Les lampions se sont éteints sur le procès de l’ex Président Tchadien avec un goût d’inachevé. C’est en tout cas le sentiment de Marcel Mendy, le porte parole des Chambres africaines extraordinaires (Cae). Il aurait souhaité la comparution des co-inculpés de l’enfant de Faya-Largeau et surtout l’actuel Président du Tchad Idriss Déby, ne serait-ce qu’à titre de simple témoin. Dans cet entretien, Marcel Mendy évoque d’autres aspects de ce procès qu’il a qualifié d’historique. Il s’agit entre autres de la question des indemnisations et celle relative à la qualité de victime.
Par Siaka NDONG
Le procès de Hissène Habré a pris fin ce jeudi. Quel sera le sort des Chambres africaines extraordinaires?
Comme vous le savez, les Chambres africaines extraordinaires (Cae) ont été mise en place à la suite d’un accord conclu par l’Union Africaine et le Sénégal sur la base d’un mandat que l’organisation continental avait donné au Sénégal avec comme focus, l’organisation d’un procès autour des crimes qui ont été commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990. La mensuarisation étant définie, les Chambres africaines extraordinaires (Cae) ont démarré leurs activités en février 2013. Il s’agissait de mettre en place les différentes instances : Parquet général, Commission d’instruction, Chambre d’accusation, Cellule de communication que j’ai eu l’honneur de diriger. Et puis après de commencer le travail préliminaire d’exploration: voyage du Procureur général à Bruxelles et au Tchad pour faire une reconnaissance des lieux. C’est à la suite de cela que les choses ont véritablement commencé avec l’arrestation de Hissène Habré suivie de son inculpation. Les Chambres africaines extraordinaires ont mené successivement l’instruction du dossier et à la fin de cette instruction, une ordonnance a été prise pour demander la traduction en justice de M. Hissène Habré. Le procès s’est déroulé jusqu’à ce que Hissène Habré soit condamné à la perpétuité par les Chambres africaines extraordinaires d’Assises. Les avocats de M. Hissène Habré ont fait appel. Cet appel a été jugé et s’est traduit par la confirmation de la condamnation de M. Hissène Habré à la perpétuité. Une fois que la Chambre africaine extraordinaire d’Assises d’Appel a rendu son jugement, dès lors on peut considérer que la mission est terminée. Parce que dans l’organisation des Chambres africaines extraordinaires (Cae), la Chambre d’Appel joue le rôle d’une Cour de cassation. Le jugement qui a été rendu marque la fin de la procédure autour de l’affaire Habré. Du coup, les Chambres africaines extraordinaires (Cae) cessent d’exister parce que l’objet pour lequel elles ont été créés n’existe plus. Le sort des Chambres africaines à partir de la date du 27 avril, c’est le dépérissement. Évidemment, ça c’est l’aspect juridique. Mais, il y a l’aspect administratif. On a donné deux mois supplémentaires à l’administration pour faire ce qu’on appelle la liquidation.
Maintenant que Hissène Habré est définitivement condamné, peut-il être gracié par le Président Macky Sall?
A priori non. Même si les Chambres africaines extraordinaires ont été créés au sein des juridictions sénégalaises, il est bien de rappeler qu’elles ne sont pas subordonnées au gouvernement du Sénégal. Elles relèvent de la compétence de l’Union africaine qui les a créés même si elle a obtenu au préalable l’accord du gouvernement du Sénégal. Sur cette base là, je ne vois pas comment le Président du Sénégal pourrait gracier M. Habré. Parce qu’il n’y a aucun article du statut portant organisation des Cae qui dit qu’une fois Habré ait été définitivement condamné, peut bénéficier d’une grâce présidentielle de la part du Président de la République du Sénégal. Ça n’existe pas. Donc, Hissène Habré est condamné à purger sa peine jusqu’à la fin de ses jours. C’est ça la perpétuité. Il a le choix, soit de purger sa peine au Sénégal ou dans un autre pays de l’Ua. C’est vraiment à sa convenance.
Hissène Habré doit également indemniser ses victimes à hauteur de 82 millards Cfa. Dispose-t-il réellement de ces fonds?
