SENTV : « Delenda Carthago » ! On raconte que Caton l’ancien, durant les guerres puniques qui opposèrent Rome à Carthage, martelait invariablement « qu’il faut détruire Carthage », quelque que soit le thème qui était débattu au Sénat. Au Sahel, Caton semble avoir beaucoup d’émules, qui font de la présence militaire française, l’Alpha et l’Omega de tous les malheurs qui secouent cette partie du continent. Mais, puisqu’il n’est plus permis de débattre sereinement de cette question sans être taxé de « pro- français » et tutti quanti, l’auteur de ces lignes tient à lever, d’emblée, toute équivoque. En une vingtaine d’années de pratique à éclipses du métier de journaliste et d’analyste politique, on ne trouvera pas dans mes écrits une ligne qui fait l’apologie de l’ancienne puissance coloniale. Bien au contraire ! Pour ne prendre que quelques exemples, au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy comme président de la République française, j’avais écrit un article publié par Le Courrier International et repris par Le Monde. Son titre ? « Un pyromane à l’Elysée ». Je prédisais, vu le comportement de caïd de l’impétrant, qu’il allait mettre littéralement le feu aux poudres. Ce qui advint quelques mois plus tard, avec les émeutes qui firent flamber les banlieues françaises. L’agité de l’Elysée déclenchera plus tard un autre incendie, la guerre de Libye, point de départ de la déstabilisation en profondeur du Sahel. Mieux, Directeur de l’information de la Tfm, l’un de mes meilleurs souvenirs dans cette rédaction fut d’avoir pris la responsabilité entière de faire inviter, grâce au Docteur Dialo Diop du Rnd, au journal de 20H, l’historienne Armelle Mabon qui revisita le bilan du massacre des Tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye. Les révélations de cette dame teigneuse, honnie par une bonne partie de l’establishment militaire français, firent l’effet d’une bombe. Beaucoup de journaux embrayèrent dessus pour réclamer des comptes à l’ancienne puissance coloniale. Pour boucler la boucle, dans la même foulée, je partis interviewer à Diakhao le vieux Biram Senghor dont le père Mbap, fut l’une des victimes de cet effroyable massacre et dont il réclame en vain depuis la réhabilitation. Cette tragédie qui frappa la famille Senghor n’est que le prolongement d’une longue tradition de violence d’Etat de la part de la France. Une violence incarnée à travers les siècles par de sinistres personnages comme Joseph Fouché, conventionnel régicide pendant la Révolution française, surnommé « le mitrailleur de Lyon », ville où il exécuta des centaines de personnes avant de tourner casaque et devenir ministre de la Police, le général Paul Aussaresses, bourreau des nationalistes algériens qu’il se vantait, au soir de sa vie, d’avoir massacré « sans regret ni remords » ou encore le tristement célèbre Jacques Foccart, âme damnée du gaullisme et architecte d’un nombre incalculable de barbouzeries et de coups tordus en Afrique. De la répression de l’insurrection malgache qui fit des dizaines de milliers de morts à l’anéantissement du maquis de l’UPC conduit par l’héroïque Ruben Um Nyobé, qui fit autant de victimes, la France a laissé une longue trainée de poudre et de sang sur le continent. Il faudrait des rayons entiers de bibliothèque pour documenter l’étendue de ces crimes dont elle ne s’est jamais excusée. Cela dit, essayons maintenant d’examiner sereinement les faits qui se déroulent actuellement au Mali et au Sahel, problématiques majeures dont se sont emparés des populistes et des gourous de sous-préfecture qui, confondant histoire et hystérie, font régner une terreur médiatique sur les réseaux sociaux où l’anathème tient lieu d’argumentation et les logorrhées font office de réflexion .
