SENTV : Monsieur le Président, cher frère et ami, de 2012 à ce jour, je ne peux compter le nombre de demandes d’audience que je vous ai adressées. Mais elles sont toutes restées sans suite ! Aussi, en tant que leader d’un des deux partis signataires de Dekkal Ngor, la première coalition électorale qui vous avait permis de contrôler une quinzaine de collectivités locales en 2009, un allié resté engagé, fidèle et loyal depuis lors, je suis obligé de m’adresser à vous par cette voie. Si l’estime et l’affection réciproques que vous prétendez avoir à mon égard sont avérées, cette missive ne vous laissera pas indiffèrent.
Cher ami, je voudrais tout d’abord vous signifier que j’ai décidé de voter pour vous en 2024, une candidature non encore déclarée mais tellement évidente. Quelle absurdité ! C’est inédit !
Président, c’est une perte de temps de vouloir avancer à visage masqué pour ce qui est devenu un secret de polichinelle : votre candidature en 2024 ! Vos alliés, sauf moi, voudraient en être édifiés. C’est le minimum de respect que vous leur devez puisqu’ils ne méritent pas le mauvais procès dont ils font l’objet, simplement parce qu’ils ne peuvent pas se prononcer pour ou contre une candidature qui n’existe pas encore sans faire voler en éclats ce qui reste de leurs partis politiques que le compagnonnage dans Benno bokk yaakaar a fini de tuer. Président, avez-vous déjà levé sans le dire, l’interdiction de parler du 3e mandant avant la fin de votre mandat, toujours en cours ? Avez-vous oublié que vous avez sanctionné des collaborateurs, créant de fait une tension inutile au sein de votre entourage, pour avoir simplement évoqué cette question en public ?
Président, si on savait que vous étiez intéressé, on aurait pu poser objectivement le débat dès le lendemain de votre victoire en 2019, pour éviter autant de blessures, rancœurs et frustrations dans nos rangs. Si tel était le cas, toutes les victimes directes ou collatérales du «3e mandat», constituées d’hommes et de femmes de qualité et de valeurs qui se sont donnés corps et âme pour vous assurer une victoire éclatante en 2019, seraient restées à vos côtés et auraient renforcé notre camp. On aurait pu mener le combat ensemble et l’épuiser totalement, car rien ne prouve à ce jour que si le débat était posé en son temps, ces supposées ou prétendues «têtes brulées» vous auraient défié, vous et vos alliés loyaux et engagés que nous sommes ! Ce débat, posé avec responsabilité, aurait pu en effet être assumé et porté par notre camp, d’autant plus qu’à la veille de la réforme constitutionnelle de 2016, les juristes sénégalais de façon générale n’avaient pas eu un même point de vue sur la question. En plus, la candidature du Président Wade en 2012 est un cas de jurisprudence. Ces deux arguments seuls auraient permis de structurer notre discours et rendre le débat sur le 3e mandat lassant, et finalement insipide pour l’opinion, comme l’a été le discours sur le partage des profits dans les cas de l’exploitation du pétrole et du gaz que l’opposition avait agité entre 2016 et 2017, avant qu’il ne s’estompa. Si la parole avait été libérée plus tôt, on aurait pu éviter de faire courir autant de risques à notre cher pays ; mais vous avez préféré gérer cette question dans votre cour en oubliant que les alliés ont non seulement leur mot à dire, mais également ils sont intelligents et ont un vécu qui leur permet de traiter avec responsabilité des questions éminemment politiques de cette nature. Aujourd’hui, nous avons tous l’obligation de sauver notre pays, le Sénégal, qui vous a tout et tant donné, même si votre parcours scolaire, universitaire et politique fait de vous un bel exemple de réussite et une fierté nationale !
Cependant, les alliés vous reprochent surtout votre attitude de mépris ou de négligence consistant à les traiter, presque tous, comme de simples militants de base de votre parti. L’interdiction de parler du 3e mandat a été faite lors d’une rencontre avec des militants de votre parti établis à l’étranger, qui avaient évoqué votre possible candidature en 2024. C’était à l’occasion d’une visite que vous aviez effectuée dans ce pays d’accueil, mais l’interdiction de parler de cette question n’a jamais été discutée au sein de Bby pour permettre aux leaders de donner leur opinion, ne serait-ce qu’en interne, ce qui n’est pas très élégant vis-à-vis d’alliés qui vous ont tout permis, qui acceptent tout, sans broncher, et vous ont tout donné.
Président, méfiez-vous des membres de votre entourage qui vous disent que Bby n’existe plus et que ses leaders sont politiquement morts : «ils sont finis», disent-ils. Méfiez-vous également des «foules en liesse» qui pourraient vous éblouir au point de vous empêcher de voir la réalité ou de vous amener à adopter une démarche solitaire en ces moments, notamment pour ce qui concerne le champ politique que nous partageons, petits comme grands, riches ou pauvres. Rappelez-vous en effet du Président Abdou Diouf qui, en 2000, lors de la campagne électorale de l’élection présidentielle, enivré par les meetings où il était accueilli par des foules immenses, arrivait à peine à placer un mot, se contentant parfois de dire simplement : «Fi mok keu na !»
