Bourses De Sécurité Familiale : Une Fantaisie Politicienne Sur Le Dos Des Enseignants Et De L’école (Par Alassane K. KITANE)
CONTRIBUTION
Selon le dernier recensement, le Sénégal compte 127 130 fonctionnaires. C’est établi qu’au Sénégal, en plus de la culture millénaire de la famille élargie, tout fonctionnaire a sous sa tutelle deux à trois fils de parents ou d’amis.
Parmi ces fonctionnaires, il y aurait à peu près 92 560 enseignants, dont 25 452 femmes (une femme fonctionnaire a toujours sous sa tutelle d’autres enfants). Supposons que le gouvernement fasse un effort de relèvement de l’indemnité de logement des enseignants, non en l’alignant sur celui des autres, mais en le faisant passer de 60 000 à 150 000 F (soit une augmentation de 90 000 F). Si l’on part du principe de la solidarité évoqué par le gouvernement pour justifier les bourses de sécurité familiales, il n’y a aucun doute que l’on renforcerait, par cette augmentation, le mécanisme naturel de la solidarité. Huit milliards trois cent trente millions quatre cent mille francs (8 330 400 000) pour non seulement pacifier le système éducatif de façon durable, mais également mettre les enseignants dans une situation de productivité susceptible de relever leur formation et, par conséquent, le niveau des apprenants !
Or y a-t-il un levier plus probant et plus durable pour lutter contre la pauvreté que la qualité de l’enseignement ? Encore que parmi les 92 560, tout le monde n’est pas fonctionnaire, il y en a dont l’intégration se fait au pas de caméléon. Une volonté politique suffit pour régler définitivement la question des revendications des enseignants.
La situation actuelle de l’école sénégalaise est plus que dramatique : c’est révoltant et à la limite insupportable pour les enseignants que nous sommes. C’est même une honte de faire cours en Terminale avec une classe où aucun élève n’est capable de construire trois phrases correctes. Ça ne peut continuer. Si les gens aiment ce pays, il faut qu’ils fassent de l’école une priorité nationale ; il faut arrêter la peinture à laquelle s’adonne ce ministre sorti on ne sait d’où et qui finira par achever l’école.
Nous savons que le budget de ce machin confié à Aminata Tall (Cese) et qui n’a aucune espèce d’utilité est de 2,5 milliards de francs en 2017 (contre 9 milliards pour 2016) et que le gâteau de Tanor (Hcct) était de 6,5 milliards en 2016 et pourrait atteindre 10 milliards en 2017. Est-il décent de récompenser de façon si éhontée et ostensible des politiciens de carrière au moment où les enseignants se meurent dans la galère ? Ces institutions fantômes peuvent-elles avoir plus d’impact dans le développement de notre pays que la disponibilité d’agents de qualité motivés ? La suppression de ces deux institutions inutiles pourrait régler définitivement le problème de l’école. Les associations de parents d’élèves et les associations de consommateurs critiquent les enseignants, alors qu’ils ne sont pas gênés d’aller siéger dans des institutions aussi fantoches. Quelle honte !
Les bourses familiales au Brésil ont sorti des milliers de familles de la pauvreté, mais ce que l’on fait au Sénégal, ne peut sortir une seule famille de la pauvreté. Il faut d’ailleurs noter qu’au Brésil, cette politique a eu de graves digressions vers la corruption. Chez nous, c’est la politique de bourses familiales qui est elle-même un mode de corruption : Lula était peut-être sincère, et il aurait réussi totalement sa politique sociale si les apparatchiks de son parti n’avaient détourné sa vision. Chez nous, il n’y a aucune bonne intention derrière la politique des bourses familiales : sinon, comment peut-on réduire drastiquement le nombre d’étudiants boursiers et prétendre assister leurs parents par cette pitance ?
On dépense 30 milliards qui n’ont aucun effet sur la lutte contre la pauvreté alors que l’école qui est la propriété de la communauté, est délaissée. La vraie solidarité pour un gouvernement qui a de la vision, c’est un enseignement public de qualité qui permettrait aux populations défavorisées d’accéder au savoir et d’exercer pleinement leur citoyenneté. La seule justice sociale est celle qui permet à chaque citoyen de disposer du savoir permettant l’accès aux biens de la communauté. La vraie politique sociale serait celle qui mise sur l’éducation, or l’école sénégalaise agonise, si elle n’est pas déjà morte. Toutes les énergies et les moyens de la communauté devraient être consentis en direction de cette école, car elle, au moins, sans aucune ségrégation, lutte contre la pauvreté en luttant contre l’ignorance. Il faut arrêter la communication et passer aux actes politiques conséquents : la problématique des bourses familiales relève purement et simplement de la communication politique. Macky Sall sait mieux que quiconque que cette trouvaille ne peut soulager aucune famille, encore moins lutter contre la pauvreté.
Dans un pays où même les fonctionnaires sont dans la pauvreté et le dénuement, la seule lutte contre la pauvreté, c’est l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs et la création d’emplois. Or Macky détruit des emplois au lieu d’en créer : toutes ces entreprises qui ferment sous le poids d’une fiscalité de plus en plus dévorante, font disparaitre des emplois. Dans l’enseignement, l’État ne recrute plus en fonction de l’évolution des effectifs, mais en fonction d’une organisation de la masse salariale qui obéit à une logique de partage du gâteau.
Nous savons également que de 89 555 étudiants en 2013, notre pays, selon le fameux Plan de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche au Sénégal (Pdesr 2013-2017) devrait passer à 105 000 en 2017 et à 142 000 en 2022 (l’année fétiche du régime). Soit une évolution de 906, 1 167 à 1 331 pour 100 000 habitants alors que la moyenne recommandée est 15 000 pour 100 000 habitants. Une augmentation de la bourse nous semble plus efficiente pour atteindre cet objectif que la politique fantaisiste de bourses de sécurité familiales.
Les Sénégalais savent-ils que les bacheliers de l’année dernière ne sont toujours pas fixés sur leur sort ? Ce régime qui n’est pas capable de payer sa dette à l’égard des structures privées, ni même d’honorer ses engagements vis-à-vis des enseignants du supérieur peut-il convaincre quelqu’un de sa bonne foi ? Les 30 milliards alloués à ce serpent de mer auraient pu contribuer à matérialiser les réformes profondes indispensables à nos universités, mais ça n’assure pas à Macky Sall des captifs du suffrage universel.
Les deux armes politiques de Macky Sall sont : l’anesthésie et la tétanisation. Par ses pseudos programmes et plans, il a anesthésié le peuple ; et par la répression judiciaire, il a tétanisé la quasi-totalité de ses adversaires politiques. Quand Macky Sall s’intéresse à une gestion ou demande une inspection, son souci, ce n’est pas la bonne gouvernance. Sa motivation est simple : quelle retombée politique cela pourrait-il me donner ? Et toute cette machination a commencé par le maillage de l’univers médiatique et par la caporalisation des intellectuels médiatiques.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal (allou67@yahoo.fr)