SENTV : La rupture après le mariage est de plus en plus fréquente au Sénégal. Et ce constat est fait après différentes études scientifiques. Les causes sont diverses et relèvent de l’infidélité, de l’influence des belles-familles et de la non-acceptation de l’autre, de l’incompatibilité d’humeur, du manque de confiance en soi ou en l’autre, de l’immaturité, de violences verbales et/ou physiques, du matérialisme, etc.
Cette rupture, appelée divorce est aussi bien encadrée par le code de la famille au Sénégal que par l’Islam, la religion la plus pratiquée dans le pays et sur laquelle nous allons nous appesantir. « Il vaut mieux un mauvais mariage qu’une parfaite relation amoureuse », avons-nous culturellement, l’habitude d’entendre sans oublier le terme « Caga » utilisé en Wolof pour désigner les femmes veuves et divorcées.
Cette appellation péjorative s’expliquerait pour certains, par le fait que la société privilégiait les liens sacrés du mariage aux libertinages et ceci devait pousser les femmes à retrouver très vite un foyer après leur délai de viduité ou « Idda ». Oublie-t-on toutefois que le mariage et tout ce qui s’en suit relève de la volonté Divine ? Fait-on fi de l’homme « divorcé » ? Lui-a-t-on trouvé un sobriquet pour le pousser à se remarier ? La réponse est non. Et là, nous qui aimons tant vanter les valeurs cardinales de nos sociétés africaines, de nos cultures matriarcales, nous nous arrêtons et pointons du doigt, cette façon bien violente de voir la femme selon qu’elle soit célibataire, mariée, divorcée, veuve et même mère ou pas de par ses entrailles. Nous reviendrons sur ce dernier cas dans une autre publications. Faisons un petit tour avec le divorce !
En 1816, la loi Bonald interdit le divorce « ce poison révolutionnaire » qui avait constitué, en 1789, un acquis dit considérable à cette période. Il faudra attendre 1884 pour que les Français et les populations des colonies aient à nouveau, légalement la liberté de divorcer après une union liant deux être amoureux et dotés de raison. Outre ces barguignages juridiques, le divorce est aussi et surtout un concept philosophique et religieux. En Afrique, il est en effet, question de la sacralité et de l’institutionnalisation du mariage avec un aspect juridique et culturel comportant des règles strictes de légitimité et de stabilité. Cela n’empêchait, néanmoins que la scission considérée avant comme une atteinte à l’honneur du groupe, reposait sur des prétextes avérés relevant de l’homme ou de la femme et acceptés par les familles réunies en conseil.
Pour ce qui est du regard philosophique le divorce n’est pas forcément, un fait négatif. D’ailleurs, John Milton comme Stanley Cavell entonnent un dithyrambe en l’honneur du mariage en passant par celui du divorce qui essentiellement n’a rien d’« méphitique» si l’on considère que la valeur d’un lien tient toujours à sa fragilité. Et donc, le divorce ne serait que « séparation ». Séparation qui selon le poète grec Hésiode occasionne le chaos primordial « Gaïa » sommier de la division et de l’existence de la Terre et du Ciel. On peut se passer de raconter la suite qui n’est autre qu’une légende de la formation de l’Univers.
Prenant le Sénégal comme lieu de songe, on valserait entre cultures, religion islamique, droit civil, valeurs et contre-valeurs. Mais en général, le divorce est un fardeau porté seul par la femme qui, en plus de la douleur au moment même de la séparation, du sentiment d’échec dans la tentative de construction d’un foyer, de probables contrariétés financières et de la garde des enfants, doit affronter la société et tout le temps prouver ou non qu’elle est digne de confiance, qu’elle relève le défi de la solitude, qu’elle n’est en rien une « caga » car même divorcée, elle reste la personne principielle qu’elle a été « catherinette » ou pas d’ailleurs.
D’un côté, « Remarie-toi, remets-toi avec le père de ton ou tes enfants », « La beauté d’une femme est éphémère et ne trouve son sens que dans les liens du mariage… » etc. Voilà des phrases auxquelles est accoutumée la femme divorcée au Sénégal. D’un autre côté, de nombreux hommes l’approchent en imaginant déjà les couleurs de ses draps et celles de sa lingerie se défaisant de toute possibilité d’être devant une mère, une sœur, une âme-sœur, l’amour d’une vie ou même devant une muse, celle qui nous transporte et qui nous inspire.
