SENTV : Rendant compte de sa visite au Sénégal, Agnès Callamard, la Secrétaire générale d’Amnesty International, formule des critiques, à tout le moins sévères, sur l’état des libertés publiques, en visant en particulier les restrictions apportées, selon elle, par le Gouvernement au droit de marche. La réaction du Ministère de la Justice a rétabli à mon sens la vérité factuellesur ces accusations. La démarche du Ministère était nécessaire et utile. Elle n’épuise toutefois pas tout le débat, au fort relent politique, lancé à la hussarde par l’organisation internationale de défense des droits humains. Débattons, alors !
Entendons-nous bien ! Il ne s’agit point pour nous de faire le procès d’Amnesty International, en tentant de mettre en doute, et ce, de quelque manière que ce soit, la qualité du combat pour les droits humains que cette organisation non gouvernementale a engagé à travers le monde, depuis 1962. Parfois avec de francs succès et en d’autres circonstances avec des réussites nuancées !
Cependant, nous devons à la vérité de reconnaître que cette lutte a connu,par moments et, en certains endroits,des limites évidentes. Aussi, peut-on émettre des réserves, face à certaines pratiques dans cette lutte qui nous paraissaient parfois discriminatoires et sélectives, à certains égards, en raison d’une idéologie portée, voire sciemment colportée.
Remontons un peu le cours de l’histoire pour saisir mieux le sens du propos, en pensantsurtout à l’attitude de l’ONG, face à la lutte contre l’Apartheid. Sans oublier également son rapport prudent avec le combat actuel des Palestiniens.Pas plus tard que la semaine dernière, à l’annonce de l’arrivée à Dakar de la patronne de cette organisation, j’ai relu un texte faisant le bilan des combats menéspar l’organisation pendant plus de 60 ans à travers le monde et en faveur des droits humains.
Au terme de ma lecture,m’est revenu en mémoirel’intérêt très mesuré, pour dire le moins, affichépar Amnesty face àla lutte contre l’Apartheid. Ce peu d’intérêta marquéla pratique de l’organisation face à certaines luttes (de libération) engagées au nom de la libertéhumaine depuis la naissance d’Amnesty et pendant presque toute son existence. Ce peu d’intérêt relève d’une philosophie d’action voulue et organisée au départ.
L’avocat britannique du nom de Peter Benenson, fondateur d’Amnesty International a pu écrire les mots suivants : « Ouvrez votre journal, n’importe quel jour de la semaine, et vous verrez que, quelque part dans le monde, quelqu’un a été emprisonné, torturé ou exécuté parce que ses idées ou sa religion étaient intolérables pour son gouvernement. Le lecteur ressent écœurement et impuissance. Mais si ces sensations éprouvées aux quatre coins du monde pouvaient être réunies en une action commune, alors quelque chose d’efficace pourrait se produire. »
Cette action commune dont parle l’avocat britannique a été traduite dans les faits par la mise en place et la naissance d’Amnesty international.J’ai toujours été frappé de constaterl’absence de la notion de ségrégation raciale dans la nomenclature destermes sacralisés qui peuvent justifier l’engagementd’Amnestypour appuyer des cas particuliers de lutte pour le respect des droits humains.
Ceux-ci étaient habitués à parler de persécutions de personnes pour leurs options religieuses, pour des idées qu’elles portent, ou des opinions exprimées et non acceptées par leurs gouvernements, pour justifier leur mobilisation en faveur de ceux qui en étaient victimes.
On note l’absence dans la liste originelle des personnes secourues par Amnesty International,celles qui étaient victimes de persécutionsdu fait de la couleur de leur peau. Or, au moment de la naissance d’Amnesty la question majeure et la plus cruciale adressée à l’Humanité en matière de défense des droits humains, était sans aucun doute la ségrégation raciale.
Cette omission n’était pas anodine, elle est certes le reflet d’une époque, mais ellen’en est pas moins la manifestation d’une idéologie concoctée dans des laboratoires de pseudo anthropologie où les thèses les plus saugrenues de missions civilisatrices des peuples noirs par l’Occident ont été forgées et affinées.
Cette idéologie douteuse parlait du cas de Mandela et de celui de tous ceux qui ont été emprisonnés en Afrique du Sud,du fait de leur implication dans la lutte contre l’apartheidet de leur origine raciale, de crime de droit commun, pour pouvoir qualifier de terroristes, d’authentiques combattants de la liberté.
Ainsi,Amnesty international pour tout soutien à Mandela se contentera d’envoyer un observateur au procès historique de ce dernier et de ses compagnons d’infortune : GovanBecky, Walter Sissulou, Jacob Zuma, pour ne citer que ceux-là.
A l’époque l’organisation (encore jeune) de défense des droits humains n’avait pas accompli d’actes majeurs en faveur de la lutte de Mandela et pour tous ses codétenus avec qui il aura purgé de longues et injustes peines.Le cas échéant, Amnesty international l’aurait dit, à l’image de ce qui a été fait ailleurs et dans d’autres cas.
