Il était l’invité mercredi soir de l’Association des étudiants de Sciences Po pour l’Afrique. Bien qu’affaibli par les années, l’ancien chef d’État s’est livré à un plaidoyer virevoltant en faveur la cure qu’il faudrait administrer au développement africain. Sans véritablement entrer dans le détail de sa prescription. Compte-rendu. Il avait promis de ne pas faire la leçon. L’ancien chef d’État sénégalais, reçu à Science Po mercredi 19 octobre au soir, assurait que les enseignants de la vénérable institution parisienne le feraient tout aussi bien que lui… Et pourtant, devant sa femme, Viviane Wade, mais aussi sa fille Syndiély Wade, ou encore l’ancien ambassadeur de France à Dakar Nicolas Normand et l’ancien ambassadeur de Djibouti à Paris Rachad Farah, Abdoulaye Wade s’en est donné à cœur joie.
Son intervention, dont le thème portait sur un audit, un demi-siècle après, du sujet de sa thèse de 1959 défendue à l’université de Grenoble et intitulée « l’Économie de l’Ouest africain : unité et croissance », a ainsi d’abord tenu du cours magistral. États généraux de la Révolution française de 1789, conférence de Yalta, fin de l’Afrique occidentale française… Tout, ou presque, y est passé avant que le surdiplômé, qui aime à être présenté comme avocat, économiste, mathématicien ou historien, n’en vienne enfin au cœur de son propos, se perdant souvent encore dans de nombreuses digressions (les centaines milliards de dollars de Mouammar Kadhafi bloqués dans les banques occidentales, la Grande Muraille verte dont l’ancien président avait repris l’idée au Nigérian Olusegun Obasanjo en 2005…).
CFA : « Je ne suis ni pour ni contre »
« Si rien ne peut justifier la colonisation, rien, elle garantissait des espaces communs et une unité monétaire qui n’existent plus et qui expliquent la moindre croissance que nous avons connue depuis », a-t-il exposé dans une analyse qui avait de quoi surprendre de la part de celui qui s’est souvent présenté comme une figure de la résistance à la colonisation.
Devant un auditoire plein à craquer, silencieux et tendu vers la petite voix fluette du nonagénaire, « Gorgui » (« le vieux » en wolof) comme l’appellent les Sénégalais, a poursuivi son intervention sur le thème de la monnaie. Un dossier dont, à l’entendre, il est selon lui « le dernier récipiendaire ». « Je l’ai encore avec moi, et personne n’est venu me le réclamer », a indiqué celui qui, lors de l’anniversaire des cinquante ans de l’indépendance, avait mis les pieds dans le plat au sujet de la réforme du franc CFA, alors jugée nécessaire.
Mais mercredi soir, Abdoulaye Wade a eu plus de retenue sur le sujet. Assis à la tribune au côté de Jean-Yves Gontier, un avocat spécialiste des arbitrages internationaux dans les contentieux entre entreprises notamment en Afrique, qui lui donnait la réplique, il s’est montré prudent. « Ce serait irresponsable de ma part de m’attarder sur le sujet. Je ne suis ni pour ni contre. Je suis pour une monnaie panafricaine qui ne pose aucun problème technique. Que des études soient faites, fixons le niveau de cette monnaie et on y gagnera […] C’est par la volonté politique qu’on va arriver à l’union monétaire ».
Ma seule critique du Plan Sénégal Émergent est qu’il n’y pas de Plan Sénégal Émergent
Des déclarations qui n’ont cependant pas eu l’air de captiver son auditoire qui l’attendait sur bien d’autres sujets plus actuels, à commencer par la récente libération de son fils Karim Wade, l’impact des ressources gazières découvertes au large du Sénégal et de la Mauritanie, la déconfiture du Festival mondial des arts nègres (Fesman), dont Syndiély Wade fut la déléguée générale, ou encore le bilan de la politique de son successeur, Macky Sall, en particulier son Plan Sénégal Émergent (PSE).
Feignant de ne pas vouloir « gêner [son] adversaire », Abdoulaye Wade y est tout de même aller d’une petite pique : « Ma seule critique du Plan Sénégal Émergent est qu’il n’y pas de Plan Sénégal Émergent. Un plan, il faut que ce soit un plan, avec des objectifs et des moyens pour y arriver », a-t-il tranché, chantant par contraste les louanges de son plan Omega, plus tard fondu dans le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), qu’il était d’ailleurs venu défendre à Science Po en avril 2003.
Après deux heures d’intervention, et après s’être frayé un passage à l’aide de deux gardes du corps entre les nombreux candidats aux selfies, l’ancien président a rejoint avec son épouse une berline affublée d’une plaque diplomatique qui bloquait la chic rue Saint-Guillaume. Pour filer à Versailles, où le couple est propriétaire d’une maison ? Le protocole, puisqu’il y avait encore des airs de délégation présidentielle autour de lui, ne l’a pas dit.