SENTV : Il a fait les beaux jours du Hip-Hop sénégalais avec son compère Didier Awadi, jusqu’à l’éclatement de leur groupe, le PBS. Depuis, il mène sa barque seul dans les eaux boueuses de la musique. Quelque peu en retrait ses derniers temps, nous l’avons retrouvé le temps d’une interview. Duggy-Tee parle sans détours de sa carrière solo, des belles années et de la dissolution du Positive Black Soul, de la relève dans le Rap, de la politique… Il se lâche comme jamais…
Ça fait un moment qu’on ne vous entend plus, votre carrière est en léthargie. Que se passe-t-il ?
Je travaille actuellement sur mon prochain album, ce qui explique le fait que je ne sors pas beaucoup. Ce sera un autre niveau, donc ça prend énormément de temps. Il ne sert à rien de jouer tout le temps, si l’on n’a rien de neuf à proposer. C’est avant tout un choix personnel, je suis un peu perfectionniste sur les bords. Il faut également dire qu’actuellement, on ne fait plus trop de scènes. On organise de moins en moins ces dernières années, des concerts, festivals et autres. Avec le contexte de la pandémie, tout est pratiquement à l’arrêt. En attendant, pour plus de visibilité, je compte miser sur les vidéos et les réseaux sociaux. Dès que la situation sera beaucoup plus stable, je vais me mettre aux prestations.
Depuis quand avez-vous débuté votre projet d’album ?
Le projet était fin-prêt. Tout était en boîte. Seulement au studio, nous avons eu quelques petits soucis techniques qui ont occasionné la perte de toutes les données. C’était vraiment de la malchance. Le disque dur a complètement cramé et deux ans de boulot se sont envolés. C’était un problème lié à l’électricité. J’avoue que j’étais découragé, mais j’ai quand même tout repris. Ironie du sort, cet opus est beaucoup mieux.
«La musique n’est plus ce qu’elle était»
Votre carrière sans votre compère Awadi, comment l’appréciez-vous ?
Autant pour lui que pour moi, ça ne marche plus comme au temps où nous formions le PBS (Positive Black Soul). Nous ne représentions pas seulement Awadi et Duggy Tee, mais le Sénégal et toute l’Afrique. Entre-temps, la musique a beaucoup changé. Elle n’est plus ce qu’elle était. Aujourd’hui, il y a une floraison d’artistes, mais ils ne sortent pas du Sénégal. Ils ne sortent que lorsqu’il y a un Sénégalais qui organise quelque chose en France. Malheureusement, ce ne sont pas des scènes énormes et c’est pour la communauté sénégalaise. Ce n’est pas mal, mais j’aurais souhaité qu’ils fassent le tour du monde, qu’ils se produisent dans tous les grands festivals devant un public cosmopolite. Ce n’est pas non plus de leur faute. Aujourd’hui, les gens misent plus sur la visibilité à l’Internet. C’est générationnel.
Qu’est-ce qui vous empêche de reformer votre groupe ?
Le Positive Black Soul dépasse nos 2 personnes. Ils sont nombreux à y avoir participé et apporté leur pierre à l’édifice. Lorsqu’une scission est opérée au sein d’un groupe, en tenant en compte du fait que ce soit dans l’intérêt de tous, et que nous restons des années après, les choses ne sont plus forcément les mêmes. Nous sommes restés en paix, il n’y a pas d’animosités entre nous. Nous avons fait preuve d’assez de maturité en prenant cette décision là. Maintenant, de temps à autre, on se met ensemble et à chaque fois ça marche. Les plus grands artistes qui marchent, ils sont en solo. C’est au niveau de l’industrie musicale. Rares sont les groupes qui marchent.
«Awadi et moi, on ne s’entendait plus sur certaines choses»
Avec Awadi, vous ne vous entendiez plus ?
Oui, sur certaines choses. C’était mieux comme ça. C’est comme dans un couple, quand les conjoints n’arrivent plus à s’entendre, plutôt que de rester ensemble et prendre le risque d’envenimer les choses, ils décident de se séparer. N’empêche, même s’il y a divorces, les bons souvenirs restent, les enfants on ne peut pas les renier. Le PBS est dans ce cas de figure. Nos produits sont nos premiers enfants, nous avons fait de belles choses ensemble. On retient ce qu’il y a de beau, le reste on oublie.
N’êtes-vous pas nostalgique de cette époque ?
