Un peuple qui a le génie de supporter une présidence aussi calamiteuse que celle de Macky Sall a assurément une formidable capacité de résilience. Ne serait-ce que pour cela, on doit être optimiste. Ce peuple est capable de grandes choses, il suffira d’un déclic pour le voir accomplir des merveilles. Dans d’autres pays, une présidence si chaotique et stérile aurait implosé la société. Je ne peux pas reprocher au peuple une quelconque docilité, je pense qu’il n’a pas encore les leaders qu’il mérite pour créer cette étincelle de génie et de passion positive qui va embraser tout le pays d’un feu de confiance et d’amour rédempteurs. Notre peuple est exceptionnellement endurant : hier humilié, exploité et écrasé par le colon, aujourd’hui snobé et volé par ses propres fils, il conserve encore une partie de sa foi en l’avenir. Il continue de garder sa cohésion et curieusement sa joie de vivre ! Il ne faut donc pas désespérer.
Aujourd’hui, la scène politique fait semblant d’être bouleversée par des enregistrements sonores, qui relèvent pourtant de l’ordre du fait divers, mais elle a réussi la prouesse d’en faire un problème politique. Nous ne sommes pas amnésiques : on a tout entendu dans ce pays. Sans la virulence et l’insolence de ceux qui se sentent offusqués par les insanités d’un camarade de parti, ce régime ne serait jamais arrivé au pouvoir. L’insolence et l’insanité sont dans son ADN ; mieux, il a été engendré par l’insolence et l’irrévérence. Ils ont fait de l’injure leur principal levier politique : tous les insulteurs sont promus par ce régime ! Quel leader politique n’a été victime des cette insolence qu’on feint de découvrir aujourd’hui ? Qui entretient des jeunes répondeurs automatiques pour qu’ils lynchent ou insultent systématiquement les adversaires du régime ? Les insultes que ce monsieur a proférées contre un candidat aux élections présidentielles et contre toute une région sont infiniment plus abjectes et plus dangereuses à l’unité de notre société.
Le seul responsable de ces injures est celui amène l’insalubre et la promeut au cœur de la république. La conclusion du chapitre XXIII du Prince de Machiavel est catégorique sur ce point : « En un mot, les bons conseils, de quelque part qu’ils viennent, sont le fruit de la sagesse du prince, et cette sagesse n’est point le fruit des bons conseils ». Le choix de ses conseillers et l’usage qu’il fait de leur science sont révélateurs de la sagesse et de l’habilité du Prince. Ce régime a fait beaucoup de tort à la république rien que par la promotion de certaines personnes. Cette blessure à la fois morale et mentale est assurément le coup le plus dur qu’il a porté à la foi en la probité et au mérite.
On élève des chiens de garde pour veiller ou pour épouvanter, mais aussi pour installer le scandale et la confusion mentale par ses aboiements. La même pratique a cours sur la scène politique : il y a des aboyeurs et des courtiers politiques. Les aboyeurs vocifèrent, insultent et menacent pour polluer le débat politique. Ils jouent le rôle de bouffons ou de fous du roi : seule l’expression sérère « O’satongaat » (personne à la fois cynique et bouffonne capable de dire des insanités en public pour solder des comptes sous commande) permet de rendre fidèlement le sens de leur malfaisance. Mais le destin d’un fou du roi, c’est de finir en victime de ce dernier car, ne connaissant pas les limites, il dira toujours quelque chose qui indisposera fortement le roi.
Les courtiers sont infiniment plus nocifs et pernicieux : ils sont dans les médias, ils font du boucan lorsqu’ils sont payés à la tâche. Ils sont là ; tout le monde les connait ; ils n’ont aucune profession qui puisse justifier leur niveau de vie, ni aucune science qui puisse légitimer leur présence si régulière dans les médias. Ils sont les nouveaux virus de la démocratie. Quand l’affaire SENELEC-Akilee a éclaté, ils ont fait des sorties tonitruantes et puis, on ne les entend plus sur cette question, ils sont retournés dans leur tanière ou plutôt leur nid de vipères. Ils attendent un nouveau boulot, car ce sont des insulteurs à gages.
Le mal le plus profond de ce pays, c’est que la plupart des hommes politiques changent de morale et même de science dès qu’ils changent de position. De bons journalistes, des défenseurs des droits humains, des constitutionnalistes réputés doctes, des opposants éclairés dans leurs critiques, etc., semblent naviguer dans l’univers de l’État avec une boussole totalement opposée à celle qui les guidait auparavant. L’hypothèse la plus probable est que la plupart d’entre eux ne comprennent même pas les thèses qu’ils défendent. Les coupures de journaux, les journalistes, les articles de presse, etc. sont les principales sources de leur pseudo culture. D’autres n’y croyaient guère : les principes qu’ils défendaient n’étaient pour eux que des moyens. L’instrumentalisation de la probité morale à des fins politiques est aussi vieille que tous les États, mais le reniement permanent en politique tue l’espoir et la confiance.
Quand un président convie sa famille, son « conteur » (genre storytellers traditionnel) et tout son clan à la gestion des affaires de la cité, c’est qu’il n’est pas digne d’être un chef d’État. Ce n’est donc pas étonnant que nos hommes politiques se noient fatalement dans la mare de la corruption. Au Sénégal la presse et le pouvoir deviennent l’un l’antichambre de l’autre. Brouillage et diversion remplacent l’investigation et l’information. La communication devient le seul levier de la gouvernance, et séduire le peuple est plus important que le satisfaire.
Le meilleur homme politique n’est ni un sage ni un savant. Il a juste une vision et une ambition qu’il confie à ses hommes de confiance experts chacun dans leur domaine. Son art le plus important et le plus raffiné doit être celui du choix des hommes.. Obama disait, après avoir choisi Joe Biden comme colistier, qu’il veut un vice-président capable de METTRE EN PERIL ses idées. Chez nous, le président veut des hommes capables de sublimer ses folies et fantaisies en vertus !
La science est utile à l’homme politique, mais ce n’est pas nécessaire qu’il en soit nanti. L’humilité est dès lors une autre vertu cardinale pour l’homme d’Etat : savoir écouter ses conseillers officiels et les autres, ceux qui lui sont le plus proches et le plus distants, c’est-à-dire, ses critiques et opposants. Roosevelt avait son new deal et son Brain Trust, mais ça ne l’a empêché d’ouvrir à la maison blanche le plus grand service chargé d’exploiter la boite aux lettres où les citoyens américains pouvaient envoyer leurs propositions et leurs critiques. Il se dit même que certaines lois proviennent des correspondances des citoyens américains ! Ici on paie des journalistes et des groupes de presse pour « censurer » certaines voix. Un chef d’État qui s’inscrit dans le sensationnalisme est comme un général impulsif : son armée est décimée avant qu’il ne se rende compte de ses errements.
Alassane K KITANE
Professeur de Philosophie à Thiès