Comme son prédécesseur et sosie, le président-politicien nous prend pour des moins que rien, et nous traite sans état d’âme comme tels.
SENTV : Le mercredi 15 comme le jeudi 16 juillet 2020, j’ai été appelé parfois tôt le matin pour des journalistes qui me demandaient mon avis sur la présentation enfin du Vérificateur général de l’Inspection général d’État (IGE) des rapports publics sur l’état de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes 2016, 2017, 2018, 2019 au Président de la République.
Le lendemain jeudi, d’autres reviennent à la charge pour me demander cette fois-ci mon avis sur la ‘’colère’’ du président-politicien qui, lors du Conseil des Ministres de la veille, avait ‘’instruit’’ les ministres et autres assujettis, de faire leurs déclarations de patrimoine dans les 45 prochains jours (30 août au plus tard).
Je présente mes excuses à mes amis journalistes qui m’ont appelé pour solliciter mon avis sur les deux cas.
J’ai décliné évidement l’offre et ma réponse laissait parfois une impression d’énervement qui ne leur était point destiné.
En m’interpellant, ils faisaient leur travail. Mon énervement était plutôt dirigé contre le président-politicien qui n’a aucun respect pour nous, et peut-être aussi, contre ce peuple sénégalais qui avale passivement toutes les couleuvres. Comment peut-on faire d’un événement, en tout cas d’un événement qui mérite de retenir l’attention, la présentation du Vérificateur général de l’Inspection général d’État (IGE) des rapports publics sur l’état de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes 2016, 2017, 2018, 2019 au Président de la République en 2020 ? Manifestement, le président-politicien ne tenait pas à ce que le Vérificateur général les lui présente et surtout qu’ils soient diffusés – j’ai choisi à dessein ce qualificatif.
Il n’y avait vraiment rien de nouveau sous le soleil. En effet, quel est l’intérêt de ces ‘’petits’’ rapports qui sont des résumés même importants, comparés aux vingt-cinq (25) dossiers de l’OFNAC qui dorment sur le bureau du Procureur de la République et aux autres, très nombreux, qui gisent sous le coude du président-politicien ? Quel sort sera-t-il réservé à ces quatre rapports publics tardifs ?
La réponse est connue d’avance de tout le monde : dans une semaine ou deux, on n’en reparlera plus et le pillage de nos maigres ressources continuera de plus belle, les gestionnaires ne craignant aucune sanction, qui n’a pas de place dans la gouvernance ‘’sombre et vicieuse’’ du président-politicien.
J’ai répondu avec le même énervement à la question sur la ‘’colère’’ du président-politicien qui se moque de nous au point d’attendre sept ou huit ans pour ‘’instruire’’ tous les assujettis à la déclaration de patrimoine de s’acquitter de ce devoir avant le 30 août 2020. Il se moque de nous car la loi portant déclaration de patrimoine date du 2 avril 2014 (n° 2014-17) et le décret d’application n° 2014-1463 du 12 novembre 2014. Si le décret n’a pas été modifié entre-temps, son article premier dispose : « Conformément à l’article 2 de la loi n° 2014-17 du 2 avril 2014, relative à la déclaration de patrimoine, sont assujettis à la déclaration de situation patrimoniale, les personnes ci-après :
– Le Président de l’Assemblée nationale,
– Le Premier Ministre,
– Le Président du Conseil économique, social, et environnemental,
– Le Premier Questeur de l’Assemblée nationale ».
S’y ajoutent, selon le même article « tous les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et dépenses et les comptables publics effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur à un milliard (1.000.000.000) de francs CFA. »
Le Président de la République n’est pas cité ici parce que la Constitution l’assujettit déjà à la déclaration de patrimoine une fois élu. En effet, aux termes de l’article 37 de la Constitution du 22 janvier 2001 – s’il n’a pas été modifié entre-temps –, « le Président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique ».
Ce ‘’nouvellement élu’’ doit être précisé car, après son élection de 2012, il a vraiment pris son temps pour s’acquitter de cette obligation constitutionnelle. Peut-être, le patrimoine était-il très, peut-être trop substantiel. Une fois réélu, il devait être assujetti à la même obligation constitutionnelle. L’esprit de cette obligation, selon le profane que je suis, c’est que chaque fois qu’il termine un mandat, on devrait comparer le nouveau patrimoine avec le précédent, pour s’assurer que, entre-temps, il ne s’est pas exagérément enrichi sur le dos du pauvre contribuable.
Selon une information qui circule dans les réseaux sociaux, il aurait déposé une nouvelle déclaration de patrimoine au Conseil constitutionnel. Le patrimoine est détaillé et l’origine précisée. Ce qu’on constate, c’est qu’il a pris de la taille et du poids par rapport au premier. Et tout n’est certainement pas déclaré.
Si l’information est avérée, les patrimoines des anciens présidents français sont des nains par rapport à son monstre. Pourtant, François Mitterrand a été plusieurs fois ministre et député avant d’être élu et réélu Président de la République, pour quatorze ans. Jacques Chirac était déjà Secrétaire d’État en 1967, puis ministre, Premier Ministre, Maire de Paris pendant dix-sept (17) ans, avant d’être Président de la République pendant douze (12) ans.
