Ils sont jeunes, rompus aux négociations internationales et veulent remettre un continent vulnérable au centre de l’action mondiale en faveur du climat. Portraits.Premiers victimes du réchauffement climatiques, les Africains comptent agir en force pour obtenir des financements qui leur permettront de s’adapter et d’orienter leur développement vers des modèles durables. La machine diplomatique est déjà en marche à la COP 22, ouverte le 7 novembre et qui se prolonge jusqu’au 18 à Marrakech. Voici les principaux artisans qui travaillent dans les couloirs de cette COP pour inscrire leurs priorités à l’agenda des pays pollueurs. Tosi Mpanu Mpanu, « la voix des sans voix »
Tosi Mpanu-Mpanu
À Marrakech, la journée de Tosi Mpanu Mpanu commence à 8 heures du matin et ne se termine qu’à une heure tardive le soir. Vendredi 11 novembre, il avait une réunion avec le groupe des pays les moins avancés (PMA) qu’il préside depuis janvier. Il a enchaîné ensuite avec une autre du groupe Afrique et une troisième avec celui du G77, le plus grand groupe de négociation de la COP. Un lobbying sur le principe des poupées russes qui permettra à ce Congolais de 42 ans de placer les PMA dans tous les groupes d’influence et de faire entendre aux dirigeants de la planète « la voix de ces 48 pays qui ne pourront jamais suivre si on ne les aide pas avec des financements conséquents».
En bon diplomate – il a passé 3 ans à la Banque mondiale avant de rentrer en République démocratique du Congo en 2003, pour devenir conseiller au ministère des Affaires étrangères et ensuite au ministère de l’Environnement -, il sait que l’argent est le nerf de toutes les négociations. Comme il sait que les changements politiques peuvent faire basculer les plus belles réalisations. L’élection de Donald Trump, un climato-sceptique notoire, à la tête de la Maison Blanche l’inquiète beaucoup car elle pourrait remettre en cause la contribution des États-Unis dans le Fonds vert pour le climat. Dans cette cagnotte de 10 milliards de dollars promise par les pays industrialisés, Washington s’est engagé sur 3 milliards. Les Américains en ont déjà donné un demi milliard. « Il reste 2,5 milliards de dollars qui risquent d’être bloqués par le nouveau président et le Congrès », souffle celui qui avait présidé aux destinés du groupe Afrique au sommet de Durban.
Seyni Nafo : « L’Afrique ne se sent plus victime »
OLIVIER POUR J.A.
A la COP 21 de Paris, il était le porte-parole du groupe des pays africains. À Marrakech, il en est le président. Que de chemin parcouru pour Seyni Nafo, le plus jeune chef négociateur des conventions sur le climat. À 35 ans, après avoir fait ses armes dans les négociations techniques, il s’attaque au champ de bataille politique avec les pays développés pour les pousser à honorer leurs engagements financiers envers l’Afrique et même à les augmenter. « J’ai commencé à rencontrer des ambassadeurs pour les sensibiliser à cette question. Aujourd’hui, nous avons 9 milliards de dollars dans le fonds d’adaptation. Si les pays développés doublent ce montant comme ils l’avaient promis, on aura presque 20 milliards. C’est un montant significatif pour prendre en charge les urgences des pays africains », explique-t-il.
Pragmatique, il fait partie de cette nouvelle génération de cols blancs africains, qui a grandi dans la mondialisation et qui parle le même langage que l’occident, sans aucun complexe. « Il fut un temps où l’Afrique avait une posture victimaire. Aujourd’hui, elle fait des propositions très pointues », résume celui qui a fait ses classes en banlieue parisienne avant d’étudier et de travailler comme trader à Chicago, aux États-Unis, puis à Montréal, au Canada.
Le continent s’est pris en charge et n’entend pas se faire marcher sur les pieds. Au Mali, « son pays d’origine et de coeur », « Seyni » – comme il aime à se faire appeler -, est Monsieur Climat de la présidence. Ibrahim Boubacar Keita l’a chargé de réfléchir à une économie malienne verte et résiliante aux changements climatiques. Intégrer le climat dans tous les plans de développement du pays est la deuxième ambition de ce jeune ambassadeur dont l’étoile n’a pas fini de briller.
