Révélations fracassantes sur les migrants en Espagne

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SENTV : Originaire de Louga, Mame Cheikh Mbaye suit les traces de son père qui, durant quarante (40) ans, a œuvré dans le social aux îles Canaries. L’homme de trente-cinq (35) ans, après un baccalauréat de la série S2 et une année à la faculté des sciences économiques à l’Ucad, se voyait déjà au Réal Madrid ou à Barcelone quand son pater lui a réglé ses papiers pour des tests de Football en Espagne.

Le bonhomme ne deviendra certes pas le grand footballeur tant rêvé, mais il a, durant dix (10) ans, calmé le jeu migratoire aux Îles Canaries. Lui qui a son master en commerce extérieur a préféré travailler comme directeur de centre pour mineurs. Une carrière commence pour le président de la fédération des associations des Îles Canaries. Actuellement au Sénégal pour des projets de sensibilisation et de formation des jeunes, Mame Cheikh Mbaye qui a ouvert son cabinet, après plusieurs responsabilités dans son domaine, nous raconte le quotidien du migrant africain. Du Sénégalais en particulier. De la mer aux centres en passant par les artères de la galère.  

Depuis quand est née la fédération des associations africaines des Îles Canaries et quel est son rôle ? 
La fédération est née en 2008 et regroupe plus de quinze (15) associations, avec presque dix (10) pays africains. Le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc, la Gambie, la Guinée Équatoriale, entre autres. On l’a créée pour essayer d’aider les Africains dans leur intégration à Las Palmas. La fédération leur permet d’avoir, dès leur arrivée, une entité qui pourra les accueillir et les accompagner dans ce sens. Elle joue le rôle d’intermédiaire entre les Africains, les organisations sociales et le gouvernement Espagnol.

Comment se passe l’arrivée des bateaux aux Îles Canaries ? Faites-nous une description…
(Il soupire). C’est compliqué. C’est triste aussi. Le premier bateau est arrivé aux Îles Canaries en 1994. Durant presque trente (30) ans, les Africains prennent ces pirogues. En 2003, il y a eu un boom puis une pause du côté sénégalais. Ensuite, ça a repris. Actuellement, ce qui se passe est inédit. La fréquence avec laquelle ils viennent et l’état dans lequel ils arrivent fendent le cœur. Entre 2021 et maintenant, plus de 80 mille personnes sont arrivées. En octobre 2022, on avait décompté 3 000 migrants mais cette année, on est à presque 4.000. Au mois d’août, le nombre en provenance du Sénégal est inédit. Depuis un mois et demi, deux (2) bateaux de 160 ou presque arrivent quotidiennement. Les passagers de deux (2) pirogues en provenance de Fass Boye sont arrivés dans les îles Canaries sans compter celui qui a échoué.

Comment se déroule l’opération de secours ? 
« La croix rouge » fait les premiers soins ensuite la police prend le relais. Durant trois (3) jours, ils font les vérifications pour connaître les pays d’origine. Un numéro d’identification leur est donc donné, preuve de leur présence en Espagne. Il y a des jeunes qui sont déportés après leur arrivée (…) Il y a des accords de déportation, signés par le Maroc, la Mauritanie. Le Sénégal avait signé, du temps d’Abdoulaye Wade, mais le Président Macky Sall semble ne pas vouloir foncer dans ces accords. Pour ces pays qui ne veulent pas les signer, leurs citoyens sont déportés dans leur pays de départ. Certains donnent de fausses identités, mais une commission se charge de faire les vérifications idoines.

Quel est le sort des migrants qui ne sont pas déportés ?
Ça dépend. Il y a des adultes, des mineurs, des femmes dans les bateaux. L’État a l’obligation de protéger le mineur. Il y a donc des centres de mineurs gérés par le gouvernement local de chaque communauté. Dès leur arrivée, ils voient un médecin pour diagnostiquer leur état de santé, ensuite le juge pour l’identification de leur âge avec un test des os (Irm, Ndlr). Même si les résultats ne sont pas exacts à 100%, on a l’intervalle d’âge. Après, les éducateurs assurent le suivi. Si le mineur veut étudier, il est mis à l’école, s’il veut apprendre un métier, il est formé. Quant aux adultes, ils sont transférés dans le centre d’internement étranger «Cie». L’identification faite, ceux qui doivent être déportés le sont. Les autres ne peuvent rester plus de soixante (60) jours. Si les autorités n’arrivent pas, durant ces deux mois, à identifier le migrant, ils sont virés du centre. Beaucoup de Sénégalais se retrouvent dans la rue. Parfois la nuit, je suis obligé de les récupérer avec ma voiture en les emmenant à la « Croix Rouge ». Le Cie a une capacité d’accueil de deux cent (200) places. Une autre solution a été trouvée avec le « Plan Canaria », qui consiste à la création de macro centres de trois mille (3.000) personnes. Des organisations comme «La Croix Rouge» les gèrent. Les gens qui viennent en famille sont logés dans des centres spécifiques. Comme la loi les protège, certains migrants embarquent avec leurs enfants. D’ailleurs, beaucoup de femmes ont accouché dans les bateaux. Pour les musulmans, c’est moi qui signe les autorisations d’inhumation. L’année dernière, j’ai enterré trois (3) enfants. Ils avaient quatre (4), six (6) et neuf (9) ans. Ils venaient de la Côte d’Ivoire avec leurs mères.

