Bien loin le temps où sa chaude voix de stentor posée sur des rythmes traditionnelles, enflammait les maisonnées et autres lieux de détente. De cette époque, il ne reste plus que des souvenirs mémorablement gravés sur des enregistrements qui ont pris la poussière. Face à L’Obs, elle accepte de remonter le temps, enrobant sa carrière de sa souvenance sans fards. A coeur et esprit ouverts avec la grande cantatrice Dial Mbaye dans une entrevue de franche sincérité…
On vous a perdu de vue depuis un certain temps. Que devenez-vous ?
Je suis bien là… Seulement, je ne suis plus aussi active qu’auparavant. Vous savez, j’ai pris de l’âge et je ne peux plus me permettre certaines choses, comme écumer les spectacles et autres, juste pour avoir du buzz ou que l’on parle de moi. Une grande personne doit avoir de la personnalité. Je suis dans mon coin et j’attends qu’on fasse appel à moi. Et c’est bien mieux ainsi, j’y trouve mon compte.
Est-ce à dire que vous avez mis un terme à votre carrière musicale et que vous ne sortirez plus de singles, d’albums ?
Je n’ai plus rien à prouver dans la musique et toute chose a une fin. Je suis juste retournée à mes premières amours, les cérémonies de mariages et baptêmes. Là où tout a démarré pour moi et je peux dire que ça me réussit plutôt bien. Je suis satisfaite de ce que j’y gagne et ça me permet de vivre décemment. Je suis assez sollicitée. Le gouvernement fait également appel à moi. La musique m’a permis de partir à la Mecque à dix reprises, de construire des maisons, une aux Maristes, l’autre à Tivaoune, d’avoir des véhicules, de pouvoir prendre en charge mes enfants et leur assurer le minimum. Donc je rends grâce à Dieu et me contente de ce que j’ai. D’autant plus qu’avant, ce sont les producteurs qui venaient à moi, me sollicitaient pour des albums à leurs frais. On pouvait même se permettre de faire la fine bouche, de rejeter certaines propositions, au profit d’autres plus alléchantes. Maintenant, ce n’est plus le cas. Il faut savoir être digne. Ça ne sert à rien de faire le pied de grue pour être produite. En ce qui me concerne, je n’ai pas les moyens de m’auto-produire, particulièrement dans un contexte où les albums ne se vendent plus. Je préfère prendre cet argent et m’acheter de l’or ou un terrain. Au moins, ça pourra me servir au besoin. J’ai toujours ma voix et les instruments traditionnels sont là pour m’accompagner, lorsque je fais des prestations. C’est largement suffisant. Je n’exclus pas non plus de me remettre en selle, d’entrer à nouveau en studio, si jamais un producteur venait à moi. Ce qui est certain en revanche, je n’irai pas vers eux.
«La musique m’a donné des maisons, des voitures et permis d’aller dix fois à la Mecque»
A quand remonte votre dernier opus ?
C’était suite au rappel à Dieu de Serigne Mansour Sy Borom Daraji en 2012 que j’ai sorti mon dernier produit. C’est Aladji Alé Ndiaye qui m’a remis l’argent pour le faire. Depuis, je n’en ai pas enregistré d’autres.
Etre inactive ne vous empêche certainement pas d’avoir un regard sur l’évolution de la musique au Sénégal. Qu’en pensez-vous ?
Bien entendu ! Je vois tout ce qui se fait. Les jeunes ont pris la relève et portent haut le flambeau. Nous autres qui avons déjà joué notre partition, devons leur céder la place et non leur faire de l’ombre.
«Lorsque j’ai arrêté de me dépigmenter, j’évitais de me regarder dans une glace»
Etes-vous en phase avec ceux qui disent qu’un artiste ne prend jamais sa retraite ?
Je suis née en 1949 (71 ans). Dans la vie professionnelle, on sait tous qu’il y a un âge où les employeurs mettent les travailleurs à la retraite. Moi, j’ai choisi spontanément de me mettre à la retraite. Maintenant, il peut arriver qu’un service fasse appel à l’employé pour qu’il diffère sa retraite. Je suis dans ce cas de figure. Même retraitée, d’aucuns font toujours appel à moi pour animer leurs cérémonies. Quoi qu’il en soit, je pense avoir fait mon temps. Je suis l’aînée des Kiné Lam, Maty Thiam Dogo, Ndèye Fatou Ndiaye, Ndèye Diouf… Elles me considèrent comme une maman. Celle à qui je me réfère souvent, c’est Khar Mbaye Madiaga, car nous avons les mêmes guides religieux : Serigne Babacar Sy et Seydi El Hadj Malick Sy. On ne la voit plus dans les spectacles, mais, elle continue à prester dans des cérémonies privées.
