découvrent les munitions qui seront aussitôt saisies et l’équipage mis à la disposition des gendarmes pour les besoins de l’enquête. La tempête médiatique qui a accompagné cette affaire fait sortir Fiocchi de son silence.
En effet, c’est à travers un communiqué envoyé à Dakaractu que le fabricant italien reconnaît être le producteur des munitions et donne des détails sur la destination. Mais le leader mondial de la fabrication de munitions de petit calibre ne cache pas sa stupéfaction quant à l’étape du Sénégal qui n’était pas selon lui, inscrite sur l’itinéraire.
Se pose alors la question de savoir ce que faisait « Eolika » dans nos eaux ? Les membres de l’équipage étaient-ils tout simplement de passage au Sénégal pour s’approvisionner en carburant comme ils ont voulu le faire croire ? Cette affaire révèle-t-elle l’existence d’un réseau de trafic d’armes et de munitions en vue de la déstabilisation d’une région ou d’une autre de la planète ?
Autant de points d’interrogation que l’instruction devrait élucider avec l’aide ou la coopération du manager de la société Fast Marine Corp, Theodoros Rellos, coffré au même titre que ses employés par la justice sénégalaise.
Qu’à cela ne tienne, cette affaire pose avec acuité le débat sur la vulnérabilité de l’espace maritime qui, ces dernières années, est utilisé à outrance par des malfaiteurs. Les nombreuses saisies faites par les différents corps chargés de surveiller nos côtes et les unités douanières en faction au port de Dakar l’ont démontré.
Entre le 26 juin et le 1er juillet 2019, la Douane sénégalaise avait mis la main sur 1110 kg de cocaïne cachés dans des véhicules de marque Renault en provenance du Brésil. Cette grande quantité de drogue était transbordée et devait reprendre la route à partir de Dakar pour l’Europe. À l’époque, cette grande prouesse de la douane avait soulevé un grand débat autour de l’implication de sénégalais dans ce trafic international de drogue. C’était le cas dans la mesure où des nationaux se sont fait arrêter pour leur supposés liens avec les narcotrafiquants. Cependant, cette opération n’a pas ralenti les activités ces derniers qui sont déterminés à faire du Sénégal une zone de transit de choix.
La fréquence avec laquelle ces saisies sont réalisées prouve la grande mobilisation dont la traque des trafiquants fait l’objet au sein des services spécialisés. En même temps, elles servent de baromètre pour mesurer l’intérêt suscité par l’Atlantique chez les narcotrafiquants et les malfaiteurs, en général.
Dans un entretien avec Rfi, le directeur régional de l’ONUDC, admet que « l’Afrique de l’Ouest est devenue une plaque tournante du trafic de la résine de cannabis ». Pas que. Les récentes opérations qui ont permis aux forces de défense et de sécurité de récupérer plusieurs dizaines de tonnes de cocaïne montrent qu’il y a un réel attrait pour les réseaux de trafiquants en Afrique de l’Ouest. Qu’est-ce qui peut l’expliquer ?
Amado Philip de Andrés convoque l’émergence d’une base de consommateurs locaux des drogues différentes du cannabis au niveau régional. L’exemple du Sénégal qui compte officiellement 24.000 toxicomanes qui consomment aussi bien le cannabis que les autres drogues est assez illustratif. Une mutation inquiétante appelle chez les narcotrafiquants un changement de méthodes.
« En 2008, les narcotrafiquants utilisaient des sous-marins fabriqués en Amérique du Sud. Mais depuis 2019, 2020 et 2021, ils utilisent plutôt des bateaux de pêche, qui ont été adaptés pour pouvoir acheminer à chaque voyage entre une tonne et une tonne et demi de cocaïne », fait constater le Directeur régional de l’ONUDC qui ajoute plus loin que « de plus grosses quantités sont souvent transportées par conteneurs sur les lignes commerciales ».
C’était le cas en 2019 avec le Grande Nigeria de l’armateur Grimaldi. « Ce qui a changé aussi, poursuit Amado Philip de Andrés, c’est que les réseaux de trafiquants sont devenus multinationaux. On continue à voir des Européens, principalement en provenance des pays destinataires de la cocaïne comme les Balkans, mais on voit aussi maintenant de plus en plus de Sud-Américains et des citoyens des pays de la région », expertise-t-il.
En face, des moyens logistiques conséquents ont été mobilisés pour répondre aux enjeux de l’heure. Dans son budget 2021, le ministère des Forces armées avait prévu l’acquisition d’un CASA-235 ainsi que des vedettes pour un coût de 5 milliards FCFA. C’est d’ailleurs avec l’appui de l’avion de patrouille maritime CASA-235 que la Marine a pu immobiliser le bateau « La Rosa » qui transportait 2 tonnes de cocaïne au large de Dakar. Une belle preuve de la nécessité d’équiper les forces de sécurité pour surveiller les eaux mais aussi pour intervenir à temps pour mettre hors d’état de nuire les malfaiteurs, quelles que soient leurs motivations. Il y va de la réputation du Sénégal.
Dakaractu