L’interprétation de la loi portant amnistie en droit facile (Pr Meissa DIAKHATE)*

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SENTV : Ma part de vérité sur l’abrogabilité ou non de la loi n° 2024-09 du 13 mars 2024portant amnistie, je l’avais déjà exprimée à travers deux papiers diffusés en pleine période de crise pré-électorale :

i) https://ceracle.com/la-loi-portant-amnistie-a-t-elle-un-avenir-par-meissa-diakhate-mamadou-salif-sane/ (27 février 2024) ;

ii) https://ceracle.com/la-loi-portant-amnistie-a-t-elle-un-avenir-par-meissa-diakhate-mamadou-salif-sane/ (11 mars 2024).

Par ces écrits, je faisais prospérer des réflexions sur le « débat autour de la révocabilité de l’amnistie » ou « l’irrévocabilité de la loi d’amnistie devant les juridictions nationales ».

Mais aujourd’hui, le débat se pose à l’Assemblée nationale sous une logique particulière : fallait-il interpréter ? En interprétant la loi portant amnistie, serait-il possible de mettre l’emphase sur la « réparation » et l’« imprescriptibilité » de certains actes d’extrême gravité ?

A cet égard, il est essentiel, au-delà des états d’âme et des faces cachées des praticiens du droit, d’exposer, en droit facile, la signification de la « proposition de loi n° 05/2025 portant interprétation de la loi portant amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024 ».

Certes, la vérité sur les hauts faits parlementaires aide à mieux clarifier le débat, mais les extravagances juridiques ne font que noyer actuellement la perspective d’une compréhension juste pour le citoyen, siège de la légitimité du droit.

En écho à cette remarque, nous livrons ici quelques analyses critiques mais didactiques sur la version initiale de la proposition de loi portant interprétation qui alimente le débat en cours sur l’amnistie.

La « loi d’amnistie » n’existe pas !
Ce premier point mérite une attention particulière, d’autant plus qu’il est récemment relevé, avec regret, dans les écrits d’un célèbre praticien du droit.

Existe-t-il une catégorie juridique appelée « loi d’amnistie ». En droit sénégalais, le Législateur emploie le plus souvent la notion de « loi d’amnistie ».

Juridiquement, nous n’enseignons que la « loi » au sens de loi ordinaire ou loi simple, la « loi organique » sur création ou renvoi de la Constitution et la « loi constitutionnelle » une contraction de la « loi portant révision de la Constitution ». En dehors de ces catégories, il est d’usage décrire « loi …… portant … ».

En droit, les mots ont leurs sens. Autrement dit, les mots donnent sens au droit. D’ailleurs, la tradition législative sénégalaise ne connait pas la notion de « loi d’amnistie » mais plus rigoureusement celles de : i) « Ordonnance n° 60-32 du 18 octobre 1960 portant amnistie » ; ii) « Loi n° 64- 08 du 24 janvier 1964 autorisant l’amnistie » ; iii) « Loi n° 67-05 du 24 février 1967 autorisant l’amnistie de certaines infractions » ; iv)« Loi n° 76-21 du 19 mars 1976 portant amnistie de plein droit des infractions à caractère politique » ; v) « Loi n° 81-18 du 06 mai 1981 portant amnistie » ; vi)« Loi n° 88-01 du 04 juin 1988 portant amnistie » ; vii)« Loi n° 91-40 du 10 juillet 1991 portant amnistie » et ix) « Loi n° 2024-09 du 13 mars 2024 portant amnistie ».

En tenant compte de ces précisions, il n’est pas heureux de rencontrer « loi d’amnistie » dans un écrit prétendu expert, de surcroît popularisé. Dans le même ordre d’idées, il est regrettable de lire, dans les cas de 2004 et 2005, les écarts légistiques « loi n° ……. portant loi d’amnistie » : viii) «Loi n° 2004-20 du 21 juillet 2004 portant loi d’amnistie » et ix)« Loi n° 2005-05 du 17 février 2005 portant loi d’amnistie ». S’agissait-il d’une trouvaille ou des errements d’un nouveau régime ? Y avait-il des raisons juridiques sous-jacentes ? Rien ne semble le prouver ! C’est simplement un amalgame sémantique.

