Certains observateurs de l’évolution de la compagnie aérienne sénégalaise voient du plomb dans ses ailes. Selon ces derniers, l’absence de visibilité sur le business modèle et l’incohérence dans l’achat et la location d’appareils risquent de le précipiter vers crash cash pour les ressources publiques jusqu’ici mobilisées pour son envol.
Ça vole bas à Air Sénégal Sa. La compagnie aérienne nationale a réceptionné jeudi un premier avion A 319 pour ses vols sous régionaux après ses deux ATR 72-600 pour les vols domestiques et le voisinage. On devrait applaudir cette phase de roulement de la filiale de la Caisse des dépôts et consignations (Cdc). Cependant, pour des vols sous régionaux dans cette zone qui compte énormément de compagnies pour un faible trafic, Philippe Bohn, Dg de la compagnie, semble faire du neuf avec du vieux. En effet, beaucoup de spécialistes du secteur des transports aériens s’interrogent sur le choix d’un tel module dans un marché sous régional qui fait moins de 500 mille passagers par an, un trafic que doivent se partager tous ses pavillons nationaux qui naissent et disparaissent en peu de temps parce que le peu de capital que les Etats y injectent s’épuisent vite en frais opérationnels. De plus, cet appareil avec lequel opérait Air Côte d’Ivoire sur la ligne sénégalaise notamment peut permettre au porte étendard national de déployer ses ailes jusqu’à Abidjan ou Cotonou qui seront desservi dès ce vendredi mais ces marchés peu porteurs nécessitent énormément de coûts en terme de logistique.
Air Sénégal Sa compte également renforcer sa flotte avec la location d’un deuxième A319 chez le même opérateur, Apollo aviation, qui fait du leasing pour se poser dans d’autres capitales sous régionales comme Conakry, Praia, Ouagadougou et Bamako en novembre prochain alors que les ATR vont aussi commencer à desservir Bissau et Banjul. Et Casablanca ? Un autre marché juteux laissé à la Royal Air Maroc qui y positionne plusieurs vols quotidiens, moyennant quelques royalties. «La stratégie de groupe est illisible. On ne sait pas s’ils veulent faire des vols réguliers ou du low-cost. Tant qu’on a pas cela, on ne peut pas savoir la cohérence des achats d’avions qu’ils font», remarque un cadre de l’aérien. Qui souligne qu’on ne peut pas faire l’économie de ces questionnements.
Selon un autre cadre de l’industrie des transports aériens, à côté de ses incohérences dans le modèle, cette compagnie a un gros problème de symbolique avec la manière dont elle a été montée. les Français mis devant, les cadres sénégalais qui n’y ont aucune forme de responsabilité pendant que d’autres sont laissés à quai, etc. «On ne peut pas faire de l’affichage, créer une compagnie de toute pièce, un montage sur le capital qui est bizarre avec une partie qu’on avait, une autre qu’on n’avait pas jusqu’à ce qu’on dise que la Sgbs a sauvé l’acquisition des deux A330 Neo et revenir demander à des privés sénégalais de mettre leurs billes. C’est trop bancal», dit-il. Non sans signaler que ce qu’on a refusé à des Sénégalais qui étaient là, comme Mayoro Racine, l’ancien directeur de Senegal Arlines, on est en train de l’accepter pour le Français Philipe Bohn que Wade avait présenté à Macky Sall via ses connexions d’alors avec l’homme de réseau français Alain Madelin. Ce qui rappelle tristement les pratiques en équipes nationales de football entre les moyens déployés pour les sélectionneurs étrangers et les nationaux. Ce qui fait que les compétences se cassent.
Cet excès des ailes avec ce vieux appareil, souvent cloué au sol, risque de grever les ressources de la boite en un temps record. Surtout que le porte-étendard sénégalais envisage de déployer ses ailes, avec des fréquences quotidiennes, vers la France, ligne la plus demandée et la plus rentable au départ de Dakar. Et tout le monde sait qu’explorer le créneau du long-courrier n’est pas une mince affaire dans le secteur des transports aériens très sensible à cause des charges lourdes qui écrasent l’activité du pavillon national. Et avec des capacités financières limitées, Air Sénégal Sa n’a pas les reins assez solides pour inquiéter les grandes compagnies sur les marchés où elle opère.
Seyni DIOP