« Garantir l’avenir de la pharmacie au Sénégal : la nécessité d’une convention collective pour les jeunes diplômés » Par Dr. Alioune Ibnou Abou Talib DIOUF
SENTV : Le Sénégal célèbre une avancée historique avec l’atteinte du niveau de maturité NM3 dans le domaine de la gestion pharmaceutique. Ce jalon témoigne de nos efforts collectifs pour garantir l’accès équitable aux médicaments essentiels et la régulation efficiente de notre secteur pharmaceutique. Cependant, derrière ce succès se profile un défi de taille : la fuite des jeunes pharmaciens diplômés. Si nous voulons maintenir le NM3 et progresser vers le NM4, il est impératif d’agir rapidement pour retenir ces talents précieux.
Un exode aux conséquences lourdes
Aujourd’hui, de nombreux jeunes pharmaciens, confrontés à des rémunérations peu compétitives (entre 100 000 et 300 000 FCFA par mois) et à une précarité professionnelle accrue, choisissent l’exil. Ils se tournent vers des horizons plus prometteurs, affaiblissant ainsi notre système de santé et compromettant les efforts de développement du secteur pharmaceutique. La fuite de ces compétences menace directement le maintien du NM3, un standard crucial pour la souveraineté pharmaceutique du Sénégal.
Une convention collective comme levier de rétention
L’Agence sénégalaise de Règlementation pharmaceutique (ARP) propose une réponse audacieuse et structurante : l’établissement d’une convention collective nationale dédiée aux jeunes diplômés en pharmacie. Cette convention, négociée avec les entreprises pharmaceutiques et les offices publics, permettrait de fixer des grilles salariales plus équitables et des conditions de travail attractives.
Un tel cadre garantirait des rémunérations minimales compétitives, une couverture sociale appropriée et des perspectives de carrière claires. Plus encore, il favoriserait la stabilité et la fidélisation des pharmaciens, essentiels pour maintenir l’équilibre et la résilience de notre système pharmaceutique.
Une autonomie financière accrue au service du recrutement et des pôles territoriaux.
Une avancée déterminante dans la consolidation de la mission de l’ARP réside dans la signature du décret portant les redevances, qui va permettre à l’agence d’avoir une autonomie financière accrue. Ce décret ouvre la voie à une mobilisation de ressources permettant la mise en œuvre d’un ambitieux plan de recrutement de cinq (500) agents sur cinq ans, dont une proportion significative sera constituée de pharmaciens diplômés.
Pour maximiser l’impact de ces recrutements et garantir une régulation efficace sur l’ensemble du territoire national, l’ARP prévoit la création de cinq pôles régionaux. Ces pôles renforceront la présence de l’Agence dans les régions et permettront une couverture homogène des services de régulation pharmaceutique. Ils offriront également des opportunités professionnelles aux nouveaux agents recrutés dans les localités où ils seront déployés, stimulant ainsi le développement régional et réduisant la centralisation excessive des services à Dakar.
Une action globale pour maintenir le NM3 et viser le NM4
Au-delà de la convention collective, du plan de recrutement et des pôles régionaux, d’autres initiatives doivent accompagner cette dynamique :
- facilitation de l’installation professionnelle : réduction des délais pour l’octroi des licences d’exploitation et simplification des démarches administratives.
- incitation pour les zones rurales : primes financières et subventions pour encourager les pharmaciens à servir dans des régions sous-desservies, renforçant ainsi l’accès équitable aux soins.
- renforcement des partenariats public-privé : mobiliser les entreprises pharmaceutiques pour offrir des opportunités d’innovation et de mentorat aux jeunes professionnels.
- préparation à l’atteinte du NM4 : la transition vers le NM4 nécessitera un renforcement des capacités en pharmacovigilance, gestion des approvisionnements et gouvernance sectorielle. La rétention des compétences locales est une condition sine qua non de cette ambition.
Une responsabilité partagée
En tant que Directeur Général de l’ARP, je suis convaincu que le maintien du NM3 et l’atteinte du NM4 ne sont pas uniquement des objectifs techniques. Ce sont des défis humains qui nécessitent une vision partagée et des engagements collectifs. Les entreprises pharmaceutiques, les institutions publiques et les organisations professionnelles doivent se rassembler pour créer un environnement propice à l’épanouissement des jeunes pharmaciens.
Ces jeunes représentent l’avenir de notre souveraineté pharmaceutique. Ils doivent être reconnus comme les acteurs clés du progrès et leurs efforts méritent une juste valorisation. Une convention collective, combinée à une stratégie de recrutement ambitieuse et à la mise en place de pôles régionaux, serait une avancée majeure dans cette direction.
Conclusion
Le Sénégal a démontré sa capacité à relever des défis complexes en atteignant le NM3. Cependant, notre véritable défi réside dans la capacité à pérenniser cet acquis et à progresser vers le NM4. Cela passe par des actions concrètes, ambitieuses et inclusives pour retenir nos jeunes talents. À l’ARP, nous sommes prêts à jouer notre rôle de régulateur, mais cette mission doit être portée par l’ensemble des parties prenantes. Ensemble, nous pouvons construire un système pharmaceutique solide, équitable et tourné vers l’avenir.
Dr. Alioune Ibnou Abou Talib DIOUF
Directeur Général, Agence de Régulation Pharmaceutique (ARP)