En effet, la justesse d’esprit nous suggère d’adopter la bonne formule : « loi … portant amnistie » ou « proposition de loi … portant interprétation de la loi portant amnistie » ou toute autre formule plus conforme.

D’ailleurs, il nous faudrait certainement emprunter un langage propre à d’autres systèmes juridiques pour pouvoir relativiser voire contester cette affirmation.

2. Interpréter ou abroger ?

En droit international, aussi bien certains instruments (les quatre conventions et les trois protocoles additionnels dits droit de Genève, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 et le Statut de Rome) et principes (comme le jus cogens ou norme impérative du droit international général) que certaines expériences tirées du droit comparé renseignent sur le sens et la portée de l’abrogation d’une loi portant amnistie.

Sous l’angle du droit interne, l’abrogation se heurterait à une loi pénale : la « non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ». Corollaire du principe de légalité criminelle, ayant lui-même valeur constitutionnelle, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère signifie qu’une loi nouvelle plus sévère que la loi ancienne ne s’applique pas aux faits commis et non définitivement jugés avant son entrée en vigueur.

En vertu de ce principe cardinal du droit pénal, le recours à une loi portant interprétation, pour circonscrire le périmètre d’application de la nouvelle loi, semble être plus du ressort de la mesure. Abroger la loi portant amnistie équivaudrait simplement à un reniement législatif sur le plan pénal. La proposition de loi portant interprétation serait sans doute la solution intermédiaire, la moins nihiliste.

Telle que rédigée, sans tenir en considération les probables amendements d’origine parlementaire ou gouvernementale, la proposition de loi portant interprétation rétrécit le champ d’application de la loi portant amnistie de 2024.

A proprement parler, il n’est pas question, en l’espèce, de juger les crimes de sang ou des actes quelconques en fonction de leur gravité. Au contraire, c’est le rattachement « exclusif » du crime ou du délit à « une motivation politique » qui délimite le champ d’application de la loi portant amnistie au sens de la nouvelle volonté du Législateur.

Ainsi, « les faits se rapportant à des manifestations ne sont compris dans le champ de la loi que s’ils ont une motivation exclusivement politique ».

A défaut d’une énumération par le législateur de viser certains actes précis, il reviendra alors au juge saisi de procéder par exclusion afin de déterminer les faits exclus ou non de l’amnistie parce qu’ils ont ou non « une motivation exclusivement politique ».

3. Assister ou réparer ?

Faudrait-il établir un lien entre « l’assistance » et « la réparation ? L’assimilation, pour ne pas dire la confusion, n’est pas possible, du moins à la lecture des textes administratifs et juridiques en vigueur au Sénégal.

Nous n’entendons pas ici éprouver la foi de certains, mais tâcherons d’être dans le sens d’une vérification de la VERITE.

Sur le plan administratif, il n’est pas superfétatoire de noter et de rappeler à l’intelligence de l’opinion l’existence de « l’arrêté ministériel n° 017450 du 30 juillet portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement du Comité chargé de proposer une assistance aux ex-détenus et autres victimes de la période pré-électorale ».

Sur le fondement de l’arrêté ministériel, il est créé, au sein du Ministère en charge des Solidarités, un Comité ayant pour mission principale de fournir « une assistance multiforme » aux ex-détenus et autres victimes de la période allant du 1er février 2021 au 25 février 2024. Le caractère multiforme est attesté par la présence, en plus de certaines structures étatiques (Primature, 19 ministères, Direction générale à la Protection sociale et de la Solidarité, Délégué général à la l’Entreprenariat rapide des Femmes et des Jeunes, Agence nationale de la Statistique et de la Démographie, Fonds de Solidarité nationale, Office national des Pupilles de la Nation, Observatoire nationale des Lieux de Privation de Liberté) ainsi que de deux (02) représentants des ex-détenus et autres victimes, deux (02) représentants de la société civile et toute personne ou structure dont la compétence est jugée utile.

