SENTV : Dans le cadre des célébrations du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance du Sénégal, le chef de l’État, Bassirou Diomaye Faye, a pris une décision symbolique et pleine de significations historiques. Ce mercredi 2 avril, lors d’un Conseil des ministres, il a annoncé que l’actuel boulevard Général De Gaulle, une des artères les plus emblématiques de Dakar, sera rebaptisé Boulevard Mamadou Dia, en l’honneur de l’un des pères fondateurs de la nation sénégalaise.
Cette décision revêt une grande importance, car elle répare une injustice historique en attribuant à Mamadou Dia la place qu’il mérite dans la mémoire collective du pays. L’homme, décrit par Joseph Ki-Zerbo comme un « grand baobab habité par un peuple d’oiseaux », a joué un rôle central dans la lutte pour l’indépendance et la construction de l’État sénégalais. Cette initiative intervient dans un contexte où la réhabilitation de l’héritage de Mamadou Dia est devenue un enjeu majeur pour les générations actuelles.
Un Parcours Politique Semé d’Embûches
L’histoire de Mamadou Dia est celle d’un homme d’une rare intégrité, symbole de résistance contre l’ingérence extérieure et d’un patriotisme sans faille. Né en 1910 à Khombole, dans la région de Thiès, Dia a consacré sa vie à l’éducation et à la politique, influençant profondément l’évolution du Sénégal après la colonisation. Il fut un acteur clé dans les négociations pour l’indépendance du pays et l’un des signataires des accords de 1960 qui ont permis la séparation du Sénégal de la France. En 1956, il devint président du Conseil des ministres du Sénégal, un poste qu’il occupa avec une vision économique et sociale radicale, prônant l’autogestion et l’indépendance économique vis-à-vis de la France.
Cependant, ses relations avec Léopold Sédar Senghor, le président poète du Sénégal, se dégradèrent rapidement. Les divergences entre les deux hommes, notamment sur la gestion des affaires internes et les relations avec la France, débouchèrent sur une confrontation politique de grande ampleur. En 1962, après un conflit ouvert avec Senghor, Mamadou Dia fut accusé de tentative de coup d’État et emprisonné pendant plus de 12 ans, une expérience qui marqua profondément son parcours.
Un Héros de l’Indépendance… Oublié ?
Longtemps écarté de la mémoire officielle, Mamadou Dia a été perçu comme une figure controversée, souvent reléguée à l’ombre de Senghor. Pourtant, ses idées sur la souveraineté économique, son combat pour la décolonisation et sa vision socialiste autogestionnaire n’ont cessé d’influencer les mouvements politiques contemporains, notamment ceux en quête d’un modèle économique qui rompt avec les héritages de la colonisation.
Il a été libéré en 1974 après une longue détention, mais son retour sur la scène politique fut marqué par une reconnaissance timide. En 1983, il se lança dans la course à la présidence, sans succès, face à un système politique dominé par les héritiers de Senghor. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que son héritage a commencé à être réhabilité, notamment sous la présidence d’Abdoulaye Wade, qui rendit hommage à l’intégrité politique de Mamadou Dia.
Un Hommage Mérité, mais Retardé
Le fait que l’État sénégalais décide aujourd’hui de rebaptiser le boulevard Général De Gaulle en boulevard Mamadou Dia constitue un acte symbolique majeur. Ce geste s’inscrit dans une série d’initiatives visant à rétablir la mémoire de ce « premier Mawdo », dont l’héritage a été trop longtemps occulté. En 2019, le bâtiment administratif de Dakar fut également rebaptisé en son nom, et une plaque commémorative fut installée en 2022 à Thiès pour rendre hommage à son parcours exceptionnel.
Cependant, pour certains observateurs, ces initiatives restent insuffisantes au regard de l’ampleur de l’œuvre de Mamadou Dia. Beaucoup estiment que l’État sénégalais pourrait faire davantage pour conserver et transmettre l’héritage intellectuel et politique de cet homme. Cela passe notamment par une meilleure prise en compte de ses idées visionnaires, comme sa lutte contre le franc CFA et son appel à l’indépendance monétaire.
Un Héritage Vivant et Inspirant
Si Mamadou Dia n’a pas connu la gloire qu’il méritait de son vivant, son héritage continue de vivre dans le Sénégal d’aujourd’hui. Des mouvements politiques comme le Pastef d’Ousmane Sonko se réclament de ses idées, notamment son appel à la souveraineté économique et à la réforme des structures coloniales. À l’ère de la mondialisation et des défis contemporains, son engagement pour un patriotisme économique et sa vision d’un Sénégal totalement indépendant des influences extérieures trouvent un écho chez de nombreux jeunes, qui le considèrent comme un modèle d’intégrité et de rigueur.
En fin de compte, le rebaptême du boulevard Général De Gaulle en boulevard Mamadou Dia est bien plus qu’un simple hommage : c’est un acte de justice historique. Ce geste souligne le rôle central de cet homme dans l’histoire de l’indépendance sénégalaise, et lui permet de retrouver la place qui lui revient dans le cœur de la mémoire collective du Sénégal. Si, comme le disait Ki-Zerbo, Mamadou Dia était un « grand baobab », son ombre protectrice continue d’abriter et d’inspirer les générations futures.
La rédaction de la SENTV.info
(Reportage)
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