« J’étais au bureau, et il s’est mis brusquement à me toucher de partout. J’étais totalement, mais impotente, aphone. Je me pose encore la question aujourdhui mais qu’est-ce-que j’ai fait pour qu’il me fasse ça, pour que je mérite ça. Je me suis murée dans un mutisme pour me dire à moi-même, je sers les dents, ça va passer, je vais passer au-dessus et puis finalement, on ne peut pas. Cela a détruit ma vie, cela a failli détruire mon couple», Catherine (nom d’emprunt). Cette jeune dame de 29ans, qui requiert l’anonymat de son identité et de la société en question n’a pu continuer son témoignage. Sa voix, l’on le sentait, était tremblante au téléphone.
Attouchements sexuels au travail ou pendant le sport : le calvaire des sénégalaises
Le harcèlement ! On le chuchote plus qu’on en parle. On le tait mieux qu’on ne le dénonce, les chiffres eux, l’étayent.
Au Sénégal, le harcèlement sexuel ne semblait pas exister, tant l’absence de réactions est flagrante. Dans ce pays, demandez ce qu’est le harcèlement sexuel, chacun y va de sa propre définition et la plupart des gens interrogés affichent l’effarement. Le terme n’est pas encore si ancré dans l’esprit Sénégalais ni trop grave selon l’avis de certains. Les concitoyens le reconnaissent plutôt sous le terme ‘’tiokass’’ qui signifie littéralement ‘’provoquer’’. Mais ils sont presque tous d’accord que ce qu’ils appellent ‘’thiokass’’ n’est tolérable qu’avec son épouse.
« Pour savoir d’où vient une rivière, il est essentiel de remonter sa source », dit-un proverbe africain. Tout comme comprendre un phénomène requiert de remonter à sa genèse. Le terme ‘’harcèlement’’, provient de « herseler » en ancien français, terme diminutif de « herser » signifiant « tourmenter, malmener », selon Wikipédia. Puis le mot devient harceler « soumettre sans répit à de petites attaques ». D’où sa définition dans le Larousse : « enchaînement d’agissements hostiles répétés visant à affaiblir psychologiquement la personne qui en est victime ».
Elles se racontent…
Elles sont de jeunes femmes entre 23 et 35ans, de beaux corps dans de brillants esprits. Elles sont ambitieuses et aspiraient à de grandes carrières et luisantes réussites. Le harcèlement, a été est un frein à leurs ambitions ; parce qu’apparemment être FEMME, dans la sphère professionnelle, c’est un problème.
D’emblée, elles affichent un air surpris, limite se braquent, laissent pénétrer leurs yeux dans nos leurs, comme pour rechercher une ombre qui les assure qu’elles peuvent avoir confiance pour partager avec nous ce simulacre qui a tâché leur vie professionnelle. L’a tâché parce qu’entraînant des conséquences sur leur façon de penser et d’agir.
Ndéye Adama a 26ans et il y’a encore six ans, elle se destinait à l’’état de militaire. Mais en mai 2016, elle a renoncé à sa carrière à cause d’harcèlements sexuels. La jeune femme dénonce des remarques, des intimidations, des humiliations, alors qu’être militaire était un rêve, une vocation pour elle. « Vous ne pouvez comprendre à quel point cette carrière était importante pour moi », dit-elle. « Je ne me voyais pas faire autre chose dans la vie. Je l’ai su lorsque j’ai fait ma journée d’appel. Il n’y a aucun vêtement dans lequel je me sentais mieux que dans ma tenue. La cohésion, l’ordre, l’autorité, la deuxième famille, les valeurs promues par l’armée, tout me parlait. Je trouvais qu’il n’y avait pas un métier plus beau. J’avais conscience des sacrifices et j’étais prête à m’y conformer, pour mon pays », se souvient-elle passionnée, emportée par des souvenirs qui sans doute font partie des plus beaux de sa vie. Réserviste, « c’est-à-dire bénévole, c’est comme les sapeurs-pompiers en fait, explique-t-elle, elle l’a été pendant un an. « Ohh cela a été ma plus belle année dans l’armée », affirme-la jeune dame, avec un sourire traduisant une réelle passion. A la question de savoir si avec le recul il y’avait des éléments qui auraient pu l’alerter, lui mettre la puce à l’oreille durant cette période-là, Ndeye Adama répond par la négation : « Non, à part des collègues femmes dans l’active qui me disaient que l’armée dans l’active était assez compliquée et que la réserve était beaucoup mieux. Mais je ne les ai pas écoutés, j’avais besoin de me faire mon propre avis».