Nous citons dans cet esprit et volontiers les cas des quatre étudiants portugais victimes de la barbarie dupouvoir dictatorial et corporatiste d’António de OliveiraSalazar qui dirigea le Portugal de 1933 à 1974.
Par ailleurs, Amnesty international rappelle souvent son action menée en 1973en faveur de Luiz Basilio Rossi, un professeur brésilien arrêté par la dictature militaire sanguinaire de l’époque qui régnait dans ce pays. Un intellectuel brillant arrêté et torturé pour des motifs politiques.
Je rappelle tout cela, pour mettre davantage la lumière sur certaines tares de cette organisation internationale qui, dans certains cas de défense des droits de l’homme, fonde parfois son action sur une dimension idéologique et politique presque en porte-en-faux avec les principes proclamés.
Sa pratique est parfois polluée par des tares qui peuvent parfois l’amener à faire dans une indifférence sibylline (le cas de la Palestine), à édulcorerdes faits, c’est le cas avec la dernière visite de sa première responsable au Sénégal, pour tenter de discréditer un Etat qui serait à ses yeux un fossoyeur des droits humains.
Face aux statistiques fournies sur le traitement légal réservé aux déclarations de marche reçues par l’Administration sénégalaise, pour démentir Amnesty, on saisit bien à travers les explications du Ministère la tentative de manipulation de faits qui structure la déclaration tapageuse de la Secrétaire générale d’Amnesty, Mme Agnès Callamard.
Dans le cas d’espèce, Mme Agnès Callamardest victime elle-même de la tromperie de ses représentants régionaux, pour ne pasdire locaux, qui vont faire valoir auprès d’elle des points de vue politiques non documentés scientifiquement, pour inspirer des prises de positions de leur organisation qui sont mal fondées de jure comme de facto.
Pour tout dire, tout utile qu’il soit aux yeux de nombreux citoyens du monde, Amnesty international porte volontairement ou à son insu une « mission de civilisation universelle » qui est une tâche marquante dans sa façon de parler des droits humains et de les défendre. Cela apparaît comme un lourd biais dans ses prises de position.
A l’image de l’Occident d’où elle origine, lui-même souvent pris sur les questions de portée sociale, politique et culturelle dans le piège d’un eurocentrisme réducteur, Amnesty en arrive parfoisà considérer que la cause qui mobilise certaines minorités, comme celle du mouvement LGBT, doit être reçue, traitée et enfin consacrée de la même façon qu’elle est vue et sacralisée dans les pays occidentaux.
Cet universalisme saugrenu étonne aux yeux de nombreux pays, en particulier ceux d’Afrique, du Proche Moyen et d’Extrême Orient.Le mépris qui peut résulter d’une telle attitude met le doute dans les esprits et créé une suspicion légitime.
Le Sénégal, comme toutes les nations démocratiques du monde, se doit davantage d’assurer la protection des droits humains chez lui. Cependant, nul groupe d’activistes, quelle que soit la cause portée, nulle organisation de défense des droits humains, Amnesty international y compris, ne peut le couvrir d’opprobre.
Ils n’y arriveront jamais en tentant, injustement, sous l’influence des positions politiques de leurs représentants locaux, ou au nom d’une croisade idéologique colportée, flétrir ses avancées et ses acquis en matière de respect et de protection des droits fondamentaux humains sur son sol.
Notre pays est dans la bonne moyenne de tous les pays démocratiques du monde qui ont érigé (ils sont rares) le droit à la marche au rang de droit de nature constitutionnelle. Faut-il le rappeler à Amnesty international, ce droit de valeur constitutionnelle s’exerce dans le cadre tracé par la loi ? Et jamais en dehors, heureusement est-on tenté de souligner.
Faut-il le rappeler, en matière de conception et de respect des droits humains, le Sénégal s’inscrit dans la philosophie et dans le substrat juridique de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette charte est articulée autour de deux pôles : un premier un pôle qui consacre des droits individuels et un second mettant en avant la collectivité.
L’exercice des droits individuels consacrés (premier pôle)doit s’arrimer harmonieusement à ceux de la collectivité, (le deuxième pôle). Dès lors qu’il est établi qu’une marche met en péril, menace dangereusement les droits de la collectivité, le Gouvernement peut l’interdire, sous le contrôle du juge judiciaire, considéré comme le seul et l’unique gardien des libertés.
Ces condamnations à géométrie variable, sélectives à souhait, doivent cesser pour que la doctrine humaniste, universaliste affirmée et salutaire de cette ONG ne soit décrédibilisée définitivement. Mieux, l’ONG devrait davantage veiller sur la qualité des personnes sensées porter, au niveau des pays, ses idéaux et son noble combat pour une humanité plus juste et équitable.