Dans le rétroviseur, que capte votre oeil qui vous a le plus marqué dans votre carrière ?
Ce qui m’a le plus marqué, c’est la sortie du single «Fa Wade Wellé». J’étais à mes tout débuts. Ma première apparition s’est faite à la RTS lors de son inauguration sur l’avenue Malick Sy entre 1989 et 1990. A l’époque, NDioro Ndiaye était ministre de la Femme. Elle figure d’ailleurs sur la cassette. Comme invités d’honneur, Kiné Lam, Samba Diabaré Samb, Ndèye Ngoné Samb, entre autres. C’est El Hadj Mansour Mbaye qui m’avait recommandée pour faire partie du programme. Il m’avait remarquée parce que j’assurais les chœurs pour Kiné Lam. Elle venait de démissionner de l’Ensemble lyrique traditionnel et a voulu que je l’accompagne. A l’époque, je chantais dans les cérémonies. Elle est donc venue demander la permission à mon époux pour que je lui fasse les chœurs. C’est ainsi que notre collaboration a démarré. De plus, je suis sa tante maternelle. Quand j’ai posé ma voix dans sa chanson «Balla Aïssa Boury», ça a fait un tabac. Tout le monde parlait de moi. Et c’est sur ces entrefaites qu’El Hadj Mansour Mbaye a demandé à ce que je participe à cette émission intitulée «Super Ndadjé». Après la prestation de Kiné Lam, j’ai joué deux morceaux. Et c’est de là qu’est sortie la chanson «Fa Wade Wellé». A partir de ce jour, je suis devenue connue. Le producteur Talla Diagne m’a aussi remarquée et a décidé de me produire. Tout s’est enchaîné pour moi : les cassettes, les spectacles, les voyages. Je me suis produite dans plusieurs régions du Sénégal, dans la Sous-région, en Europe et aux Amériques.
Votre plus grande déception ?
C’est de n’avoir pas été payée intégralement par un promoteur en 1997. Au temps, mon manager s’appelait Babacar Ndack Mbaye et était d’une rare bonté. Il faisait confiance à tout le monde. J’exigeais toujours de recevoir la moitié de mon cachet avant le spectacle et le reliquat après la première partie. Mais lui était plus souple. Alors, il s’est fait berner par le promoteur qui nous a demandé le jour de l’événement, d’attendre le lendemain pour percevoir le reliquat, alors que la salle était archi-comble. Ce qui m’a le plus déçue, c’est de n’avoir pu comme d’habitude offrir de l’argent à mes musiciens du groupe «Fouleu». J’ai eu comme un pincement au cœur et beaucoup de peine pour eux.
Quel a été votre plus gros cachet ?
Une fois aux Etats-Unis, j’avais eu un gros cachet et une autre fois au Congo Brazzaville où j’ai perçu 1 500 000 pour un playback. A l’époque, c’était énorme pour moi. Lors de mes tournées à l’intérieur du pays, j’ai aussi gagné beaucoup d’argent. Mais pour moi, le contact avec les fans importait plus. Je me rappelle avoir un jour joué à Ndayane. Le lieu où je donnais le concert, était à deux pas d’une maternité. La sage-femme qui n’avait pas de patientes est venue suivre ma prestation, avant qu’on la rappelle en cours de concert pour assister une femme qui était sur le point d’accoucher. Elle est donc partie l’assister. Une fois l’accouchement fini, elle est revenue me dire que je leur avais porté bonheur, tout s’étant bien passé. Elle m’a annoncé la naissance d’une petite fille. Je lui ai remis 10 000 F CFA pour la nouvelle maman. Une semaine plus tard, sans que je m’y attende, le papa a baptisé sa fille à mon nom. Jusqu’à présent, nous gardons le contact et des sœurs de mon homonyme vivent avec moi, sous le même toit. J’ai d’autres homonymes qui sont des enfants de certains de mes fans et des membres de mon groupe. Et d’autres juste parce que je suis une fervente disciple de Seydi El Hadj Malick Sy. J’en ai une dizaine.
La soirée que vous n’oublierez jamais ?