Ce vécu, Ndeye Adama le partage avec nous dans son fast-food sis dans un quartier de la capitale sénégalaise où on la trouve. Très dynamique, elle peaufine les derniers détails avant la cloche déjeûner. Habillée simplement, d’un jean bleu de nuit assorti d’une chemise rose claire à manche courte, les cheveux coupés courts, chaussures fermées cachant ses pieds, son visage pourtant pas très souriant n’enlève en rien la luminosité qui en émane, peut-être est-ce l’effet du fond de teint. Accueillante, elle nous propose une table pensant que c’est un déjeuner qui nous amène, avant de prendre connaissance de ce qui réellement, nous a fait fouler le sol de son restaurant. Après une trentaine de minutes, la jeune dame de 26ans a enfin notre temps et vient à nous d’un pas preste. Sa langue se déliant, laissant entendre une excuse, Ndeye Adama poursuit : « Chez mes collègues hommes je me suis vite taillée une réputation de folle agressive parce que d’après eux j’étais susceptible, qu’on ne pouvait plaisanter avec moi parce que je prenais leurs moindres petites remarques pour un manque de respect.»
Ces ‘’petites plaisanteries’’ ont pris un virage sexuel au début des travaux de groupe, d’après Adama. « Une soirée où nous étions tranquillement en train de discuter tous ensemble, un des deux collègues qui m’accablaient est venu à moi, a sorti un briquet avec une femme blonde nue, nantie d’une forte poitrine, et m’a fait savoir que c’était un cadeau de son cousin immigré en France. Et puis, il a regardé le briquet tout en me jetant un regard qui me mettait mal à l’aise et m’a dit : « tu sais quoi je lui ai donné comme prochaine mission de me rapporter le même briquet mais avec une black aux cheveux courts comme toi. Ça m’excite les femmes noires chauves. Il le disait en ricanant, sans aucune gêne », explique-t-elle. « Une fois nous devions ranger des casques lourds qu’il fallait monter dans les magasins, mais il y’a eu un changement donc nous avons dus aller les caser dans un autre endroit. Quand j’ai vu tous mes collègues partir sans les monter je leur ai dit « mais les gars qu’est-ce-que vous faites, il faut monter les casques ». Et il s’est rapproché de moi et m’a dit, passant par mon nom de famille, « mais non ce ne sont pas les casques qu’il faut monter tout en jetant des coups d’œil sur son anatomie ».
La pression morale devenant trop forte, Adama a commencé à faire des malaises. « Je maigrissais à vue d’œil, enchaîne-t-elle. Ces deux-là ont lancé des paris sur moi disant que j’étais enceinte. Lorsqu’ils me voyaient, ils poussaient des cris de pleurs de bébé. Ils spéculaient sur ma vie sexuelle lorsque je passais devant eux et affirmaient que j’en avais. Tout cela sans témoin ». Elle craque. De petites larmes qu’elle semble vouloir retenir mais qui ne résistent à la douleur visiblement toujours présente au fond d’elle, coulent doucement.
L’on comprend que le harcèlement est une espèce d’engrenage, de spirale infernale qui emprisonne les femmes qui le subissent. « C’est un phénomène récurrent vu la présence de plus en plus de femmes dans le milieu professionnel », dit-Selly Bâ, docteur en sociologie.
A la question de savoir si elle s’en est ouverte aux collègues de son régiment, à ses supérieurs et autres cadres, elle donne la réponse principale des victimes de ce type de violence : « Non ! Parce que l’armée c’était tout ce que je voulais. Et quand on est une femme, commencer en ayant ce genre d’histoire c’est mené notre carrière à l’échec tout de suite. Du coup, je me suis dite tiens bon, c’est bientôt fini et tu n’entendras plus parler d’eux. Et derrière, je n’avais rien d’autre. Je sortais d’un milieu familial difficile donc pour moi l’armée c’était ma seule solution. Au début je n’en parlais pas. Après j’en ai parlé aux filles mais nous étions toutes civiles et nous commencions toutes une carrière militaire. Ce qui fait qu’aucune n’avait envie de parler, ou de faire de vagues. Nous voulions que tout se passe bien. Et c’était ma parole contre la leur. J’avais peu de chances puisque ces attaques à répétition survenaient pour la plupart sans témoin ».