Il ne fait aucun doute que la France porte une responsabilité historique dans la déstabilisation en cours du Sahel, consécutive à la chute du colonel Khadafi. Avec le retour de la Lybie avec armes et bagages des combattants touarègues de la « légion verte » qui ont tôt fait de relancer leur irrédentisme atavique, avant de se faire doubler par des djihadistes, la boîte de Pandore était ouverte au Mali. Mais si le pays a pu sombrer aussi rapidement dans le chaos, c’est aussi qu’à quelques exceptions près, il le doit à l’impéritie de la plupart de ses dirigeants successifs qui se sont souvent signalés par une gestion erratique de l’Etat. Le clientélisme, le népotisme, la corruption endémique et le manque de justice sociale ont fait le lit de l’insurrection islamiste dans les zones où les populations ont toujours été livrées à elles-mêmes et ont servi de caisse de résonnance au djihadiste Amadou Koufa et ses séides. Pire, c’est le coup d’Etat du capitaine Amadou Haya Sanogo qui renversa le Président Amadou Toumani Touré en 2012 qui précipita la déroute de l’armée malienne et permis l’occupation du Nord par les rebelles touarègues et les insurgés islamistes. Cependant, quelques que soient ses turpitudes passées, présentes et à venir, il faut avoir l’honnêteté de reconnaitre que c’est l’intervention décisive de la France à Konna, décidée par François Hollande, qui stoppa les colonnes djihadistes. Sans le déclenchement de l’ « Opération Serval », on parlerait aujourd’hui très certainement de l’émirat du Malistan. C’est donc vraiment enfoncer des portes grandement ouvertes de dire que la France est au Mali d’abord pour sauvegarder « ses intérêts. » Bousculée par des puissances émergentes, l’ancienne Métropole, dans un mélange de condescendance et de paternalisme, plus que le pillage largement fantasmé des ressources du Mali, est d’abord intervenue dans ce pays pour « tenir son rang » et porter ce qu’elle croit être « le fardeau de l’homme blanc ». Les anciennes colonies de son « pré carré » étant l’un des rares endroits où elle peut encore garder l’illusion de jouer dans la cour des grands. Pour autant, il serait réducteur est illusoire de croire que la France est seule, comme le répètent à tout bout de champs les révolutionnaires de salon, à gérer ses « intérêts » au Mali. Pendant tout le temps qu’il a été au pouvoir, le Président mauritanien Ould Abdel Aziz a fait de la question malienne une sur-priorité, craignant une contagion à ses frontières. Plusieurs fois, des unités de l’armée mauritanienne ont pénétré ainsi en profondeur en territoire malien pour frapper des bases « terroristes ». Un moment, « Aziz » a même discrètement joué le rôle d’un véritable proconsul au Mali, en s’activant de manière décisive, grâce à ses nombreux réseaux sur le terrain, pour la réélection du Président Ibrahim Boubacar Keïta, fortement affaibli par sa gestion de cette crise proteiforme. Que dire de l’Algérie, parrain et garant des Accords d’Alger, que des rumeurs tenaces mais invérifiables, soupçonnent de jouer un rôle trouble dans la traque du djihadiste en chef Iyad Aghali ? Longtemps à la traine face à la menace de contagion islamiste, même le Sénégal est en train de mettre les bouchés doubles pour se constituer un glacis sécuritaire à l’Est. Et concernant la stratégie de lutte contre les djihadistes, c’est peu de dire que le Niger, pays également frontalier du Mali, n’a jamais été sur la même longueur d’onde que Bamako, surtout depuis l’élection de Mouhamed Bazoum, grand connaisseur de la problématique sécuritaire au Sahel en tant qu’ancien ministre de l’Intérieur de son pays. Si on ajoute à cela que la Turquie, le Qatar et maintenant la Russie, via son bras armé officieux Wagner, sont à l’affût pour jouer leur partition au Mali, avoir la France pour seule ligne de mire relève d’une grille d’analyse trop hémiplégique.
