« MONDIALISASSIONISME » ( Par Sidi Lamine NIASS) – Chapitre 3/ La Main Africaine Du Sionisme : Le Cas Du Sénégal

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I/ Les relations entre les Etats au nord et au sud du Sahara avec le sionisme : Fond et horizons

Vladimir Lénine disait : «Qui tient l’Afrique, tient l’Europe». Eu égard à leur position géographique stratégique, ouverts à l’océan atlantique et face à l’Europe et à l’Amérique, les pays maghrébins et ceux du Sahel revêtent une importance particulière.

Séparés de l’Occident que par la mer, ces pays du nord et du sud du Sahara intéressent particulièrement les occidentaux. Un intérêt exacerbé par les relations particulières que ces derniers ont tissées avec ces Etats qui comptent, pour certains, parmi leurs citoyens de nombreux juifs. De même, l’évocation de la souffrance des Africains, à travers notamment la traite négrière qui partait du sud du Sahara, avec un Sénégal plaque tournante du marché triangulaire entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique, donne à ces pays un poids et une visibilité.

Les premières étincelles liant l’Etat sioniste à l’Afrique ont été allumées au Libéria qui fut l’un des trois pays du monde à reconnaître l’Etat hébreu dès ses premiers instants. Il sera suivi par l’Ethiopie et le Ghana et la contagion finit très rapidement par atteindre tout le continent dont 23 pays vont établir des relations diplomatiques directes avec Israël, dès 1962[1]. Parallèlement, le conflit arabo-israélien a engendré un vaste mouvement diplomatique des pays arabes vulgarisant la légitimité de la cause palestinienne. Après la guerre de 1967, sept pays africains ont rompu leurs relations diplomatiques avec Israël. Une situation qui s’est empirée après la guerre de 1973 qui a incité 42 pays africains à rompre leurs relations diplomatiques avec l’Etat hébreu. Mais, à travers les supercheries de Camp David, de Madrid et d’Oslo, Israël a réussi à interrompre cette dynamique. Subtilement, il rétablit ses relations avec la plupart de ces pays africains.

II / De la cause palestinienne au marchandage : Le Sénégal, un laboratoire

Le premier président sénégalais s’est rendu en 1975 en Israël où il a été reçu en audience par le Premier ministre Golda Meir. Parallèlement, Léopold Sédar Senghor avait délégué son ambassadeur, un arabisant membre d’une grande famille maraboutique au Sénégal, en l’occurrence Moustapha Cissé, pour une mission coordonnée par le souverain chérifien Sa Majesté le roi Hassan 2 auprès du président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, au Liban. Une rencontre qui a posé les premiers jalons de la visite de ce dernier au Sénégal et l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays, ponctué par l’érection d’une ambassade palestinienne à Dakar dotée de moyens nécessaires et ouverte aux divers horizons pouvant, à l’avenir, jouer un rôle sur le plan politique.

Après Camp David, les congrès de Madrid, d’Oslo et de Wadi Araba (de 1978 à 2002), la marche de la cause palestinienne a changé de direction. Et Dakar y a joué un rôle de premier plan pour avoir accueilli le sixième sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) qui a, de façon préméditée, dissocié le mot «Djihad» de la résistance du peuple palestinien. Une manœuvre qui avait poussé le président de l’OLP à bouder les réunions, avant de revenir en sanglots après plusieurs médiations. Je fus, en tant que journaliste, témoin oculaire de cette tragédie qui s’est déroulée au Sénégal. Cette histoire, dans tous ces détails, avait été exposée dans un article exclusif publié par le journal Wal Fadjri[2] dont voici la teneur :

Sommet de l’OCI à Dakar : Et Arafat pleura

Par le journaliste Abdourahmane Camara

Un plaidoyer émouvant ponctué d’une sortie fracassante, puis d’une crise de larmes. Yasser Arafat aura tout tenté durant la nuit du 11 décembre 1991, en séance plénière du sommet, afin que la lutte du peuple palestinien reste pour la Ummah une guerre sainte. En vain. Images d’un sommet marqué par la division. Nos reporters ont pu suivre clandestinement des débats à huis-clos seulement réservés aux délégués.