Après un énième malaise, Adama invoque une incapacité à continuer et plie bagages, tournant ainsi le dos à une carrière dans l’armée qui n’avait même pas encore débuté. « Aujourd’hui oui ça va beaucoup mieux’’, dit-elle posant un regard circulaire, fier, sur son local. C’est du passé, même s’il m’arrive de repenser sans le vouloir à cet épisode en ayant toujours la boule au ventre, car on s’en remet difficilement. Mais quand même ça va, je vais bien. La chose la plus précieuse que j’ai perdu avec ce vécu est mon sourire facile », confie-Adama.
Le harcèlement est décrit sous différentes formes selon le vécu de ces Femmes interrogées. Propositions indécentes, promotion canapé, le fait que des hommes posent leurs mains sur leurs corps avec insistance, les faisant glisser de haut en bas dans le sens d’une caresse, regards insistants, comportements intrusifs, drague, remarques à connotation sexuelle. Or d’après elles, le milieu professionnel est différent de tout autre milieu. « Le problème c’est qu’ils ne savent pas où s’arrêter avec chaque personne. Il relève de la bienséance, du savoir-vivre de connaître ses limites en fonction de la relation que l’on a avec celui ou celle en face de nous », pose-Marie Aissatou, fidèle cliente du restaurant de Adama, interrogée sur la question.
« Quel dessous portes-tu pour avoir cette démarche aussi tentante? » C’est la remarque de trop qui a fait partir Ndoumbé Henriette. Elle se dit avoir été traumatisée par son supérieur et des clients qui les harcelaient au téléphone alors qu’elle travaillait dans un centre d’appel de la place. Dès l’élocution de notre question, elle barre sa bouche de sa main droite avec un » hééé », qui traduit dans ce contexte, « vous m’en rappelez des souvenirs ». Dans son joli salon au décor fin, laissant voir un pan de la personnalité de la jeune femme, elle nous installe et nous accueille avec une limonade fraîche. Plus que la belle jeune femme élancée de 30ans, le décor africain subtil, minimaliste et raffiné de son salon fait de tableaux d’art, masques datant de l’antiquité accrochés au mur capte l’attention. ‘’Très attachée à sa culture, on dirait la maison d’un artiste’’, pense-t-on à la vue de l’encadrement.
« Le harcèlement et moi, se souvient-elle, tellement de choses à en dire que je ne sais par où commencer maintenant que vous me le demandez, dit-elle. « J’en ai vécu mais celui qui m’a le plus marqué est sans doute dans la sphère professionnelle des centres d’appels », dit-elle un brin souriant dévoilant au passage, des dents parfaitement rangées. Ahh oui maintenant j’en ris, pour ne plus en pleurer. Mais il m’en a fallu du temps pour arriver à ce stade de… comment dire, déculpabilisé, légèreté. Un gars appelait le serveur et lorsqu’on décrochait, il se mettait à pousser des gémissements. C’était incroyable, narre-t-elle ramenant maintenant sa main droite sur sa tête. Au début, mes collègues en riaient. Mais cela a vite tourné au cauchemar puisque ses agissements devenaient de plus en plus fréquents. Nos supérieurs nous interdisaient de répondre de manière virulente car d’après eux, le gars en question est un client et un fidèle client s’il vous plaît, » dit-elle. « Ils nous demandaient de négocier, de prendre sur nous et de ne surtout pas le froisser, pourquoi, parce que le client est roi. Ceci, combiné avec les avances déplacées de mon supérieur car d’après lui, je me maquillais à outrance avec mon rouge-à-lèvres soit bleu, soit noir et donc je le provoquais», dit-Ndoumbé Henriette, la mine désolée.
Après ces remarques, Ndoumbé a décidé de changer de look, en entreprise.