Manifestement, Hissène Habré ne dispose pas de ces fonds.Voilà pourquoi d’ailleurs les Cae ont en binôme avec l’Ua, ont décidé de mettre en place un fonds d’indemnisation. C’est un fonds qui doit être mis en place avec le concours des partenaires qui ont aidé à prendre en charge le financement du procès avec comme finalité le désintéressement des victimes. Il faut aussi le rappeller, le procès avait un aspect pénal mais aussi civil ce qui suppose des réparations à effectuer au bénéfice des victimes. Il ne faut pas oublier que ce sont les victimes qui se sont constituées partie civile et qui ont porté plainte contre Hissène Habré. Aujourd’hu que les Chambres africaines extraordinaires d’Assises leur a donné raison, il est tout à fait normal que ces victimes puissent prétendre à des réparations. Le montant de cette indemnisation s’élève à 82 milliards Cfa. Mais manifestement, ce n’est pas à la portée de Hissène Habré. Je signale aussi que les Chambres africaines ont déclaré que toutes les dispositions seront prises pour rendre solvable Hissène Habré. Tous les biens supposés lui appartenir vont être saisis. Maintenant, le gros des fonds sera alimenté par les partenaires qui ont aidé à l’organisation du procès, l’Ua aussi et le Tchad qui s’était également engagé dans ce sens.
Peut on avoir une idée du nombre de victimes à indemniser?
C’est une question un peu compliqué. Il y a ceux qu’on appelle des victimes directes et les victimes indirecte. La question est d’autant plus complexe qu’il n’y a pas une seule association des victimes. Il se trouve que ces associations ne parlent pas toujours le même langage. A cela s’ajoute que la plupart des victimes sont décédées où celles qui sont en vie ne sont pas toujours en mesure de prouver leur qualité de victime. Aussi, beaucoup de victimes recensées par les associations n’ont pas de papier d’état-civil. Or, la justice à ses règles de fonctionnement. Voilà pourquoi en première instance, le Président Kam avait rejeté une bonne partie de prétendues victimes. Aujourd’hui le Président Wafi à plus où moins coupé la poire en deux en reconnaissant les qualités de victimes à ces Tchadiens qui s’étaient manifestés pendant l’instruction. En même temps, il a écarté la question des réparations collectives qui dépassait un peu la compétence du Tribunal. C’est l’État Tchadien qui pourrait prendre un peu cet aspect là. Il s’agit de la construction de monuments, d’écoles, de dispensaires. ..
Qu’en est il du cas des deux victimes sénégalaises Abdourahmane Guèye et Demba Gaye?
Demba est décédé. Il appartient à ses descendants de se manifester auprès de ces fonds d’indemnisation. Abdourhamane, lui il est en vie. Il a même été appelé à la barre. Il lui appartient lui aussi de se signaler auprès du fonds d’indemnisation pour faire admettre ses droits. Ce n’est pas à l’État du Sénégal de se substituer à Demba et à Abdourhamane pour défendre leur cause.
Quelles leçons peut on tirer de ce procès?
C’était un procès historique. L’Afrique a réussi à organiser un procès de cette dimension alors qu’au départ le scepticisme prévalait. Aujourd’hui, nous avons démontré que l’Afrique était capable de prendre en charge ce type de procès. L’autre enseignement, on a plus besoin d’envoyer ailleurs les africains qui sont suspectés d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Ils peuvent être parfaitement jugés en terre africaine. Je décerne une mention spéciale à la presse africaine qui a couvert ce procès avec talent. Je m’en réjoui, étant donné que moi-même je suis journaliste.
En dehors de ce satisfecit, quels sont vos regrets?
Il faut peut-être le déplorer, il y a des aspects de ce procès qui ne font pas toujours plaisir. Par exemple, les co-inculpés de Hissène Habré qu’on a jamais réussi à amener à la barre. Ça donne un goût d’inachevé au procès. Le Président Déby lui-même, s’était engagé à témoigner avant de se rétracter. Il a refusé carrément de collaborer alors qu’il n’était pas visé par le réquisitoire introductif. On ne pouvait pas l’inculper. Alors qu’on voulait juste l’entendre comme témoin parce que son nom a été cité dans un aspect du dossier. Bref! En un mot, c’est un procès qui fera date dans les annales de l’histoire africaine.
La Redaction SENTV.info