Tard dans la nuit du 11 décembre 1991, dans la salle des Congrès du complexe du Roi Fahd. Yasser Arafat, le leader de l’OLP, est dans tous ses états et brandit un document :

«La Déclaration de la Mecque (Ndlr : adoptée en Arabie Saoudite par la troisième conférence au sommet en 1981) a été sapée dans ses fondements par le texte que nous propose la commission politique (présidée par M. Djibo Kâ). Je suis triste devant cet état de fait et les hommes de foi avec moi. Je le suis d’autant qu’on constate que c’est à Dakar même, un pays qui a beaucoup contribué au rayonnement de l’Islam et dans le combat du peuple de la Palestine, que la commission politique a décidé de transgresser la Déclaration de la Mecque. Nous aurons en effet transgressé cette déclaration en décidant, comme le propose la commission politique, d’éliminer de notre vocabulaire, de notre dictionnaire même le mot « Djihad » (guerre sainte). Dieu est pourtant témoin de cet engagement que nous avions pris solennellement à la Mecque après avoir prié devant le Tout-Puissant. «Si vous voulez faire plaisir à l’Amérique, vous pouvez le faire en adoptant une résolution, mais pas en reniant nos engagements. Nous avons l’obligation de les tenir. Sinon que vais-je dire, que vais-je répondre aux Moudjahidines qui se trouvent au Liban, en Syrie, en Jordanie et en Palestine en lutte contre l’ennemi sioniste. Que je leur ai menti et que leur guerre n’est pas sainte ? Que dirai-je à Abu Jihad (ex-numéro 2 de l’OLP assassiné en 1991 à Tunis), aux autres martyrs ? Que ce qu’ils ont fait jusqu’à ce que mort s’ensuive n’était pas un « Djihad » ? Qu’ils ne sont pas des martyrs ? Cette tenue que je porte depuis plus de vingt-sept ans, à quoi sert-elle donc ? Pouvons-nous passer l’éponge sur le « Djihad » dans la Déclaration de Dakar ? «Je lance un appel à votre conscience, Monsieur le Président (Ndlr : Abdou Diouf), et vous prie de ne pas souscrire à la proposition d’éliminer le « Djihad » de la Déclaration. (Se tournant légèrement vers le Chef de délégation d’une monarchie du Golfe, assis sur la même rangée que lui) Vous nous avez tout retiré : votre aide financière et votre soutien moral. Coupez-moi les vivres, ne me donnez plus d‘armes, mais laissez-moi ce mot. Il ne nous reste plus que ce mot et vous voulez aujourd’hui nous l‘enlever. Le « Djihad » est un devoir matériel et je demande au nom d’Al Qods et au nom de mon peuple que la Déclaration de la Mecque reste intacte. Je vous prie, Monsieur le Président, de ne pas permettre cette agression ».
Abdou Diouf : La parole est au rapporteur, M. Djibo Kâ.

Djibo Kâ : La commission politique n’a jamais décidé de produire telle quelle la déclaration de la Mecque. Elle a tenu à s’adapter aux exigences du monde actuel en pleine mutation. Elle a également tenu à consacrer tout un chapitre à la Palestine et au conflit israélo-arabe. Par ailleurs, je voudrais souligner que le Chapitre 1 est une proposition du Comité des 5 composé de la Palestine, du Liban, de la Jordanie, de l’Egypte et de la Syrie. L’OCI doit tenir en compte les réalités actuelles, mais ne renie pas pour autant ses fondements.