« J’ai adopté le voile, les habits à longues manches, des pantalons amples, alors que cela ne me ressemblait pas du tout. Je l’ai fait pour échapper à ces remarques désobligeantes mais il ne m’a toujours pas laissé tranquille. Il me lançait toujours des : « tu es une coquine toi, tu mets du rouge à lèvres. Ou, tu as un pantalon trop ample à mon goût, vient avec un plus serré la prochaine fois ». Ndoumbé confie s’être accrochée par besoin de revenus financiers.
Cette goutte de trop a causé le divorce de la femme aux cheveux crépus relevés par des perles blanches, avec les centres d’appels précisément, mais surtout avec son doux caractère d’antan. « Ahh non la familiarité en entreprise, c’est fini ça. Place à la femme toujours sur la défensive, susceptible, nerveuse et un brin aigri d’après mes collègues hommes de la société où j’évolue actuellement », dit-elle amusée.
Ces abus sont tout aussi décriés dans le milieu de la presse au Sénégal. Ce que confirme Fatoumata, journaliste en presse écrite. « Le surnom le plus populaire des journalistes hommes est ‘’Pervers’’, coupe-t-elle d’emblée. Moi Fatoumata, je connais pas mal de consœurs victimes de promotion canapé, d’harcèlement ou de chantages. Dans nos lieux de travail, nous nous plaignons de moqueries, brimades, chantages sexuels, agressions physiques et la liste est loin d’être exhaustive. Un collègue te voit et te touche comme ça, au calme, comme si tu étais sa propriété ou sa poupée, ou sa chose », dit-elle haussant les épaules. « Moi-même un jour, j’en ai fait les frais. Lors d’un séminaire, un confrère a tenté de m’embrasser», s’ouvre-t-elle, l’air toujours ahuri. « Pourtant, continue-Fatoumata, si tu réagis de façon violente, hééé, dit-elle tapant des mains, c’est toi, pourtant victime que l’on réprimande. C’est ce que je n’arrive pas à comprendre avec plus de cinq ans en milieu professionnel».
Le 10 mars 2020, des données préliminaires d’une étude en cours de l’Unesco sur la sécurité des femmes journalistes au Sénégal et plus précisément à Dakar, relayés par la presse sénégalaise elle-même, faisait état de 75% de femmes victimes de harcèlement dans leurs propres rédactions.
« Elles confondent harcèlement et techniques de drague », se défend la gente masculine.
Dans tout cela, face à tous ces soucis du quotidien que rencontrent les femmes, recueillir les avis de la gente masculine devient indispensable. A la corniche Ouest de Dakar où on les trouve en train de s’adonner à la musculation, Abdou Mbow, 32ans, nous demande déjà, ce qu’est le harcèlement à l’entame de notre propos. « C’est un terme à la mode tout comme le féminisme ou en tout cas c’est cette impression là que j’ai », dit-Abdou. Allant au bout de son idée, le jeune homme poursuit : « Chaque homme a sa technique pour approcher une femme. Et toutes les femmes ne se font pas aborder de la même façon parce qu’il faut prendre en compte leur différence dans leur façon de penser. Mais il faut avouer qu’elles ont tendance à tout prendre pour du harcèlement. Il y’en a tu les abordes, elles crient au harcèlement. Même un compliment est devenu un harcèlement, c’est à rien y comprendre. Les femmes doivent arrêter de se victimiser », relève-Abdou, enlevant l’excès de sueur causé par l’effort physique, avec le revers de sa main gauche.
D’après lui, il est important de poser le débat pour distinguer ce que les femmes décrivent comme du harcèlement. Son compagnon Ibrahima ne semble pas partager son opinion. « Certes, maintenant il n’est pas très aisé de plaisanter avec une femme parce qu’elles interprètent tout et de manière très vile. Mais quand-même, certains comportements vis-à-vis d’elles, tels que des remarques à connotations sexuelles, des attouchements sont une forme de harcèlement. C’est un manque de respect je trouve, » pense-Ibrahima. « Change la donne en nous mettant du côté de l’opprimé et tu te rendras compte que parfois on y va un peu fort avec elles », lance-t-il à Abdou.