Ah oui ! Je suis nostalgique de ces moments, de nos tournées partout dans le monde. Il nous arrivait de disparaître la moitié de l’année et ne pas être au Sénégal. On découvrait et apprenait beaucoup de choses, on voyait toutes les grandes scènes, les cultures, les races, les religions. En plus, on gagnait beaucoup d’argent. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Je n’ai jamais eu ce rapport avec l’argent, mais il faut dire que c’est nécessaire pour survivre. Toutefois, rien n’égale la santé, la paix intérieure, l’amour. Ce qui me manque le plus, ce sont les échanges avec le public, cet engouement, cette liesse autour de nos prestations. Il y a aussi nos petites folies en studio, nos délires et même nos disputes sur certains choix musicaux. Je suis Musulman très croyant et Awadi également est un Chrétien croyant. D’ailleurs, à travers nos écrits, nous étions très spirituels. Avant une prestation, chacun priait dans sa religion. C’était beau et cela symbolisait le Sénégal. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes qui marchent fort actuellement viennent vers nous pour nous témoigner de leur gratitude. C’est une bénédiction, le sentiment du devoir accompli.
«Les plus jeunes doivent savoir qu’ils sont des citoyens du monde et qu’ils ne se cantonnent pas à leur ghetto»
Qu’est-ce qui, selon vous, explique que les messages ne passent plus trop dans le Rap ?
Techniquement, ils sont bons. Au niveau de l’écriture dans les punchlines, c’est bon. Toutefois, ils doivent améliorer le contenu. Les thèmes et les langues doivent être diversifiés, qu’ils touchent à des thèmes qui sont beaucoup plus continentaux. Il ne faut pas qu’ils perdent de vue que ce sont des citoyens du monde et qu’ils se cantonnent à leur ghetto. Ce serait bien qu’ils fassent des collaborations avec d’autres artistes africains. Mais, ils sont plus dans le clash. Ça fait partie du Hip-hop, mais il ne faut pas qu’ils aillent trop loin. C’est une perte de temps et d’énergie. En même temps, ils perdent de l’argent. Nous sommes dans un monde régit par l’image et ils doivent tout faire pour la garder clean. Cela ouvre beaucoup de portes. Le Rap est très social, il ne faut pas détruite ce côté-là, en créant des conflits inutilement. Ces jeunes doivent réaliser que ce sont eux l’avenir et que seuls, ils n’y arriveront pas. Ils peuvent avoir de la gloire mais, elle est éphémère. Du jour au lendemain, ils peuvent sombrer dans l’oubli. L’oubli, c’est mes abysses, personne ne viendra les y extirper.
«A ceux qui utilisent la loi à des fins politiques, vous êtes des vampires»
Sur un autre registre, actuellement nous sommes en proie à la pandémie du Coronavirus. Quel est votre avis sur la manière dont les Sénégalais l’abordent ?
Elle est bordélique, chacun pense avoir la solution, d’autres croient qu’ils sont carrément immunisés ou qu’ils ont des vaccins chez eux. Il y a le corps médical qui est là et personne ne maîtrise mieux qu’eux (les médecins) cette pandémie. Je voudrais qu’on leur témoigne beaucoup plus de respect, de considération. Ils sont en première ligne et donc plus exposés. Malheureusement, même à leur niveau, il y a des contradictions. Dans la tête des gens, ça n’existe même pas, c’est un complot. Politiquement aussi, c’est très mal géré. Nos politiciens ne sont que des suivistes et non des décisionnaires. Quand on est indépendant, on doit aussi pouvoir être indépendant, ne pas suivre tout ce que l’Occident dit. Economiquement, c’est devenu une mafia et socialement, il y a une insouciance qui fait peur. C’est typique du Sénégalais, dans notre tête, nous sommes au-dessus de tout le monde, qu’il y a trop de Saints qui sont descendus ici. Dans ce cas, rien ne nous arrivera. Ce n’est ni plus ni moins que de la naïveté.
Que le Covid-19 soit vrai ou faux, ne tentons pas le diable. Protégeons-nous au maximum. Travaillons et concentrons-nous sur l’essentiel, soyons bons et charitables. Il y a de plus en plus de personnes méchantes et aigries. Il faut que les Sénégalais reviennent à la raison, nous ne sommes pas des êtres supérieurs. A nos politiciens, je leur dirais que le Sénégal n’est pas un gâteau. Ceux qui travaillent et qui veulent faire avancer les choses, que le Bon Dieu leur vienne en aide. Pour les autres qui sont là que pour nous voler, nous mentir et piller le peuple, puisse leurs actes leur être rétribués. A ceux qui utilisent la loi à des fins personnelles, vous êtes des vampires…
Avez-vous reçu votre part des fonds du Covid-19 dédiés aux artistes sénégalais ?
Je n’ai rien reçu. Apparemment, ce n’est que pour ceux qui sont inscrits à la Sodav et ce n’est pas mon cas. Je suis affilié à la Sacem. On m’a parlé d’une procédure pour faire partie de la Sodav, j’ai même reçu un formulaire que j’ai rempli. Après, c’est resté sans suite. Mais, ce n’est pas un problème pour moi.
Une question plus intime, Duggy Tee est-il marié ?
Je l’ai été, mais je ne le suis plus. J’ai une fille de 20 ans de ce mariage. Actuellement, je suis célibataire, mais je travaille à changer ma situation matrimoniale. Il faut beaucoup prier pour moi.
MARIA DOMINICA T. DIEDHIOU
IGFM