Covid-19 : à quoi ressemblait la deuxième vague de grippe espagnole en 1918 ?

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SENTV : La propagation du coronavirus à toute la planète a engendré un nouvel intérêt pour la plus grande pandémie de l’Histoire, celle de la grippe espagnole à la fin de la Première Guerre mondiale. Si la maladie, qui a connu plusieurs vagues, était très différente du Covid-19, l’épisode peut nous éclairer sur la situation actuelle.

Un peu partout sur la planète, les contaminations au Covid-19 repartent à la hausse dans des pays ayant déjà enregistré un premier pic épidémique au printemps. Aux États-Unis, le nombre quotidien de nouvelles infections a ainsi fortement augmenté depuis la mi-juin. En Europe, l’Espagne inquiète de plus en plus ses voisins avec le retour en force de la maladie tandis que le Royaume-Uni a reporté vendredi une nouvelle étape de son déconfinement.

Faut-il y voir une deuxième vague ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) met en garde contre l’expression, pourtant fréquemment utilisée par les journalistes et les responsables politiques. L’agence de l’ONU ne voit qu’ »une seule grosse vague », le virus n’ayant jamais disparu et n’étant pas saisonnier.

« Il est important de distinguer les vagues saisonnières et le reflux du Covid-19 dû aux mesures de santé publique », souligne Joel Wertheim, professeur assistant de médecine à l’Université de Californie à San Diego, contacté par France 24.

En 1918, une deuxième vague bien plus virulente

Pour mieux comprendre ce que représente une deuxième vague, rien de tel que l’exemple de la plus grande pandémie de l’Histoire, celle de la grippe espagnole au siècle dernier. La maladie avait alors submergé la planète en trois vagues et fait, entre 1918 et 1920, au moins 30 millions de victimes à travers le monde – jusqu’à 100 millions selon certains historiens.

Lors de la première vague, au printemps 1918, la grippe espagnole se montre hautement contagieuse et freine considérablement les efforts de guerre des pays engagés dans le premier conflit mondial. Mais la maladie n’est pas particulièrement virulente, les taux de mortalité officiels étant comparables à ceux de la grippe saisonnière.

Quelques mois plus tard, à l’automne, le virus refait surface et provoque une terrifiante deuxième vague, la plus sévère des trois. Aux États-Unis – où les données historiques sur la grippe espagnole sont les plus complètes –, 266 000 décès supplémentaires sont enregistrés entre septembre et décembre par rapport aux années précédentes.

C’est la capacité du virus de la grippe à évoluer qui explique vraisemblablement sa virulence accrue, explique à France 24 Erin Sorrel, professeure adjointe de microbiologie et d’immunologie à l’université de Georgetown. « La hausse de la létalité serait en partie due aux mutations accumulées par le virus pendant la première vague. Car les virus de la grippe sont sujets à des mutations qui leur permettent d’échapper à l’immunité développée après de précédentes infections », détaille la chercheuse.

À cet égard, le nouveau coronavirus semble moins menaçant :  « Ce virus est beaucoup plus stable », note John Barry, auteur de « The Great Influenza » (en français, « La Grande Grippe », éd. Penguin Books), contacté par France 24. « Il n’y a aucun signe dans le monde que le Covid-19 devienne plus mortel, comme ce fut le cas pour la grippe espagnole en 1918. »

À l’automne 1918, la nouvelle souche de la grippe espagnole suscite des réactions très diverses. En France, où la maladie tue 240 000 personnes au cours des trois vagues, le gouvernement reste concentré sur l’effort de guerre lors de la deuxième vague, alors que le conflit est sur le point de se terminer avec l’armistice signé le 11 novembre. Certains rassemblements sont interdits et quelques lieux publics fermés, mais ces restrictions n’ont rien de comparable avec les mesures de confinement prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Aux États-Unis, loin du carnage du front occidental, les autorités essaient par endroits d’enrayer la propagation de la maladie. Certaines régions ferment ainsi leurs écoles, leurs églises et leurs restaurants.