« La limite entre le harcèlement et la drague lourde est ténue », éclaire-la sociologue Selly Bâ. « Est considéré comme du harcèlement toute intrusion, insistante, provoquant une gêne ou un sentiment de mal être chez la femme », dit-elle. Et la loi est claire en ce sens. « La différence entre drague et harcèlement restent visiblement floue pour certains hommes. C’est tout simplement l’acquiescement, dit-Mme Bâ. Et pour cela il faut lui poser la question à la femme si elle est consentante ».
A un mètre de ses compagnons de sport, Jean Charles affirme que ces comportements découlent souvent, de celui de la femme en premier. « En même temps, ces façons de faire comme l’a dit Ibrahima, c’est parfois une manière de sonder la personnalité de celle que nous avons en face afin de savoir jusqu’où nous pouvons aller avec elle », justifie-Jean Charles.
Cette réplique de Jean Charles, atteste de ce témoignage suivant, lequel lève le voile sur un autre fait : celui de ne pas s’apercevoir que l’on est victime de harcèlement.
Certaines victimes de harcèlement peinent à faire la distinction
Sur ce, permettez que l’auteur de l’article enlève sa casquette de reporter-journaliste pour se placer du côté des témoins. « Alors que je couvrais un évènement dans un hôtel de Dakar, une situation s’est offerte à mes yeux. Nous étions tous ensemble entre collègues, faisant passer le temps en discutant de l’actualité, attendant le début de l’évènement. Une consœur détourne l’attention des confrères. Du haut de ses talons pointus, ses formes généreuses accentuées à travers un jean rose fushia moulant son corps, le visage relevé par un léger maquillage au niveau des yeux et accentué sur la bouche teinté d’un rouge à lèvres bordeaux, sans presser le pas, la démarche sûre, elle vient à nous tout sourire, s’arrête et nous lance ‘’un bonjour’’. Des yeux brillants, des sourires au coin coquins accueillent sa présence.
L’un d’eux, sans doute le plus hardi, lui lance un « mais qu’est-ce-que tu es bonne », tout en la reluquant longuement.
« A ces mots je le regarde net et lui dis « ce n’est pas comme cela que l’on complimente une femme ». « Mais grande a été ma surprise lorsque la consœur elle-même a répondu en ces termes : « non il ne fait que jouer, déride-toi un peu ».
A ces mots, la psychologue tente d’expliquer ce qui fait que certaines femmes n’arrivent à voir qu’elles sont victimes de harcèlement. « Parce qu’on a normalisé le fait de complimenter une femme en parlant de ses atouts physiques. La culture du ‘’il ne faut pas prendre le non de la femme pour un non catégorique, ainsi que celle de la plaisanterie sur le physique est assez ancrée dans l’esprit de l’homme Sénégalais », explique-la psychologue Aminata Mbengue. « Et C’est une autre complication, laquelle constitue un frein au combat contre ce problème. Si des femmes défendent leurs harceleurs et ne se rendent pas compte qu’on les atteint dans leur dignité, c’est un double problème ça », dit-la psychologue pas du tout étonnée. « Car, poursuit-elle, deux choses importantes qui sont répétitives reviennent dans tous les cas. Que ce qui apparaît comme sexuel soit en fait un abus de pouvoir. Que la sexualité, la pudeur évoquée, sont en réalité, fait pour assoir son pouvoir sur la victime et pour tirer jouissance de la peur qu’on déclenche. On est là sur une conception de la virilité qui se fait sur l’infériorité de la femme. Ce qui fait que les victimes de harcèlement sexuel réagissent comme des victimes d’abus sexuels, en vivant une dépression, en se culpabilisant, en se sentant honteuse, en se murant dans le silence ».
« En même temps, poursuit-elle, après courte pause, cela ne devrait pas trop étonner car vous savez, argue-t-elle, dans notre société le culte du mariage fait que les femmes sont éduquées à plaire aux hommes. En ce sens, si des hommes la complimentent en insistant sur ses formes, naturellement, elle le prend pour un doux compliment », explique-t-elle.
