La condamnation arbitraire du maire de Dakar, essentiellement coupable d’ambition politique légitime et la sévérité de sa peine, loin de constituer une surprise, entrent dans la logique diabolique d’un pouvoir prêt à tout pour obtenir un second mandat.
On ne peut manquer de remarquer le faible montant de l’amende infligée aux principaux accusés, eu égard au préjudice financier, qui leur était reproché. Veut-on laisser une dernière chance pour la signature d’un obscur protocole, dans une ultime tentative d’obtenir une renonciation de Khalifa Sall, à ses ambitions présidentielles ? De ce que son attitude a donné à voir jusqu’à présent, on peut douter que celui qui préside encore aux destinées de la Ville de Dakar se prête à cette ignominie.
La sanction pénale prononcée par le magistrat en charge de l’affaire, loin de relever de sa seule responsabilité, n’est que le dernier maillon d’une chaîne judiciaire bien huilée mais pervertie, dont usent et abusent toutes nos démocraties tropicalisées. De fait, la qualification initiale des faits par le Procureur, bras armé de l’Exécutif, est déterminante dans l’issue d’un procès, encore que l’exemple du juge Ibrahima Dème devrait inciter nos braves magistrats à plus d’honneur et de dignité. Dans le cas d’espèce, il n’a pas été assez tenu compte du contexte de mise en place de la Caisse d’avance, à un moment où les collectivités locales fonctionnaient comme des appendices du Parti-Etat, dans une optique de clientélisme politicien et partisan. Il faudra attendre les locales de 2009, quand plusieurs grandes villes de notre pays, dont Dakar la capitale furent remportées par l’Opposition, pour que des bisbilles commencent à apparaître concernant l’utilisation de ces fonds politiques, qui auparavant, avait toujours fonctionné, comme une caisse noire et opaque, au profit du parti au pouvoir.
Au-delà de la légitime indignation suscitée par cette nouvelle atteinte aux droits et libertés des citoyens, il est temps de jeter un regard critique sur l’attitude des partisans de Khalifa Sall et par extenso, sur celle de l’Opposition.
Leur plus grande erreur est l’importance disproportionnée accordée aux questions de procédures, alors que notre système judiciaire est reconnu, depuis toujours, comme étant assujetti à l’Exécutif.
L’Opposition pèche aussi, en conférant une dimension anecdotique aux agissements du pouvoir, alors qu’ils relèvent d’enjeux fondamentaux de la vie politique de notre pays, à savoir, la séparation et l’équilibre des Institutions. En effet, l’instrumentalisation de la Justice, dont vient d’être victime un rival du Président, constitue une des questions centrales de cette problématique, à côté de la vassalisation du pouvoir législatif et de l’hypertrophie présidentielle.
Après les désillusions consécutives à l’absence de ruptures véritables, durant les alternances de 2000 et 2012, il ne serait pas superflu que l’Opposition, dont certaines composantes gagneraient à procéder à une autocritique sincère, se réapproprie les principes d’une refondation institutionnelle, telle que proposée par la C.N.R.I, à la suite des Assises Nationales.
La lutte pour la libération de Khalifa Sall, malgré sa noblesse et sa justesse, doit s’intégrer dans le cadre global de l’Alternative, dont rêvent les masses populaires de notre pays. Notre histoire politique récente nous a suffisamment édifié sur l’interchangeabilité de nos hommes politiques et leur propension à la servilité – basée sur le partage de privilèges et prébendes – face à l’Institution présidentielle hypertrophiée.
C’est pour cela, que les éternelles diatribes contre les méfaits itératifs de l’équipe au pouvoir ne peuvent plus suffire pour bénéficier de la confiance d’un électorat désabusé. Il est temps, à défaut d’un front unitaire, de mettre sur pied une plateforme programmatique centrée sur la refondation institutionnelle, en mettant le focus sur la défense des libertés et l’indépendance économique.
Dr Mohamed Lamine LY