Enquête : Le rapport étrange des Sénégalais avec la scène de crime

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SENTV : Les scènes de crime sont importantes pour l’élucidation d’un meurtre. Très organisée, la Police sénégalaise se donne les moyens pour trouver les assassins et les mettre hors d’état de nuire. Toutefois, elle est confrontée à un problème majeur, celui de la présence d’éléments contaminants qui n’ont rien à voir avec le crime. Une situation qui compromet souvent l’enquête.

Comment la police procède face à ces situations, comme ce fut le cas pour l’affaire du meurtre du bijoutier Ndongo Guèye ? Eléments de réponse dans cette enquête.
Le calme est revenu sur la plage de Cambérène après la stupeur et l’effroi qu’a provoqués la découverte du corps de Ndongo Guèye, bijoutier dont le meurtre a fait couler beaucoup d’encre dernièrement dans la presse, à sa rubrique des «chiens écrasés». Pourtant, le 15 févier dernier, un crime crapuleux avait était orchestré dans cette principale artère. Aujourd’hui, une semaine après, rien ne laisse imaginer qu’un drame odieux y a été commis. Pas de dispositif sécuritaire, encore moins de bandeaux de délimitation jaune et noire, indiquant aux passants que l’accès y est interdit. Rien. Au niveau de la plage de Cambérène, les usagers vaquent tranquillement à leurs occupations. Face à cet oasis scintillant au contact des rayons solaires, l’air frais se hume avec douceur. Contrairement à la semaine passée lorsqu’une odeur de décomposition se dégageait dans une voiture stationnée sur le sable fin depuis le dimanche 13 février 2022.  Dans ce véhicule, se trouvait le corps du bijoutier Ndongo Guèye qui a été retrouvé par sa petite sœur. Expliquant sa présence sur les lieux, la jeune fille avait d’ailleurs précisé que c’est en revenant de la ville, à bord d’un taxi qui avait emprunté la Corniche de Cambérène, qu’elle a aperçu, dans le sens menant à la plage, la voiture de marque Toyota Yaris de son frère, stationnée et inoccupée. A première vue. Elle s’est approchée et en tentant d’en savoir plus, elle a été submergée par l’odeur putride qui s’en dégageait. Des passants ont remarqué la scène et sont venus l’aider à ouvrir la portière arrière de l’automobile, pour découvrir un sac contenant, après vérification, le corps sans vie d’un homme. Tétanisée mais stoïque, la jeune femme a vite reconnu son frère Ndongo Guèye. Au cours de leurs tentatives, ces personnes ont laissé des empreintes qui pouvaient rendre très difficile le travail de la Police sénégalaise qui, par chance, a pu remonter jusqu’à l’assassin.
Un fait courant au Sénégal. Lorsqu’elles découvrent une scène de crime, beaucoup de personnes, la plupart mues par la curiosité, ruent automatiquement sur les lieux au lieu d’appeler directement la police et les autorités compétentes. Elles sont souvent sous le choc. Leurs premiers gestes consistent généralement à courir vers la scène du crime. Mais, malheureusement, elles y laissent des traces de leur passage. Des empreintes, des traces de pas, des Adn et même des cheveux sur la scène de crime. Par inadvertance, elles modifient parfois l’emplacement des victimes et des objets. Sous le coup de l’émotion, elles compromettent ainsi potentiellement l’enquête et rendent difficile le travail des policiers et des autorités judiciaires.

«Les Sénégalais ruent sur les scènes de crime plus par ignorance que par incivisme»
C’est connu ! Une scène de crime regorge d’indices qui peuvent être utilisés par la police pour les mener vers l’identification du criminel. Si toutefois elle n’est pas «compromise». Commissaire Arouna Sy : «La scène de crime est extrêmement importante. Car elle aide à résoudre les cas de meurtre. Si elle est maintenue intacte, elle peut, à 50%, aider les policiers à avoir des pistes. Les malfaiteurs y laissent beaucoup de traces en commettant une infraction. La police a les moyens de relever tout ça. On ne peut pas commettre un meurtre sans en laisser un Adn, mais il suffit qu’il y ait une contamination de la scène pour qu’on ne puisse plus être sûr de quoi que ce soit.» Ainsi, si la scène est manipulée, les agents de police rencontrent énormément de difficultés pour mener à bien l’enquête et mettre ainsi la main sur la personne qui a commis le forfait. «La scène de crime peut aider, à 50%, à résoudre les problèmes et si elle est contaminée, la police perd énormément de temps dans l’enquête. Sur 100% de chances, la police en perd 50% de retrouver l’assassin et c’est dommage», assure Arouna Sy. Selon le commissaire à la retraite, le problème fondamentale est que les Sénégalais ruent sur les scènes de crime par ignorance. «Ils ne le font pas par incivisme. Mais, plutôt parce qu’ils ne connaissent pas l’importance d’une scène de crime. Ils sont complètement ignorants en la matière. Et c’est dommage car, dans ce pays, beaucoup de meurtres ont été réglés par les scènes de crime.»