Rappelez-vous du meeting que le Pds avait organisé le 23 juillet 2011 sur l’ancienne piste où une personnalité de son régime évaluait la foule à trois millions de militants, au moment où le M23, qui célébrait le 1e anniversaire du 23 juin, n’était crédité, par son camp et la police, que d’une dizaine de milliers de personnes, essentiellement des «badauds».
Le meeting de clôture du candidat Abdoulaye Wade en 2012, selon les dires, est et reste un exemple de démonstration de force jamais vu. Par conséquent, drainer des foules dans une période comme celle-ci ne me semble pas déterminer l’issue aussi incertaine d’une élection comme celle vers laquelle nous allons.
Méfiez-vous de ceux qui vous attribuent des pouvoirs divins : omniscient, omnipotent, omniprésent. Vous êtes un mortel, par conséquent êtes capable de vous tromper de bonne foi ou simplement être victime de manipulations de votre entourage, du fait de vos collaborateurs directs et indirects, de vos services… de renseignements. Remettez-vous en cause Salleu Ngary lamtoro, burou guede. A l’instant où nous sommes, privilégiez les rencontres avec vos alliés ainsi que d’autres forces sociales dont des leaders de communautés. Echangez, discutez pour changer leur perception, reprendre l’initiative et reconquérir l’opinion qui n’est plus en phase avec nous. Une bonne partie des leaders et militants de Bby doutent à cause du traitement qu’ils subissent. Rencontrez-les et donnez-leur ce qui leur revient de droit : le respect et la considération, entre autres ! Le Doyen Jean-Paul Dias vous avait conseillé d’accorder plus de temps aux alliés et d’éviter de continuer à plancher sur les dossiers comme le ferait un Pm.
Lors de la réunion que nous avions tenue en 2016, au King Fahd à la veille de la campagne pour le scrutin référendaire, le défunt maire de Dakar, Mamadou Diop, avait également déploré votre inaccessibilité.
Certes, l’assistance pécuniaire que vous apportez à certains parmi nous est importante, mais ce n’est pas ce qu’on attendait du futur candidat en 2012 avec qui nous prenions le café et le thé chez «Dansokho» (qu’Allah ait pitié de son âme) au cours de nos nombreuses et interminables réunions. Nous nous attendions tous, en tant que leaders de partis politiques comme vous à l’époque, à réaliser notre rêve de servir l’Etat en occupant une haute fonction, être utiles à nous-mêmes, à nos familles et à la Nation. Nous ne nous attendions pas à être promus à des postions secondaires au sein d’institutions ou à tendre la main à la fin du mois pour survivre avec nos familles. Ceci était et reste toujours bien possible puisque nous ne sommes pas nombreux ! Beaucoup d’entre nous, dépités par cette situation, refusent d’aller applaudir ceux qui nous faisaient face lorsque nous étions à l’opposition et qui ne voulaient pas vous voir, même en photo.
Président, il n’est pas trop tard pour rectifier. Il suffit d’en avoir la volonté ! Rien en effet n’est perdu parce que nous avons un besoin ardent de recréer ce cadre enthousiaste et harmonieux, nécessaire pour lutter contre les nombreuses frustrations qui gangrènent notre coalition et instaurer progressivement la dynamique qui nous fera remporter la prochaine élection dès le 1er tour, sinon nous le regretterons tous. Et, dans cette perspective, aucun sacrifice n’est de trop et aucune personne ne devrait être négligée. Même les formations politiques qui ne peuvent pas remplir une cabine téléphonique, pour rependre les membres de votre entourage qui nous méprisent tant, doivent être bien considérées. Rencontrez-les, parlez-leur. Nous avons besoin de cela pour rallumer la dynamique et faire ressusciter l’esprit Benno qui est en train de mourir. Eh oui, il le faut, car la partie est loin d’être gagnée, d’autant plus que vous avez fabriqué un monstre !
Soyez moins «imperméable», car cela ne vous ressemble pas. Vous êtes un homme chaleureux, courtois, mesuré, sympathique, plein d’empathie et doté d’un magnétisme élevé. Vous connaissant, vous devriez souffrir intérieurement car vous aimez échanger, discuter, chahuter, choses que je peux attester puisque, entre 2009 et 2012, vous m’aviez fait le privilège de m’inviter chez vous plus d’une fois.
Président, sans risque de me tromper, 2024 serait l’élection la plus difficile, si Bby parvenait à tenir jusqu’à cette date. Il faut reconquérir votre base, nos bases qui ne sont plus aussi enthousiastes comme en 2012 et 2019 où l’espoir était permis. Car, dire à un acteur, engagé depuis longtemps en politique et ayant fait l’opposition à nos côtés de 2009 à 2012, qui patiente pendant douze années sans que sa situation ne s’améliore, que son sort sera meilleur en 2024, me semble intenable, à moins de lui donner des raisons objectives d’espérer.