(Le président Arafat demande à nouveau la parole avec insistance et le président de séance finit par accéder à sa requête)

Yasser Arafat : Il semble bien que le document qui nous est soumis, n’est pas le même que la déclaration adoptée par le Comité des·5. Dans cette déclaration, en page 3, nous nous engagions à unir nos efforts pour libérer Al Qods, avant de confirmer notre détermination à user de tous les moyens pour obtenir cette libération. En page 5 de cette même déclaration proposée par le Comité des 5, nous engagions aussi I’OCI à soutenir le « Djihad » pour libérer les territoires occupés. Ce passage, comme le précédent, ne figure pas dans le document présenté par la Commission politique. Et je constate qu’à cinq reprises, le mot « Djihad » a été enlevé du document que nous avons proposé au nom du Comité des 5. Un passage entier de ce document, qui reprenait textuellement la Déclaration de la Mecque, a connu le même sort. Pourtant, c’est un honneur pour Dakar, Alger, Sanaa, Téhéran… de suivre, de s’inspirer de la Déclaration de la Mecque. Est-ce un tort de leur part ? Aucune partie de la Ummah (communauté islamique) ne saurait éliminer le « Djihad ». Qu’est-ce qui a changé pour qu’on veuille transgresser ce principe sacro-saint de l’Islam ? Je demande à mes frères de me répondre.

Abdou Diouf : (après avoir écouté l’intervention du délégué de l’Afghanistan qui soutient le président Arafat) Je demande au rapporteur de la Commission politique de répondre aux allégations (sic) du président Yasser Arafat qui a produit des preuves matérielles.

Djibo Kâ : Lorsque nous nous sommes retrouvés en commission politique, la première pierre d’achoppement a été le chapitre 1 de la Déclaration de Dakar. La délégation palestinienne a proposé que l’on se réfère à des passages de la Déclaration de la Mecque. Et un délégué de l’Egypte a demandé de quels paragraphes s’agissait-il. C’est ainsi que nous avons proposé la création du Comité des 5 qui nous a ensuite soumis une déclaration. Dans ce texte amendé, il n’est nulle part fait mention du « Djihad ». Enfin, j’avais dit en commission que ceux qui veulent saboter le sommet de Dakar se manifestent. Et je profite de l’occasion qui m’est offerte pour le répéter.

Abdou Diouf : Je crois que le débat peut être clos pour qu’on passe au vote.

(Une majorité des délégués des 44 pays représentés acclament pour entériner la nouvelle « déclaration » de l’OCI. Mais le président de l’OLP redemande la parole. Le président de séance lui notifie que le débat est clos, un consensus s‘étant déjà dégagé au sein de l’assemblée. Mais Arafat continue d’insister et le président Diouf de céder).

Yasser Arafat : Je voudrais attirer votre attention sur le fait que tous n’ont pas applaudi. C’est pourquoi je demande qu’on passe au vote à main levée. Il s’agit là d’une motion d’ordre.

Abdou Diouf : Nous sommes tous ici des musulmans et le mot « Djihad » nous intéresse tous. Ce que nous venons de faire, nous l’avons fait à partir des débats et du consensus dégagé en commission.

Yasser Ararat : Monsieur le Président.

Abdou Diouf : Monsieur le Président Arafat. Vous n’avez pas la parole.

Yasser Arafat : Monsieur le Président… Monsieur le Président…

Abdou Diouf : Il faut qu’il y ait une autorité et je suis quand même le président de séance. Le débat est clos sur la Déclaration de Dakar.

Yasser Arafat : Par conséquent, je me retire des travaux.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le président Arafat quitte la salle de conférence avec fracas pour regagner ses appartements privés situés dans l’aile opposée à celle où continue de se tenir la plénière. A ses trousses se lance l’ambassadeur Moustapha Cissé qui tente de le faire revenir dans la salle de conférence. Non seulement Arafat ne veut rien entendre, mais les membres de sa délégation appellent les journalistes à une conférence de presse improvisée dans la suite du président de l’OLP.

Ce fut la ruée dans l’espoir d’un « scoop ». Arafat fit dire par un de ses collaborateurs qu’il serait à nous dans six minutes. Seulement voilà que le président Omar Bongo se pointe en compagnie de délégués algérien et tunisien dans la suite du leader de l’OLP. La minute suivante, le garde du corps d’Arafat prie les journalistes de débarrasser le plancher. Les gendarmes font le vide dans le couloir. De conférence de presse, il n’y aura point. Puisque, à peu près deux minutes après l’évacuation des journalistes, le président Arafat, en pleurs, ressort de sa suite présidentielle en compagnie du président Bongo qui, main dans la main, le ramène dans la salle de conférence.