Pourtant, la France est la sixième, peut-être la septième puissance économique, financière et militaire du monde, pendant que notre cher Sénégal est en bonne place parmi les vingt-cinq (25) pays les plus pauvres et les plus endettés du monde. Quel paradoxe !
Pour revenir à son injonction, celle de notre président-politiciens donnée à ses ministres de faire leurs déclarations de patrimoine avant le 30 août 2020, c’est vraiment du cinéma, de la comédie, comme il en a l’habitude. Considérez le nombre des gestionnaires de deniers publics assujettis à la déclaration de patrimoine ! Combien doivent-ils être, conformément à l’article 2 de la loi n° n° 2014-17 du 2 avril 2014 ? Certainement des milliers. Malgré tous les efforts fournis par l’ancienne Présidente de l’OFNAC pour convaincre les assujettis de faire leurs déclarations, peu d’entre eux s’en sont acquittés.
Le grand nombre, composé des plus riches, a carrément refusé, étant sûr que la loi portant déclaration de patrimoine n’était pour le président-politicien qu’un trompe-l’œil, comme l’était d’ailleurs l’OFNAC, qui devait recevoir les déclarations. Ils sont nombreux, les riches à milliards, qui ne feront jamais honnêtement de déclarations de patrimoine. Ils craignent comme la peste que leurs fortunes immenses soient connues, ne serait-ce que par l’OFNAC.
Quand, dans un certain pays d’Afrique, on est successivement et pendant plusieurs années directeur puis directeur général dans une certaine administration ; quand on passe ensuite ministre de ceci, ministre de cela et le premier étant des plus courus et pour cause ; quand on y est questeur inamovible d’une assemblée nationale qui est au service exclusif du Président de la République ; quand on y est ministre des infrastructures terrestres, aériennes ou ministre de la pêche, etc., on trouve facilement une bonne place parmi les milliardaires qui ne veulent pas entendre parler de déclarations de patrimoine. Le président-politicien le sait parfaitement, lui qui ferme les yeux et se bouche les oreilles pendant huit ans sur leurs graves forfaits de sa gouvernance hideuse. Qu’il les laisse donc continuer à s’enrichir impunément mais, de grâce, qu’il cesse de nous prendre pour ce que nous ne sommes pas : des demeurés.
Finalement d’ailleurs, avec nos comportements de tous les jours passifs, dociles, indifférents à tout, je ne suis même plus sûr que le président-politicien n’ait pas raison. Je me demande parfois où est le peuple, où est ce qu’on appelle la société civile, où est notre opposition, où sont nos chefs religieux qui méritent vraiment de porter le titre. Ce qui se passe au quotidien dans notre pays devient insoutenable. Pourtant, le bruit court de plus en plus que le président-politicien va ouvrir son gouvernement à l’opposition.
Lui, peut y penser pour préparer son troisième mandat. Quant aux autres, ils perdraient tout crédit, tout sens de l’honneur et de la dignité. Accepter, alors qu’on se réclamait de l’opposition, de rejoindre la gouvernance meurtrie du président-politicien, c’est se défaire de toutes les valeurs qui font l’homme et la femme de bien. C’est manifester la preuve que leurs seules préoccupations, c’est de prendre leurs parts de l’infect gâteau. C’est de donner un violent coup au ‘’penccoo’’ qui les retarde, et d’opter résolument pour le ‘’paacoo’’ qui les place au cœur des ‘’délices’’ du pouvoir.
Le ‘’paacoo’’ vaut-il vraiment ce qu’on perd en acceptant le compagnonnage avec ce président-politicien qui incarne ce qu’il y a de pire dans la mal gouvernance ? Sa parole ne vaut plus un kopeck. Il a béni sans état d’âme la détestable transhumance et en fait l’une de ses stratégies de gouvernance. Il ne se passe pratiquement pas de conseils de ministres sans qu’il ne nomme un pitoyable transhumant à un poste, et parfois des plus importants. Il entretient et nourrit au grand jour la corruption, les détournements de deniers publics et toutes les autres plaies béantes et puantes qui infectent sa nauséabonde gouvernance.
Voilà huit ans que des scandales succèdent aux scandales, scandales mis en évidence dans des rapports de nos organes de contrôle et qui mettent en cause des hommes et des femmes de son camp. Des dizaines de ces rapports gisent sous son coude à la Présidence de la République. Plus de vingt dossiers de l’OFNAC, exactement vingt-cinq (25), précise-t-on, dorment eux aussi d’un sommeil profond sur le bureau du Procureur de la République.
Contrairement à l’un de ses engagements – car il en a beaucoup pris –, la Patrie est écrasée sous le poids du parti. Il a pratiquement privatisé l’État au profit de sa famille, de sa belle-famille, des membres de son parti et de ceux de sa coalition à un moindre degré. Pas seulement. S’y ajoutent certains chefs dits religieux, des hommes et des femmes dits d’affaires qui s’accrochent aux basques de tous les régimes qui se sont succédé au pays depuis le 17 décembre 1962, pour la seule sauvegarde de leurs intérêts.