Un mauvais dosage dans le traitement entre transhumants et militants-alliés authentiques, sources de frustrations et de contreperformances de la Coalition Bby
Président, je vous ai entendu dire en 2014, je vous cite : «Un leader politique, on le construit sur de longues années… Une fois qu’il est fait, il devient une réalité qui s’impose à tout régime au pouvoir.» Je vous le concède, sans être totalement convaincu. Cependant, je ne saurais être d’accord avec la stratégie qui consiste à remplacer les véritables acteurs de l’alternance de 2012 par des gens qui vous traitaient de «Deum-Noukhoor, Boukhaaba-Kheureum Katt» et d’autres insanités inqualifiables et inacceptables que nous n’osons pas reprendre dans ce texte. Cet acte est d’autant plus incompréhensible et inacceptable que ces personnes ne sont pas plus diplômées que nous autres, ni plus outillées politiquement. Elles ne sont également ni plus intelligentes, ni plus courageuses, ni plus combattives…, la loyauté n’en parlons pas car ils ont tous abandonné le Président Wade qui les avait promues à des postes qui leur ont conféré l’autorité qui vous a tant ébloui au point d’aller les chercher pour les ramener à vos côtés. Frustrant, non ! Non Président, vous n’avez pas ce droit ! Ce pouvoir est le nôtre, nous avons sué sang et eau pour l’avoir. Nous avions placé tous nos espoirs à ce régime, qui est nôtre, puisque nous n’avions ménagé non seulement ni nos forces, ni nos maigres sous, mais nous avions aussi risqué nos vies ainsi que celles de nos familles pour arracher le pouvoir des mains des Wade. Nous avions mené un combat épique ! Vous n’avez pas le droit de nous ignorer, d’ignorer cela ! Je vous rappelle que ces gens avaient difficilement accepté votre victoire en 2012. Au lendemain de cette alternance, au moment où certains de vos militants n’osaient pas les affronter, nous avions continué le combat contre eux pour sécuriser le pouvoir qu’ils adoraient critiquer avec une virulence inouïe, à chaque fois qu’ils en avaient l’occasion et partout, notamment sur tous les plateaux Tv et radios, ce qui avait occasionné l’intervention de la Justice pour dissuader certaines langues de vipère. Que ces gens prennent notre place dans vos cœurs amène à se demander à quoi servent la fidélité et la loyauté ! Ces alliés d’un nouveau genre, vos nouveaux alliés dont certains sont les chouchous de vos militants, devenus subitement et subtilement ardents défenseurs de la coalition dont ils se permettent même d’usurper le titre de leader pour parler et agir au nom de la conférence des leaders de Bby, avec la complicité de vos proches, frustrant l’essentiel des responsables et militants des partis alliés qui découvrent les images et propos dans la presse comme de simples citoyens. Président, ne cassez pas la jarre qui vous a abreuvé jusqu’à étancher votre soif et sachez que l’on ne vous pardonnera pas d’avoir jeté notre moisson par terre. Ce serait un passif lourd à supporter éternellement !
Parlez aux alliés pour reconquérir cette base, votre base, frustrée ! Faites-le et vous verrez les résultats. Vous avez le meilleur profit d’entre nous et personne n’a ni intérêt à retourner à l’opposition ni envie de faire un saut vers l’inconnu ! S’ils s’engagent, ils seront capables de rééditer le coup comme en 2012.
Réduire notre statut à celui d’un simple militant ou d’électeur, c’est méconnaître notre valeur. Nous sous-estimer, c’est faire fausse route ! Nous sommes des leaders, notre rôle est, entre autres, de convaincre l’opinion, de fédérer les militants et de faire adhérer les masses à votre programme, d’encadrer les militants et les électeurs. Les partis traditionnels ont fait le plein de militants et sympathisants, ils sont dans une phase de déclin, contrairement à nos formations qui constituent une réserve de militants pour la coalition. Si vous y investissez, le gain est certain puisqu’ils puiseront dans les rangs de vos adversaires, contrairement aux autres nombreux et nouveaux promus qui mobilisent vos militants déjà acquis à votre cause. Il est temps de penser et d’agir en faveur des leaders de partis alliés, qui sont avec vous depuis 2008, soit environ quinze ans durant, de façon digne, stoïque, engagée et loyale. Nous n’attendons que cela pour engager, sans délai, le combat de la remobilisation en vue de reconquérir les cœurs pour vous permettre de parachever la transformation sociale et économique du Sénégal, entamée avec le Pse.
Il est grand temps de se parler franchement, sinon à force d’attendre, vous perdrez des alliés.
Unis, nous vaincrons !
* Par Ibrahima BADIANE
Président de l’union des Forces Nouvelles (Ufn)
Membre fondateur de la Coalition Dekkal Ngor et de BBY