« Les errements du ministre de la Justice à propos du supposé caractère définitif de la condamnation d’Ousmane Sonko par Contumace » Par Me Babacar NIANG
SENTV : « Les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison, que j’appelle les clercs, ont trahi cette fonction au profit d’intérêts pratiques ». Cette parole prophétique de Julien Benda dans son ouvrage intitulé La trahison des clercs (1927), semble a priori être taillée sur mesure pour le « couturier constitutionnel de Macky Sall » qui s’improvise avec difficulté en théoricien de la procédure pénale. En effet, dans un entretien largement commenté paru dans les colonnes du dernier numéro de Jeune Afrique, le collègue publiciste et non moins ministre de la Justice opine que la condamnation d’Ousmane Sonko par contumace « est entre-temps devenue définitive ». Il explique que l’intéressé « avait donc la possibilité de faire « anéantir » cette condamnation puisqu’il n’a été ni présent ni représenté lors de son procès. À condition toutefois de se constituer prisonnier ou d’être placé en détention à l’initiative du procureur en vertu de la condamnation en question. Il disposait effectivement de ce droit et il a eu tout le temps nécessaire pour l’exercer. Or il ne l’a pas fait… »
Premièrement, l’assertion selon laquelle la condamnation d’Ousmane Sonko est devenue définitive est manifestement fausse. En effet, une condamnation par contumace est ontologiquement provisoire. Elle est assujettie à une purge par l’arrestation ou la reddition avant l’expiration des délais de prescription. L’article 307 du code de procédure pénale dispose en des termes clairs et précis que « l’arrêt de condamnation est anéanti de plein droit » sauf si le contumax y renonce par un acquiescement exprès de la condamnation. Souvent éludé par les commentateurs et chroniqueurs d’occasion ou de profession, l’article 316 du même code renchérit de manière redondante : « la décision et les procédures faites postérieurement sont anéanties de plein droit » dès que le contumax est à la disposition de la justice avant la prescription de la peine. L’article 724 du code de procédure pénale insiste sur ce délai en rappelant qu’une condamnation par contumace dont la peine est prescrite ne peut être purgée. Or, il appert de l’article 722 du même code que le délai de prescription d’une peine correctionnelle portée par un arrêt ou un jugement est de cinq (5) années révolues. En conclusion, la condamnation par contumace d’Ousmane Sonko ne peut être définitive qu’à partir du 2 juin 2028, s’il ne constitue pas prisonnier ou s’il n’est pas arrêté. Or, à ce jour, il est factuellement entre les mains de la justice. En conséquence, la purge met à la charge de l’autorité judiciaire une obligation positive d’accorder au contumax redevenu accusé un nouveau procès en sa présence et dans le respect des droits de la défense.
Deuxièmement, le postulat selon lequel le contumax, Ousmane Sonko, devait se constituer prisonnier pour faire anéantir la condamnation par contumax ou « être placé en détention à l’initiative du procureur en vertu de la condamnation en question » relève d’un manque de culture juridique et judiciaire. En d’autres termes, la distinction entre une arrestation en vertu de la condamnation par contumace et celle qui découle d’une autre procédure et qui n’entraînerait pas un anéantissement de plein droit de la condamnation est saugrenue. Une arrestation est définie comme le fait « d’appréhender au corps un coupable ou un suspect, au nom de la loi ou d’une autorité » (G. Cornu, Vocabulaire juridique). Aucune des dispositions précitées n’évoque le cadre de l’arrestation. L’argument selon lequel on ne distingue pas là où la loi ne distingue pas a été déjà évoqué par des analystes. Il en est de même du principe de la légalité de la répression qui proscrit d’inventer une situation légale nouvelle qui n’était pas prévue par la loi avant la commission des faits. La loi pénale est d’interprétation restrictive. Une interprétation large n’est admise que lorsqu’elle est favorable au coupable ou au suspect. En sus, il importe de préciser qu’un condamné à une peine d’emprisonnement par contumace a vocation à être arrêté. Aucun Etat respectueux des droits fondamentaux de procédure ne saurait exiger d’un contumax qu’il se constitue prisonnier pour espérer bénéficier de garanties procédurales. On rappellera opportunément qu’en 2001, dans l’affaire Dieter Krombach qui a valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, pour violation du droit à un procès équitable en raison de sa procédure de contumace, il a été jugé qu’ « il ne saurait être question d’obliger un accusé à se constituer prisonnier pour bénéficier du droit d’être rejugé dans des conditions conformes à l’article 6 de la Convention » car « ce serait subordonner l’exercice du droit à un procès équitable à une sorte de caution, la liberté physique de l’intéressé » (CEDH, 3e sect., 13 fév. 2001, affaire n° 29731/96). La France a été obligée de remplacer cette procédure moyenâgeuse par le défaut criminel.
En tout état, dès son arrestation et son placement en garde à vue ainsi que lors de son inculpation, le contumax Ousmane Sonko a expressément indiqué qu’il n’acquiesçait pas à la condamnation. Il a réitéré son refus d’approbation après son placement en détention.
Puisque le vocabulaire juridique et la grammaire n’ont plus aucun sens, que le ridicule ne tue pas et que la médiocratie est en vogue, il ne serait pas inconvenant qu’Ousmane Sonko adresse une correspondance au Greffe de la chambre criminelle du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Dakar pour indiquer qu’il est actuellement en détention provisoire depuis le 31 juillet 2023 et qu’il se constitue également prisonnier pour purger la contumace.
Par Me Babacar NIANG, agrégé des facultés de droit, Université Cheikh Anta Diop de Dakar.