« La première vague est passée assez inaperçue. La guerre était toujours en cours et les médecins se concentraient sur le maintien des soldats en bonne santé et sur le champ de bataille », précise à France 24 Jim Harris, historien des sciences à l’université d’État de l’Ohio. « Mais pendant la deuxième vague, quand la grippe est devenue beaucoup plus virulente, les responsables politiques se sont sentis obligés de réagir. »

Les bénéfices de la distanciation physique déjà observés

Au début de la deuxième vague, un événement notoire de supercontamination témoigne déjà des bénéfices de la distanciation sociale. Le 28 septembre 1918, plus de 200 000 personnes assistent à la Liberty Loan Parade de Philadelphie (Pennsylvanie), un défilé organisé pour promouvoir la vente d’obligations de guerre du gouvernement américain. Des experts ont pourtant déconseillé aux autorités la tenue du rassemblement.

À la même période, Saint-Louis (Missouri) choisit de son côté d’annuler sa parade et d’autres grands événements. La comparaison des situations sanitaires des deux villes américaines dans les semaines qui suivent sert encore aujourd’hui de leçon. « Le mois suivant, plus de 10 000 personnes meurent à Philadelphie de la grippe espagnole, alors que le bilan humain à Saint-Louis ne dépasse pas les 700 morts. Cet exemple montre l’intérêt d’annuler les grands rassemblements et de recourir aux mesures de distanciation sociale lors de pandémies », peut-on lire sur le site des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, l’agence fédérale chargée de la protection de la santé publique aux États-Unis.

Selon les spécialistes, ce contraste entre les situations de Philadelphie et de Saint-Louis s’inscrit dans un contexte plus large, dans lequel les mesures de santé publique ont clairement contribué à lutter contre la grippe espagnole. « Nous avons constaté que, pendant la réponse à la pandémie de 1918-1919 (en particulier aux États-Unis), les villes et les États qui ont rendu obligatoire le port du masque, interdit les grands rassemblements et fermé les écoles s’en sont mieux sortis que les autres », indique l’immunologue Erin Sorrell.

Les jeunes adultes particulièrement touchés

Comme dans le cas du Covid-19, toutes les classes d’âge n’ont pas été affectées de la même manière par la pandémie de 1918. Cependant, les populations à risques diffèrent. Alors que le nouveau coronavirus fait aujourd’hui des ravages chez les personnes âgées et peu de victimes parmi les plus jeunes, la grippe espagnole n’avait pas épargné ces derniers.

Pendant la première vague du printemps 1918, la maladie se comporte comme la grippe saisonnière, en touchant particulièrement les nourrissons et les personnes âgées. Lors de la deuxième vague, la plus grande pandémie de l’Histoire se révèle aussi hautement mortelle pour les 25-35 ans.

Pourquoi ce groupe d’âge a-t-il été aussi fortement affecté ? « Il existe seulement des hypothèses », constate l’historien John Barry. « L’explication la plus probable est que les jeunes ont un système immunitaire plus fort, qui a réagi de manière excessive et provoqué un choc cytokinique dans les poumons. »

Partage de l’information à l’échelle mondiale

Alors que la nature des virus restait un mystère au début du XXe siècle, les grandes avancées scientifiques et technologiques réalisées depuis un siècle représentent aujourd’hui une source d’espoir dans la lutte contre le Covid-19. « Nous disposons, à l’échelle mondiale, de compétences et d’expertise scientifiques, de technologies, de ressources et de méthodes de partage de l’information », constate Erin Sorrell.

« Notre défi aujourd’hui, souligne cependant la chercheuse de l’université de Georgetown, consiste à diffuser des informations correctes au public sur la pandémie, donner du crédit à nos scientifiques et les écouter pour empêcher la désinformation. » Et tirer des leçons du passé – comme l’épisode de Philadelphie – pour éviter que l’Histoire ne se répète.

 France24

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