Comment peut-on, se réclamant de l’opposition, de la République, de la Patrie donc de l’intérêt supérieur de la Nation, faire compagnonnage avec cet homme qui a divisé le pays en deux camps nettement opposés : son propre quand qui bénéficie largement du régime et l’autre, traité réellement en parent pauvre ? Et puis, il y a une nette incohérence dans cet éventuel gouvernement de large majorité.
Qu’a-t-il besoin de d’ouvrir son gouvernement à l’opposition et à d’autres catégories de la société, si telle est son intention ? Le 27 février 2019, il a réussi le coup qu’il préparait depuis le 2 avril 2012, sa première installation comme troisième Président de la République du Sénégal : dès le premier tour du scrutin, il a gagné avec un peu plus de 58% des suffrages exprimés. Que va-t-il chercher une autre majorité ? Que se passe-t-il de particulier au Sénégal pour justifier cette ouverture politicienne avec probablement des arrière-pensées d’un troisième mandat ? Il a largement gagné et dispose d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale. Que veut-il encore de plus ? Il a tout ce qu’il lui faut : qu’il gouverne !
Le lecteur, la lectrice a dû remarquer que je ne me suis pas attardé sur les quatre fameux rapports publics, ni sur leurs contenus, qui sont pratiquement les mêmes qu’on trouve dans ceux d’autres organes de contrôle. Ils illustrent tous la mal gouvernance que nous vivons depuis bientôt soixante (60) ans, en particulier depuis le 1er avril 2000. J’ai quand même jeté un coup d’œil sur le ‘’Mot du Vérificateur général’’ du Rapport de 2016, le quatrième du genre. Il considère que sa publication « constitue désormais un événement marquant de la vie publique de notre pays (…), un élément majeur du dispositif de reddition des comptes auquel l’IGE se trouve soumise ». Il précise ensuite que « ce rapport public est d’abord destiné à être solennellement présenté à Monsieur le Président de la République, (…) ensuite mis à la disposition de l’Administration, de ses usagers, des partenaires au développement et, de façon général, à l’opinion publique ». Si on peut considérer cette activité comme un double objectif, le second ne me semble pas entièrement atteint s’il ne consiste qu’à inviter les gens à se reporter au site du Gouvernement. Combien sont-ils à y accéder ? Combien sont-ils à savoir lire et comprendre le français ?
Le rapport public doit, en principe, satisfaire un de nos droits reconnus par la Constitution, en son article 8 de son chapitre II. Il s’agit de notre droit « à une information plurielle ». S’y ajoute le Code de la Transparence dans la gestion des finances publiques de l’UEMOA, qui recommande à tous les États membre de l’intégrer dans leur droit interne. Ce qui a été fait au Sénégal par le vote de la Loi 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de Transparence dans la gestion des Finances publiques. La loi insiste beaucoup sur le droit que nous avons d’être informés sur la manière dont nos finances publiques sont gérées. Elle fait même obligation à certains agents de l’Administration de dénoncer auprès de qui de droit certaines pratiques qui lui tordent le cou, ce qui arrive souvent dans notre Administration.
Nous avons donc le droit de savoir, d’être largement informés. Pas sur tout, évidemment, mais qu’on ne nous oppose pas toujours le caractère ‘’anonyme’’, ‘’secret’’ et ‘’confidentiel’’ des choses traitées. N’est pas toujours confidentiel ou secret ce qui est présenté comme tel. Le monde bouge et avec elle la manière de gérer, surtout nos maigres finances publiques. Il faut s’y résoudre : la nécessité de la transparence dans la gestion des affaires publiques bouscule de plus en plus le ‘’secret’’ et le ‘’confidentiel’’.
Je n’ai pas pu résister à la tentation de terminer ce texte en citant la conclusion du ‘’Mot’’ du prédécesseur de l’actuel Vérificateur général. C’était quand elle présentait au Président de la République, en juillet 2013, le premier ‘’Rapport public sur l’état de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes ».
Elle disait ceci : « Je forme le vœu que ce premier Rapport sur l’état de la Gouvernance publique puisse jeter les bases d’un dialogue fécond entre l’IGE, les organisations de la société civile, les citoyens et toutes les parties intéressées à la promotion d’une gouvernance da qualité au Sénégal. »
Cette conception du Rapport public est bien plus en rapport avec la Constitution comme avec la Loi 2012-22 du 27 décembre 2012, portant Code de Transparence dans la gestion des Finances publiques. Elle est nettement plus en conformité avec les vœux ardents formés par des citoyennes et des citoyens qui s’activent au quotidien, pour l’avènement dans notre pays de la Bonne Gouvernance que nous attendons depuis 58 ans. Malheureusement, avec nos comportements passifs qui laissent le président-politicien gouverner à sa convenance le pays, cet avènement n’est sûrement pas pour demain. Á moins que . . . .
Dakar, le 20 juillet 2020