Quel est l’état d’esprit du migrant qui se retrouve en terre étrangère dans une situation incertaine ?
C’est compliqué. Au centre de mineurs, on a eu à accueillir, en 2018, un enfant de neuf (9) ans qui était tout seul. Le garçon était venu en pirogue. Sa maman habite Mbour. Le psychologue m’a parlé du petit Sénégalais en sanglots, qui n’arrêtait pas de pleurer. Je l’ai trouvé en crise de larmes. Il m’a remis le numéro de sa maman à qui j’ai demandé de calmer son fils. A un moment donné, la maman croyait parler à son fils. Au bout du fil, elle lui disait : « Gorgorloul. Amal diom ». J’étais choqué. C’est encore un bébé (…) La phase juvénile est très compliquée. Un jour, un jeune homme a appelé son papa qui était à Barcelone. Son fils voulait venir le rejoindre mais il m’a carrément dit de le garder là-bas car lui-même peinait à s’en sortir.

«En larmes, une femme m’a dit avoir été violée par tous les passagers du bateau» 

Vous nous avez parlé des enfants, qu’en est-il des femmes ? Elles viennent ?
Avant, ce sont les Ivoiriennes, les Guinéennes…qui prenaient les pirogues. Maintenant, les Sénégalaises tentent l’aventure. Des fois, elles cachent leur origine. En Espagne, je fais partie d’une mission qui s’appelle : Défenseur du peuple. C’est comme le médiateur de la République. On fait le tour des centres pour voir les conditions dans lesquelles sont les émigrés en vérifiant s’il n’y a pas de choses à dénoncer. Un jour, à la fin de la visite, une femme s’est manifestée en me disant être Sénégalaise. Les enfants et les femmes, cette couche vulnérable, sont d’actualité. Ça fait un mois et demi, on a fait appel à moi pour le cas d’une femme qui était avec les gendarmes. Elle a été violée, selon le médecin. Mais, elle jurait que non. Durant une journée, elle a refusé de parler. Quand je suis arrivée, elle a pris peur et a fui. J’ai dit à ceux qui étaient dans la salle de sortir car il y avait beaucoup de monde et ça pouvait la troubler. Quand je me suis présentée, elle a fait tomber sa carapace et s’est confiée. Durant quatre (4) heures de temps, je suis resté avec elle. Finalement, en larmes, elle m’a dit avoir été violée par tous les passagers. Vous imaginez, des bateaux qui font au minimum soixante (60) personnes.

En dix ans d’expérience, quels sont les cas qui embuent encore vous yeux de larmes ? 
Ceux-là qui meurent en mer sont dans un état de putréfaction. Il suffit de les toucher pour que leur corps craque car il se décompose. Actuellement, à la morgue, il y a plus de cent (100) personnes non identifiées. On ne peut pas agir car les autorités estiment que seuls leurs parents peuvent les déclarer. L’autre fait qui m’a marqué est le fait que l’on séparait les enfants de leur maman. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et ça a mis fin à un vaste trafic. Des fois, des enfants arrivaient avec de fausses mères. Qui, de mèche avec des trafiquant, les revendaient pour la prostitution et autres. Un jour, on m’a appelé pour calmer une fillette de six (6) ans qui n’arrêtait pas de pleurer. Elle était une Ivoirienne et était séparée de sa mère. Elle souffrait tellement. Le lendemain, je l’ai emmenée auprès de sa maman pour qu’elle se calme. On s’est battu pour que les mères et les enfants ne soient plus séparés. Aujourd’hui, on a eu gain de cause.

« Dans les prisons, il y a beaucoup de Sénégalais »

Ceux qui ont échoué ont un traumatisme, mais ceux qui sont là-bas aussi… 
Bien sûr. Des gens ont vu leur frère mourir dans la pirogue et jeté en mer. Ils sont traumatisés à vie. Un jour, j’étais assis avec un jeune Sénégalais à la plage de Las Palmas. Je lui parlais, lui fixait l’océan. A un moment donné, il dit : Nous sommes de vrais fous. C’est par là que nous sommes passés ? (Rire). Il y a des gens qui ont un bon mental mais d’autres non. Aussi, dans les prisons, il y a beaucoup de Sénégalais. Les gendarmes arrêtent toujours les chefs de file s’ils sont identifiés. Dernièrement, un homme qui vit en Italie dont les deux fils sont incarcérés nous a contactés. Le capitaine de leur bateau est mort durant le voyage, il n’y avait personne pour prendre le relais, étant des pêcheurs, ils ont conduit la pirogue. Ils ont sauvé des vies mais sont arrêtés car les gendarmes parce qu’ils ont conduit la pirogue jusqu’au quai. Ils risquent au minimum trois (3) ans. Et s’il y a mort, d’homme dix (10) ans.
T. Marie Louise N. Cissé 

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