L’incident était dès lors clos et le soulagement du nouveau président de l’OCI n’était guère feint.

Par la suite, le onzième sommet de l’OCI, tenu à Dakar, en 2008, avait jeté les bases d’une coopération islamique qui relègue les questions politiques en arrière-plan et laisse place au développement sans enlever, sur le texte, les fondements de l’organisation. La coopération économique était désormais au centre des préoccupations d’où l’adoption, toujours à Dakar, d’une nouvelle charte officialisée comme suit : La présente Charte (la Déclaration de Dakar) remplace la Charte de l’Organisation de la Conférence islamique enregistrée, le 1er février 1974, conformément aux dispositions de l’Article 102 de la Charte des Nations Unies. Fait à Dakar, République du Sénégal, le sept Rabia al awwal mille quatre cent vingt-neuf de l’Hégire correspondant au quatorze mars deux mille huit[3].

Et, en définitive, le rôle du Sénégal dans le deal du siècle est conforté et consolidé par le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Me Sidiki Kaba, avec sa visite en Israël et son passage à Al Qods et au Mur de lamentations. Déplacement qu’il va, par la suite, confirmer comme ayant été une visite officielle. Ce qui laisse entendre qu’il était parti baliser le chemin menant au transfèrement de l’ambassade des USA à Al Qods et la reconnaissance de celle-ci comme capitale de l’Etat hébreu. D’autant que sa visite est intervenue deux mois avant le transfert de l’ambassade des USA à Al Qods qui a coïncidé avec le 70e anniversaire de la Nakba (Catastrophe). Le ministre Sidiki Kaba, dans sa déclaration[4], indique ne pas regretter sa visite malgré les critiques qu’elle a suscitées. En soutenant qu’il s’agissait d’«une mission d’Etat», il laisse paraître un maillon de la chaine qu’est le rôle du Sénégal dans ce dossier du sionisme dans le temps.

Ensuite, est venue une autre déclaration d’une autre personnalité, Monsieur Idrissa Seck, ancien Premier ministre du Sénégal, opposant et candidat à la présidence de la République. Il débarque juste après le transfert de l’ambassade des Usa à Jérusalem et au moment de la célébration du 70e anniversaire de la Nakba, pour déclarer que le conflit entre Israéliens et Palestiniens peut être considéré comme une simple dispute entre demi-frères et qu’elle peut trouver solution au Sénégal qui a l’habitude de reconcilier des demi-frères avec la pratique de la polygamie.

Nos tirons comme conclusion de toutes ces manœuvres successives de 1975 avec la visite de Senghor en Israël et les relations qu’il a tissées avec l’OLP jusqu’au moment des négociations du sixième sommet de l’OCI en 1991 avec tout ce qui a été décidé pour dissocier le mot « Djihad» de la lutte palestinienne afin que celui-ci devienne un premier pas vers la généralisation et la criminalisation, voire bannissement. Ainsi la notion de terrorisme remplace maintenant le concept du Djihad enterré vivant pour en faire une jurisprudence source de lois. Puis est venu le 11e sommet de l’OCI qui adopta le changement radical et décisif du nom de l’organisation qui, de conférence islamique, est passé à coopération islamique. Et en fin, le transfèrement de l’ambassade des USA à Al Qods annoncé par la visite du chef de la diplomatie sénégalaise, indirectement appuyée par l’opposition, le Sénégal devient une fabrique, un laboratoire de résolutions stratégiques et sensibles de la judaïsation du monde, malgré la petitesse de sa taille et son envergure politique. Le Sénégal reste devant l’observateur comme une passerelle faisant passer une décision et une corde nouant les plans les plus délicats.

Lire la suite (deuxième partie) vendredi prochain avec un retour à la case de départ d’Adan à Saddam Hussein, un nouveau choya qui n’épargne rien.

Par Sidi Lamine NIASS

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