«Si une scène de crime est polluée, elle égare les enquêteurs et compromet l’enquête»

Une scène de crime est supposée rester intacte après la commission d’une infraction. Les policiers, pour partir en investigation, ont besoin de trouver chaque chose à sa place précise au moment où le délinquant quittait les lieux et que la situation criminelle finit de s’accomplir. Si des individus viennent visiter les lieux et s’ajoutent à la circonstance en tant qu’êtres physiques vivants, il plane une incertitude sur l’emplacement exact de chaque chose. D’ailleurs, selon le Commissaire à la retraite Cheikhna Keïta, une scène de crime doit parler aux enquêteurs et aux techniciens et si la scène est polluée, elle sera muette. «Quand une scène de crime a été polluée par le comportement d’une tierce personne avant l’arrivée des spécialistes d’identité judiciaires et de la Police scientifique, cela pose beaucoup de problèmes. Ils sont liés à la nature des choses que les policiers viennent constater sur place.» Au bout du fil, le Commissaire à la retraite poursuit : «S’il y a modification, elle égare les policiers qui font le prélèvement, car ils risquent d’y trouver des traces qui n’ont rien à voir avec celles qu’ils cherchent. Mais elle égare également les enquêteurs qui lisent l’environnement pour mener leur enquête, parce que la situation telle qu’elle se présente a été déformée au point qu’ils ne peuvent pas retracer des situations en interprétant les positions des choses et sa nature.» Ainsi, pour éviter que les enquêtes de meurtres soient compromises par des éléments contaminants, l’ancien Commissaire à la retraite estime que les Sénégalais doivent avoir un peu de retenue face à une scène de crime. «L’attitude d’un Sénégalais qui tombe sur une situation de crime, est de se tenir normalement à distance, de s’assurer de ne toucher à aucun élément, de ne déplacer aucun objet, de ne s’appuyer sur rien et surtout ne rien tenter. Le citoyen doit seulement informer immédiatement les éléments de la police. Ne rien essayer de faire.» D’ailleurs, pour Arouna Sy, il faut montrer aux Sénégalais l’importance de la scène de crime. «Les Sénégalais doivent comprendre les avantages d’une scène de crime pour les enquêtes. Le fait qu’un criminel échappe, met toute la population en danger. Les Sénégalais doivent comprendre que s’il y a un crime, le fait d’aider la police à le résoudre nous met tous en sécurité», explique le Commissaire à la retraite.

Un dispositif colossal pour le nettoyage de la scène de crime
Au Sénégal, un dispositif particulier est mis en place pour le nettoyage de scènes de crime. Le travail se fait à la chaîne entre les différents corps policiers et judiciaires présents sur les lieux. «Quand un crime est commis, les premiers policiers qui se déplacent sur les lieux sont en général des éléments de postes de police secours. Leur mission consiste à la conservation de la scène de crime et sa protection», explique le Commissaire Keïta. Ces agents de la police viennent empêcher que la scène de crime soit polluée ou ne le soit davantage. Ils délimitent le périmètre et y montent un dispositif de surveillance pour que les gens n’y accèdent pas. Dès que les agents de police sont informés, ils informent, à leur tour, l’Officier de police judiciaire qui est sur place et c’est ce dernier qui met au courant les personnes qui doivent l’accompagner sur le lieu. Il s’agit des sapeurs-pompiers, les éléments de la Police scientifique et les photographes. Dès que la Police scientifique arrive sur les lieux, «elle fait une délimitation matérielle en général avec un cordon de sécurité pour circonscrire son champ d’action. A l’intérieur, les agents effectuent des prélèvements d’empreintes, d’Adn… Ils fixent la scène de crime, l’analysent et en étudient chaque compartiment pour pouvoir y déceler les moindres indices pouvant ouvrir sur des pistes», confie le Commissaire Keïta. Sur une scène de crime, la Police scientifique se charge donc de récolter des indices, dont les analyses croisées permettront d’élucider le meurtre. A la suite de la Police scientifique, s’il y a un corps laissé sur les lieux, en cas de crime ouvert, c’est le rôle des sapeurs-pompiers de l’acheminer à l’hôpital pour une autopsie. Ce sont ces sapeurs-pompiers qui se chargent de nettoyer la scène du crime. Mais, quand il s’agit d’un crime fermé, c’est-à-dire commis dans une maison, très souvent, ce sont les proches qui héritent de cette lourde tâche, après le départ des éléments de la Police scientifique et des sapeurs-pompiers.
AICHA GOUDIABY

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