Ce qu’en dit le code pénal Sénégalais
L’avocat à la Cour d’appel du tribunal correctionnel de Dakar, Me Bamba Dièye apporte une précision concernant le délit de harcèlement. « Des femmes se plaignent de harcèlement sur pas mal de forme. Mais il faut savoir qu’entre le délit de harcèlement tel qu’il est énoncé dans le code pénal est assez différent de celui décrié par les femmes. En effet, selon l’article 319 bis du code pénal au Sénégal (loi numéro 99-05 du 29 janvier 1999) le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de gestes, de menaces, de paroles, d’écrits, ou de contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant d’autorité que lui confèrent ses fonctions », dit-il, insistant bien sur le lien de subordination, « sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 50 000 à 500 000 francs. Et lorsque la victime est âgée de moins de 16 ans, le maximum de peine d’emprisonnement sera prononcé », renseigne-t-il.
Mme Diallo Seynabou, présidente de la Commission Droit des femmes à l’Association des Juristes du Sénégal (AJS) lui emboîte le pas en ces termes : « Il est vrai que dans le code pénal Sénégalais, pour qu’il y’ait harcèlement, il faut ce lien de subordination dont parle l’avocat. Mais, nuance, dit-Mme Diallo, quoi que le code pénal ait régit, moi je dis que le harcèlement sexuel ne se limite pas qu’au lien d’autorité régi entre le supérieur et sa subalterne. Même si, cette forme de harcèlement est plus grave car beaucoup de choses entrent en considération, surtout le fait que les femmes ne veulent courir le risque de perdre leur emploi. Mais, je suis désolée, l’on ne peut qualifier d’autre chose que de harcèlement, un collègue qui use de mots ou de gestes par exemple, pour chosifier une femme, bien qu’étant sa collègue, lui faisant ressentir qu’elle est un objet de désir. Siffler une femme dans la rue aussi, au marché, en faisant allusion à ses formes, est bien du harcèlement », tranche-t-elle mordante.
La présidente de la commission Droit des femmes de l’AJS nous informe d’ailleurs, que ses collègues et elle, travaillent dans un projet en ce sens. « Comme l’AJS est plus orientée dans la sensibilisation, nous concoctons un projet d’initiation qui consiste à aller à la rencontre des employeurs et employés des sociétés Sénégalaises, afin de leur faire prendre davantage conscience de la question. Parce que c’est un problème sur lequel il ne faut badiner. C’est très sérieux et mérite plus d’égards. 35% des femmes se confrontant à ce problème évoluent dans un milieu professionnel où il y a plus d’hommes que de femmes», dit-Soukeyna Diallo.
Des slogans comme ‘’Doyna’’ (ca suffit), ‘’Nopiwouma (je ne me tairais pas), ‘’balance ton sai-sai’’ (un balance ton porc sénégalais), ‘’Bul ma Riisu’’ (ne te frotte pas à moi) sont nés pourtant du courage de femmes à dénoncer. Même si, leurs voix ne donnent pas encore l’écho escompté, d’après des données préliminaires d’une étude en cours de l’Unesco sur la sécurité des femmes journalistes au Sénégal en mars 2020. Il est dit que parmi les 75% de femmes victimes de harcèlement dans leurs propres rédactions, seules 5% ont saisi la police. 40% en ont fait état à leur rédaction et les 55% se sont emmurés dans le silence. Ce que confirme aussi Nafi Seck de l’AJS, coordinatrice des boutiques de droit à Dakar. « Nous sommes un centre de conseil et d’assistance juridique. Nous recevons très peu de plaintes de femmes victimes de ce problème pourtant récurrent en milieu professionnel. Elles ne dénoncent pas leurs tourmenteurs, pas comme elles le devraient. Généralement, continue-t-elle, ces femmes viennent nous voir quand elles sont victimes de licenciement abusif, découlant de ce problème de harcèlement. Parce que là, elles se disent qu’elles n’ont plus rien à perdre. Mais tant qu’elles sont à leur poste, elles choisissent de se taire, de courber l’échine et laisser faire ». A la demande de savoir si tous les employées savent que des structures de ce genre où elles peuvent se tourner pour demander de l’aide existent, Nafi fait savoir : « Non pas tellement. Il y’a toujours un défaut de visibilité. A notre niveau, nous menons le combat à travers des alliances avec les ‘’Badjenou gokh’’, les radios communautaires, sur les réseaux sociaux. Mais nous notons qu’il y’a un réel problème de mutisme. Et nous ne pouvons intervenir en ce sens », regrette-t-elle.