Le Comité est notamment chargé : « i) de statuer sur les bases juridiques et administratives de l’assistance à fournir ; ii) de définir les conditions et critères d’identification des ex-détenus et autres victimes bénéficiaires de l’assistance ; iii) de dresser la liste définitive des ex-détenus et autres victimes ; iv) d’établir une base de données des personnes concernées et leurs profils ; v) d’identifier les besoins généraux et spécifiques des ex-détenus et autres victimes ; vi) de proposer des actions urgentes à entreprendre ; vii) d’identifier et de proposer des mécanismes de mobilisation rapide des ressources financières destinées à la mise en œuvre de l’assistance par les structures concernées ; viii) de proposer un plan de mobilisation sociale et de communication ayant pour objet de susciter un élan de réconciliation nationale, de pardon et de solidarité ; ix) de définir un plan de mise en œuvre des actions identifiées ; de proposer un dispositif de suivi-évaluation des activités ».

A ce que je considère, cet acte réglementaire, à caractère impersonnel, n’a été ni juridiquement contesté ni politiquement décrié.

En lisant ces dispositions, on ne résiste pas logiquement à la volonté de se poser certaines questions.

Les « autres victimes » (opérateurs économiques, marchands ambulants, citoyens, agents des forces de défense et de sécurité, etc.), se sont-ils présentées devant ce Comité avant l’établissement de la « liste définitive » ?

Sans ce Comité, des ex-détenus et autres victimes blessés pouvaient-ils être soulagés par des soins médicaux et des soutiens spécifiques ?

Les montants annoncés de 500 000 FCFA pour les blessés ou 1 000 000 FCFA pour la perte de vies humaines suffisent-ils à apaiser les douleurs ou à rembourser même les funérailles ? Nous ne le pensons pas.

Cette assistance ministérielle ou gouvernementale ne mérite pas d’être confondue avec l’idée de « réparation » adossée à la proposition de loi portant interprétation.

A ce stade de traitement du dossier des ex-détenus et autres victimes, il ne peut s’agir que d’une « assistance ». Cela nous amène à dé-corréler l’assistance ministérielle ou gouvernementale de la « réparation » d’ordre judiciaire.

La réparation a une résonnance judiciaire signifiant toute personne victime d’un dommage, quelle qu’en soit la nature, a droit d’en obtenir réparation de celui qui l’a causé par sa faute et que le droit à réparation du préjudice éprouvé par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, ce droit se transmet à ses héritiers.

Au regard de la proposition de loi portant interprétation, il existe deux procédures permettant aux ex-détenus et autres victimes d’aboutir à la réparation par l’Etat.

La première procédure est possible devant l’Agence judiciaire de l’Etat (AJE) conformément au 5e alinéa de l’article 3 du décret n° 70-1216 du 7 novembre 1970 portant création d’une Agence judiciaire de l’Etat et fixant ses attributions : « Après consultation des administrations compétentes, il peut être proposé à la partie adverse toute transaction utile ; la transaction n’aura d’effet qu’après approbation par le Ministre chargé des Finances ». Pour ce cas précis, l’ex-détenu ou autre victime doit alléguer un « préjudice anormal » causé par un « fonctionnement défectueux » du service public pénitentiaire ou ceux de la Police nationale ou de la Gendarmerie nationale.

La seconde procédure se déroule devant la Cour suprême au sens de l’article 3 de la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême, modifiée par la loi organique n° 2022-16 du 23 mai 2022 : « Il est créé (…) une Commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes d’indemnité présentées par les personnes ayant fait l’objet d’une décision de détention provisoire et qui ont bénéficié d’une décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement ».

L’une de ces deux voies pourrait être explorée lorsque la loi portant interprétation de la loi d’amnistie n° 2024-09 du 13 mars 2024 sera mise en vigueur.

Par Pr Meissa DIAKHATE

Directeur de Cabinet du Ministre

de l’Energie, du Pétrole et des Mines

Fondateur du CERACLE (www.ceracle.com)

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