Nous étions partis à Mbour pour une soirée et après, nous avons fait cap sur Pal. La maison où nous logions était à quelques mètres de la salle de spectacle. Le soir, alors qu’il n’était même pas encore 20 heures, mon bassiste Pape Diatta est venu m’appeler pour me demander de monter à la terrasse. Lorsque je suis montée, j’ai aperçu une marrée humaine. Des jeunes, des adultes sur leur trente-et-un, d’autres avaient leurs bébés sur le dos. Ils étaient tous là pour espérer avoir une place. Cela m’a beaucoup émue et j’ai pleuré. Une personne comme moi, si insignifiante tant aimée et adulée, c’est une grâce divine. La seule façon de les remercier, c’est leur offrir une belle prestation. Je me suis donnée à fond ce soir-là.
Le succès ne vous manque t-il pas ?
Pas vraiment puisque mon public est toujours là. Dans les cérémonies où je vais, il y a toujours foule et je suis au milieu. Tout le monde me porte une attention particulière.
Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis que vous avez décroché du monde du show-bizz ?
A vrai dire, pas grand-chose. Je suis toujours la même.
Vous avez sans doute plus de temps pour vous consacrer à la prière ?
La musique n’a jamais été pour moi un obstacle à la pratique convenable de ma religion. Je suis née et j’ai grandi à Tivaouane. C’est là-bas où j’ai appris le Coran et toutes les pratiques liées à l’Islam. L’actuel Khalife Serigne Mbaye Sy Mansour qui est mon aîné, m’a une fois confié à Abidjan où l’on s’est vu alors que je faisais escale là-bas, de ne jamais laisser ma musique entraver ma religion. Je lui voue un profond respect et je ne vais jamais faire fi de ses conseils. Le seul changement que j’ai observé depuis mon retrait de la scène, c’est que je ne me dépigmente plus. Mon statut d’artiste, ma jeunesse et le mimétisme m’ont entrainée dedans. Maintenant que j’ai vieilli, j’ai laissé tout cela de côté. Ça ne pouvait plus continuer, vous imaginez une grande personne s’éclaircir la peau… A la limite, c’est ridicule. Lorsque je priais, je demandais au Bon Dieu de m’aider à ne pas entrer dans ma tombe avec une peau dépigmentée. Il a exaucé mon voeu. Mais quand j’ai arrêté la dépigmentation, j’évitais de me regarder dans une glace. Sinon, j’aurais probablement replongé. Maintenant, j’ai retrouvé mon teint normal.
«Je n’ai pas peur de la mort, mais de l’inconnu»
Qu’est-ce qui vous reste à accomplir ?
Honnêtement, j’ai tout ce dont j’ai besoin même si j’ai réduit mes activités. Avec l’épidémie du coronavirus qui sévit dans le pays, je ne sors même plus. Mais, je ne plains nullement. Les petits-enfants de Seydi El hadj Malick Sy m’ont trouvée jusque chez moi pour m’apporter leur soutien financier. C’est une grande aubaine et je rends grâce à Dieu. La seule chose que j’aimerais, c’est que mes enfants soient plus unis et plus intègres. Je ne dis pas qu’ils ne le sont pas, bien au contraire, je les ai bien éduqués et leur ai inculqué des valeurs. Ils sont aussi très portés sur la religion.
Avez-vous peur de la mort. Vous arrive-t- il d’y penser ?
J’y pense constamment. C’est dans l’ordre naturel des choses, on partira tous un jour. Je n’ai pas peur de la mort, mais de l’inconnu oui. J’essaie de me conformer aux préceptes de la religion. Personne n’est parfait et j’implore tous les jours, la miséricorde divine. Comme tout le monde, j’ai eu à faire des erreurs.
Que pouvez-vous nous dire sur votre relation avec Kiné Lam ?
C’est ma fille, je suis sa tante. A son mariage, j’étais sa marraine. Elle me respecte et est très généreuse envers moi. Elle m’informe de tout ce qu’elle fait. Elle a un bon cœur, c’est une personne exceptionnelle et je ne le dis pas pour ses beaux yeux.
Votre message à la jeune génération ?
Je demanderai d’abord aux Sénégalais, de respecter scrupuleusement les consignes de sécurité et d’hygiène. A la jeune génération, je conseille indulgence dans les rapports. Avec les réseaux sociaux, on voit des gens gâcher la vie d’autrui. Certains sont pires que des agents secrets et enregistrent leurs interlocuteurs à leur insu, pour après, les vilipender. Cela est à bannir… Je termine en remerciant Marième Faye Sall, la Première Dame.
MARIA DOMINICA T. DIEDHIOU