Ceci n’est pas un cri de cœur, juste un constat face à l’Islam, cette religion qui norme le divorce sans le magnifier, tout au contraire. Celle-ci qui est pratiquée par la majorité des Sénégalais et qui a montré la voie du respect devant être voué à la femme en général, à la divorcée et à la veuve. Ah oui, Khadija, notre vénérée mère, première et seule épouse du Prophète Mohammed (PSL) de son vivant, a d’abord connu la séparation puis le veuvage avant de se remarier une troisième fois avec le meilleur des êtres. De même, en douze versets, la Sourate « At Talaq », soixante-cinquième du Coran, nous dit :
1. Ô Prophète! Quand vous répudier les femmes, répudiez-les conformément à leur période d’attente prescrite; et comptez la période; et craignez Allah votre Seigneur. Ne les faîtes pas sortir de leurs maisons, et qu’elles n’en sortent pas, à moins qu’elles n’aient commis une turpitude prouvée. Telles sont les lois d’Allah. Quiconque cependant transgresse les lois d’Allah, se fait du tort à lui-même. Tu ne sais pas si d’ici là Allah ne suscitera pas quelque chose de nouveau !
2. Puis quand elles atteignent le terme prescrit, retenez-les de façon convenable, ou séparez-vous d’elles de façon convenable; et prenez deux hommes intègres parmi vous comme témoins. Et acquittez-vous du témoignage envers Allah. Voilà ce à quoi est exhorté celui qui croit en Allah et au Jour dernier. Et quiconque craint Allah, il lui donnera une issue favorable,
3. et lui accordera Ses dons par [des moyens] sur lesquels il ne comptait pas. Et quiconque place sa confiance en Allah, Il [Allah] lui suffit. Allah atteint ce qu’Il Se propose, et Allah a assigné une mesure à chaque chose.
4. Si vous avez des doutes à propos (de la période d’attente) de vos femmes qui n’espèrent plus avoir de règles, leur délai est de trois mois. De même pour celles qui n’ont pas encore de règles. Et quant à celles qui sont enceintes, leur période d’attente se terminera à leur accouchement. Quiconque craint Allah cependant, Il lui facilite les choses .
5. Tel est le commandement d’Allah qu’Il a fait descendre vers vous. Quiconque craint Allah cependant, il lui efface ses fautes et lui accorde une grosse récompense.
6. Et faites que ces femmes habitent où vous habitez, et suivant vos moyens. Et ne cherchez pas à leur nuire en les contraignant à vivre à l’étroit. Et si elles sont enceintes, pourvoyez à leurs besoins jusqu’à ce qu’elles aient accouché. Puis, si elles allaitent [l’enfant né] de vous, donnez-leur leurs salaires. Et concertez-vous [à ce sujet] de façon convenable. Et si vous rencontrez des difficultés réciproques, alors, une autre allaitera pour lui.
7. Que celui qui est aisé dépense de sa fortune ; et que celui dont les biens sont restreints dépense selon ce qu’Allah lui a accordé. Allah n’impose à personne que selon ce qu’Il lui a donné, et Allah fera succéder l’aisance à la gêne.
8. Que de cités ont refusé avec insolence le commandement de leur Seigneur et de Ses messagers! Nous leur en demandâmes compte avec sévérité, et les châtiâmes d’un châtiment inouï.
9. Elles goûtèrent donc la conséquence de leur comportement. Et le résultat final de leurs actions fut [leur] perdition.
10. Allah a préparé pour eux un dur châtiment. Craignez Allah donc, ô vous qui êtes doués d’intelligence, vous qui avez la foi. Certes, Allah a fait descendre vers vous un rappel,
11. un Messager qui vous récite les versets d’Allah comme preuves claires, afin de faire sortir ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres des ténèbres à la lumière. Et quiconque croit en Allah et fait le bien, Il le fait entrer aux Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, pour y demeurer éternellement. Allah lui a fait une belle attribution.
12. Allah qui a créé sept cieux et autant de terres. Entre eux [Son] commandement descend, afin que vous sachiez qu’Allah est en vérité Omnipotent et qu’Allah a embrassé toute chose de [Son] savoir.
Combien d’hommes au Sénégal respectent ce que dit le Coran sur la femme avec laquelle on souhaite se séparer ? Très peu. Et très souvent on oublie qu’en marge de la Sourate « At Talaq, la Sourate Baqara dans ses versets 225, 226 et même 229 revient sur les conditions de la séparation en plus de cette source coranique, la jurisprudence convoque les conditions de divorce pouvant être demandé par la femme dont voici quelques exemples lorsqu’il :
• est avare et ne confère pas à sa femme les droits qu’elle mérite.