Est-ce-que la loi Sénégalaise prévoit une protection pour les témoins ? L’expérience montre que dans ces genres de situations le problème se trouve dans la capacité de prouver concrètement ses accusations, peut-être des témoins pouvant confirmer les dires de la plaignante. « La loi protège toujours les témoins », dit-l’avocat. « C’est malheureux mais dès fois, un dossier qui peut être mal préparé à la base abouti à un classement sans suite. Ce qui fait qu’à la victime, on ne reconnaisse pas son statut de victime. Ce qui peut être pire que les dommages qui lui ont été causé. Il est donc nécessaire pour la victime de justement rassembler des preuves. Le parquetier, le substitut du procureur qui travaillent sur un dossier ont besoin que les éléments soient constitués», informe-l’avocat.
Une phrase revient incessamment dans les dires des victimes interrogées, le fait d’éprouver le besoin de dire qu’elles n’avaient pas un comportement aguicheur. « Oui, parce qu’on le leur demande, dit la psychologue Aminata Mbengue. Et tout le monde s’y met famille, amis, proches. Même quand une victime porte plainte, les enquêteurs posent ces genres de questions à ses collègues. Mais c’est comme ‘’re-harceler’’ la victime parce que rien ne justifie de pareilles actes ». Le ‘’laan nguaa soloon’’, littéralement ‘’qu’est-ce-que-tu portais ?’’ est une question qui revient constamment lorsque des femmes révèlent des situations de harcèlements ou de violences sexuelles. Voici le lien d’un article que https://teranganews.sn/2018/10/panel-sur-les-abus-sexuels-tetais-habillee-comment-encore-des-cris-de-femmes-abusees/, j’avais rédigé sur cette problématique qui fait que des victimes de pareils comportements gardent le silence, par peur de jugements. Comme la célèbre citation sénégalaise : ‘’noula oudé guissé lalay euweulé’’ c’est-à-dire, le cordonnier réalise ta chaussure en accord avec ta démarche. Pour dire que si la femme est victime de ces comportements très peu respectueux, c’est de sa faute. Or, les témoignages de ces femmes infirment cette assertion pourtant très ancrée dans l’esprit Sénégalais.
Interpellée sur la question, Khardiata Ndoye, doyenne d’un quartier populaire de la capitale sénégalaise, non voyante, dit être prise de court. « C’est bizarre même les problèmes évoluent dans le temps », dit-la sexagénaire. « A mon époque je ne voyais, ni n’entendais parler de ce genres de problème. C’est sans doute parce que la génération de maintenant bafoue tout ce qui est valeurs, savoir-vivre et savoir-être », raisonne-t-elle telle une sociologue. « La société Sénégalaise respectait la femme, elle était tel un précieux bijou. Mais que les femmes ne se laissent pas faire aussi », tonne-la grand-mère. « Qu’elles apprennent et revendiquent leurs droits car personne ne viendra le faire à leur place. C’est à elles de prendre ce qui leur est dû. On ne badine pas avec le respect de sa personne peu importe celui ou celle en face de nous. Une personne n’a que sa dignité, surtout la femme », dit la sexagénaire en piqûre de rappel à la gente féminine.
Pour la plupart des sénégalais rencontrés, le harcèlement ne mérite pas qu’on s’y épanche plus que ça. Il y’a des sujets plus importants qu’un journaliste doit traiter d’après eux, comme la question du foncier ou du bradage du littoral par exemple.
Mais un problème qui affecte la santé mentale des personnes à qui ça arrivent, qui en souffrent au point de se perdre ou de s’affliger ne mérite-t-il pas qu’on s’y penche même plus davantage ? Ecrire, dénoncer, alerter, sensibiliser. Rien que la vidéo virale d’une jeune dame présumée ‘’voleuse’’ subissant des attouchements sexuels, démontre l’engagement que l’on doit porter à ce combat.
Saviez-vous que des Sénégalaises ont renoncé à pratiquer le sport dans la rue juste à cause de remarques salaces dont elles sont victimes leur footing ?
teranganews.sn