Zaheer Fakir : « Il faut des projets bancables »
Il est discret, mais il a l’oreille du cercle des négociateurs de la COP 22. Co-président du Fonds vert pour le climat, le fonds onusien créé à Copenhague en 2009, le Sud-Africain Zaheer Fakir est un homme de terrain pas vraiment doué pour « le blabla » politique. Sa mission : aider les africains à promouvoir un changement de paradigme réel pour passer à un développement durable faible en carbone. À ce jour, 27 pays ont été financés par ce fonds à hauteur de 1,16 milliard de dollars, dont seulement 9 en Afrique (Malawi, Kenya, Rwanda, Sénégal, Maroc, Mali, Namibie, Tanzanie et Nigeria). « L’Afrique ne présente pas encore de bons projets bancables. Cette problématique est devenue une de nos priorités », concède ce négociateur de 46 ans.
Fils d’un enseignant qui bouclait ses fins de mois « en vendant des poulets », sa vie n’a pas été facile. « Je viens d’une famille pauvre. Pour financer mon entrée à l’université de Johannesburg, mon père (il est décédé) a dû demander l’aide de ses amis », confie-t-il manifestement ému. En 1990, il obtient son diplôme en commerce et droit des affaires et intègre, un an après, le ministère du Commerce et de l’Industrie en tant que conseiller avant de s’envoler pour Bonn, en Allemagne, et ensuite à Stockholm, en Suède, diriger le service économique des ambassades sud-africaines. En 1999, il rejoint le ministère de l’Environnement où il va gravir les échelons jusqu’à sa nomination en tant que directeur de la division internationale du ministère, responsable de toutes les négociations de l’Afrique du Sud avec les institutions multilatérales (Banque mondiale, G20, OCDE, Union européenne…). Fin connaisseur des conventions climat, il est membre du Fonds d’adaptation du protocole de Kyoto et du Fonds pour les technologies propres de la Banque mondiale.
Mohamed Nasr : « Une grande partie des financements est engloutie dans la paperasse »
Dans les coulisses de la COP, on parle de lui comme le prochain président du Groupe des négociateurs africains (GNA). Fin 2017, au terme de deux ans de mandat, le malien Seyni Nafo doit passer le relais à un président nord-africain, conformément aux statuts du GNA. Qui mieux que « son négociateur finances », Mohamed Nasr pour lui succéder ? Cet Égyptien de 44 ans, fils d’un officier de l’armée, a tous les atouts pour continuer l’oeuvre de son prédécesseur. Sous ses airs de diplomate se cache un redoutable avocat de la cause africaine. Il est en train d’oeuvrer pour que les pays africains puissent accéder rapidement et efficacement aux financements en éliminant une à une les conditions difficiles que les bailleurs de fonds leur ont dressés. « Or, une grande partie de ces financements occidentaux est engloutie dans la paperasse et les études en tous genres au détriment de la réalisation des projets. »
Conseiller au ministère des Affaires étrangères égyptien, chargé de l’environnement et du développement durable, il connaît bien le fonctionnement des institutions multilatérales qu’il a côtoyées de près lorsqu’il a officié dans les représentations diplomatiques égyptiennes au Togo, en Australie et à Genève. Mettre la coordination africaine dans la main de l’Égypte présente un intérêt évident. Désertification, montée des eaux, sécheresse… Le pays d’Al-Sissi est un laboratoire des maux de l’Afrique. En plus, il est à l’intersection de trois zones appelées à se solidariser : l’Afrique, la Méditerranée et les pays arabes.
Aziz Mekouar, le diplomate de sa Majesté
Membre du comité de pilotage marocain de la COP 22 en tant qu’ambassadeur chargé de la négociation multilatérale, il suit de près tout ce qui se prépare pour l’Afrique. Il a été le premier ambassadeur du Maroc en Angola (1986-1993), alors en pleine guerre civile, mais aussi dans différentes capitales occidentales : Lisbonne, Rome, Tirana (Albanie) et la Valette (Malte).
De 2002 à 2011, il a été ambassadeur à Washington et a participé aux négociations de l’Accord de libre échange (ALE) entre le Maroc et les États-Unis.
Dans cette COP, le dossier que les Marocains cherchent à vendre au reste des Africains est l’initiative Triple A (Adaptation de l’Agriculture Africaine), lancée en avril dernier et présentée comme « une révolution » en Afrique. Près de 60% des terres arables inexploitées sur la planète se trouvent sur le continent noir. Ce qui en fait un champ d’application des méthodes innovantes. « Si on veut le réduire le stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, il faut qu’on puisse capter le carbone en le stockant par la forêt et l’agriculture », explique un expert marocain. Amélioration de la fertilité des sols, reconversion en arboriculture, maîtrise de l’eau ou encore gestion des risques climatiques sont les axes de cette initiative pour lesquels les Marocains cherchent à obtenir les financements.
Par Nadia Lamlili : JA