• a un mauvais caractère et traite mal sa femme en lui manquant de respect, même devant les autres.
• est plongé dans la désobéissance et le péché, c’est-à-dire dans la dépendance à la drogue, à l’alcool, à l’adultère…
• ne dort pas chez lui chaque nuit ou rentre toujours tard.
• rend la vie de sa femme insupportable et très contraignante (ne la laisse jamais sortir de la maison).
• ne satisfait plus sa femme sexuellement ou refuse d’entretenir des rapports charnels avec celle-ci.
• use de la violence physique ou verbale à l’encontre de son épouse…
Le relève-t-on lors des différents prêches qui ne souffrent pas de rareté sur les différentes chaines de radio et de télévision au Sénégal ? Peu souvent.
Dans la société sénégalaise, un homme peut divorcer autant de fois qu’il en éprouve le besoin et se prévaloir de porter son choix sur une jeune vierge, personne n’y voit un quelconque inconvénient en de dehors de quelques suspicions qui s’estompent aussi vite qu’elles ont été relevées. Surtout lorsque, le sieur en personne vit dans l’opulence. Mais lorsqu’il s’agit d’une femme, les choix se voient de suite, limités et les conseils reçus de presque partout, tournent autour de :
– Pense à ton âge, à tes enfants.
– L’essentiel est qu’il veuille t’épouser.
– Tu n’as plus le choix, quelle que puisse être ta position, le nécessaire est qu’il te loge
– Ne songe plus à te marier par amour mais plus par devoir ou par nécessité.
– Tu crois encore en l’amour ? Tu rêves ! Tu seras vite désenchantée.
– S’il a un semblant d’égard pour tes enfants, épouse-le. Rares sont ceux qui te prendront avec tes enfants…
– N’habite pas seule, c’est une façon de leur prouver que tu es ouverte à la dépravation.
– Joue le jeu, ne fais pas ta difficile, tu les feras fuir.
– Ne réfléchis pas trop, des jeunes filles toutes fraîches sont là, prêtes à se marier sans rechigner.
– Pour trouver quelqu’un et reprendre ta vie en main, ramène tes enfants chez leur père.
– Tu as très peu de chance de rencontrer un homme jamais marié qui voudrait d’une divorcée, ils veulent juste s’amuser…
De pareilles assertions, nous pourrions en sortir une tonne. Voilà le sort, malheureusement réservé aux femmes divorcées dans notre pays de la Teranga. Nous vous passerons des problèmes rencontrés par ces dernières pour des questions de pensions alimentaires, de harcèlements de part et d’autre. Est-ce les hommes, le problème ? Non, pas seulement ! C’est le regard porté par la quasi-totalité d’une société sur une catégorie qui n’a rien demandé et que même les séries télévisées n’épargnent pas. L’on semble oublier qu’aussi bien une femme qu’un homme n’est que ce qu’en fait une société.
La fille et le garçon doivent statutairement être préparés au mariage, aux relations humaines selon nos religions pratiquées et nos valeurs. Point de contre-valeurs. Il est fréquent, en ce XXIe siècle qu’on s’arrête sur l’équité, la parité entre le genre masculin et féminin, mais on ne nait pas femme et on ne nait pas homme, non plus. On devient l’un ou l’autre. Ce qui pose problème, c’est le statut conféré à la femme et qui doit faire l’objet de débats pendant que la femme est encore « fille » et que l’homme est encore « garçon ». Le divorce est juste une séparation. Pourquoi devrait-il mal se passer ? Pourquoi une divorcée devrait-elle être dépréciée, dévalorisée ? La femme ne serait-elle qu’objet de convoitise qui perd ou gagne en valeur selon qu’elle soit mariée, veuve ou divorcée. Que fait-t-on du cœur, de la beauté intérieure, des principes, de la foi ?
Loin de nous, l’idée de dire que toutes les femmes divorcées subissent le même sort ou sont des « anges », mais le doute n’est pas permis les concernant. Elles sont déjà au banc des coupables pour celles qui ont un peu de chance et sur la guillotine prêtes à rejoindre la rive des dévergondées plus aptes à être mère de saints et de saintes ou de grands hommes et de grandes femmes. Qu’ont-elles fait aux dieux d’Afrique pour mériter de tels destins ? Telle est notre question.
Ndeye Astou Moustapha Ndiaye