C’est dans ce méli-mélo géopolitique et dans un contexte sécuritaire tendu qu’est intervenu en Août 2020 le coup de force de la bande du colonel Assimi Goita, dont certaines figures n’étaient pas à leur premier putsch. C’est le cas du colonel Malick Diaw, actuel Président du « Parlement » de la junte de Bamako, le Conseil national de Transition (CNT). La Cedeao, organe aujourd’hui voué aux gémonies par de larges secteurs de l’opinion publique malienne, avait plutôt fait preuve de mansuétude à l’égard des jeunes officiers. Mais, moins d’un an après leur arrivée au pouvoir, le colonel Goita et ses compagnons, opéraient un second coup de force pour éjecter la composante civile de la Transition incarnée par le Président Bah Ndao et le Premier Ministre Moctar Ouane, qu’ils avaient pourtant cooptés, au motif, entre autres, qu’ils prenaient leurs ordres de l’Elysée. La Cedeao, en dépit de ses réussites incontestables au Libéria, en Guinée Bissau ou plus récemment en Gambie où sa pression militaire a permis le départ du pouvoir de Yahya Jammeh, malgré des moyens très limités, n’a toujours pas bonne presse auprès de larges couches de la population africaine. Son image de « syndicat de chefs d’Etats » lui colle à la peau comme une tunique de Nessus. Son peu d’empressement à corser son protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, dans le but de condamner les coups d’Etat constitutionnels qui servent souvent de matrices aux coups d’Etat militaires, a creusé davantage un fossé entre la Cedeao et des populations révulsées par l’incurie de certains de leurs dirigeants et aspirant légitimement à un meilleur leadership. Mais, pour autant, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Autrement dit, au risque d’aggraver son cas, l’institution pouvait-elle laisser la junte dirigée par Assimi Goita dont les engagements initiaux relèvent encore de l’ordre des promesses, pousser l’audace jusqu’à proposer une transition comprise entre « six mois et 5 ans » et tourner ainsi en bourrique le médiateur désigné par l’instance sous-régionale, en l’occurrence l’ancien Président nigérian Goodluck Jonathan ? Penser que le Président Buhari, dirigeant à la très forte personnalité et lui-même ancien putschiste reconverti à la démocratie, pouvait laisser passer un tel affront, montre le manque de maturité politique de la junte malienne et souligne l’ignorance crasse de leurs supporteurs qui voient partout la main de la France, dans une sorte de délire monomaniaque. De la complexité de la crise malienne, les drogués du buzz et les camés des « like » qui sévissent sur les réseaux sociaux, n’ont cure. Ces Torquemada 2.0, avec une incroyable paresse intellectuelle, préfèrent chaque jour distiller le venin de la désinformation et de la manipulation. Ils se veulent les agents autoproclamés de la police de la circulation de la pensée, condamnant au bûcher médiatique toute voix dissonante. Aussi dures que soient les sanctions de la Cedeao pour les populations maliennes déjà fortement éprouvées, elles étaient prévisibles devant l’autisme suicidaire du colonel Goïta et la fuite en avant orchestrée par son Premier ministre Choguel Maïga. Devenu l’incarnation du nouveau nationalisme africain pour ses aficionados, l’homme multiplie les coups d’éclat et les coups de menton, dans une surenchère populiste permanente. Pourtant, le parcours sinueux de ce politicien extrêmement ambitieux devrait inciter ceux qui en font leur héros à la prudence. Ancien membre du RPM, le parti de l’ancien Président Moussa Traoré, Choguel Maïga a été aussi ministre sous le règne d’Amadou Toumani Touré, avant de rallier le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita. Il en sera même le porte-parole zélé avant de lâcher brutalement IBK et adhérer au M5 RFP, organisation dont les manifestations monstres exigeant le départ de l’ancien Président, ont servi de cheval de Troie aux militaires pour prendre le pouvoir. La vérité avec la junte malienne, c’est que les jeunes officiers aux commandes de cet immense Etat ont pris goût au pouvoir et n’envisagent pas de sitôt de retourner dans les casernes. Céder à leurs desideratas serait un appel d’air pour tous les apprentis putschistes de la sous-région comme on l’a vu récemment au Burkina Faso, pays durement frappé aussi par une insurrection djihadiste, avec l’arrestation d’un officier accusé de vouloir renverser le régime. Robespierre, au moment de sa chute, se serait écrié, dépité : « La République est morte et les brigands triomphent !» Au Mali où le risque de « Somalisation » du pays n’a jamais été aussi grand, il faut prier que les rentiers de la crise et les démagogues de tout poil ne triomphent pas.
Barka BA