«Le procès de Khalifa SALL, maire de Dakar et sa stratégie du dilatoire pour politiser l’affaire (La bataille procédurale)», par M. Amadou Bal BA

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Cet article ne concerne que l’aspect procédural, le jugement sur le fond du 30 mars 2018, sera examiné séparément. Cette bataille de procédure indique bien combien ce procès a profondément divisé la société sénégalaise.

Les partisans du Maire de Dakar, y voient une instrumentalisation de la justice, d’autres insistent sur la dimension crapuleuse de l’affaire, et demandent à être attentifs sur l’usage de nos deniers publics, quelle que soit la couleur politique du délinquant. Je suis persuadé, que même après le jugement sur le fond, M. Khalifa SALL continuera toutes les procédures d’appel que lui offre la justice. Il joue, en fait, la montre, pour installer ce procès au cœur de la campagne des présidentielles de 2019.

En effet, le Sénégal, depuis le référendum du 16 mars 2016, en passant par les législatives du juillet 2017, jusqu’aux présidentielles de 2019, est engagé dans la plus longue campagne électorale d’un pays démocratique. En effet, M. Khalifa SALL ayant déclaré ses ambitions présidentielles, cherche par les moyens de retarder le jugement de fond, afin de faire de ce procès, un élément majeur de sa campagne des présidentielles en vue du scrutin du dimanche 24 février 2019. Dépourvu d’arguments et de solutions pour la transformation du Sénégal, M. Khalifa SALL a choisi, habilement, la stratégie victimaire et du dilatoire, pouvant être efficace, dans un pays où la compassion, «Le N’Dyessaane», est de nature à retourner l’opinion publique, pour piéger le président Macky SALL. Les soutiens de M. SALL estiment qu’il paye pour son statut de dissident du Parti socialiste, membre de la coalition au pouvoir. Cette tactique du pompier pyromane, jouant à la victime, a été efficace pour l’élection de M. Khalifa SALL en qualité de député aux élections législatives de juillet 2017, alors qu’il était détenu depuis le 7 mars 2017. Un fait sans précédent dans l’histoire politique. M. Khalifa SALL tente de rééditer cette performance aux élections présidentielles de 2019 en retardant, le maximum possible, le procès sur le fond. On avait appris à l’école du barreau de Paris que quand un dossier est faible, il faut jouer la procédure. De ce point de vue, il faut reconnaître aussi la grande habilité de M. SALL. Il a soulevé, sans interruption, différents moyens de procédure de nature à différer le procès sur le fond et à discréditer le président Macky SALL élevé au rang de persécuteur d’un opposant s’estimant innocent.

M. Khalifa SALL, maire de Dakar depuis 2009, est placé en détention provisoire depuis le 7 mars 2017, dans la gestion de la caisse d’avance de sa mairie pour «détournements de fonds», «association de malfaiteurs», «détournements de deniers publics et escroquerie portant sur les deniers publics», «faux et usage de faux de documents administratifs», «blanchiment de capitaux» et «complicité de faux et usage de faux en écriture de commerce», d’un montant de 2,7 millions d’euros. Dans ses premières déclarations, M. Khalifa SALL avait reconnu ces faits, mais estimant que tout le monde faisait pareil. Conscient de la fragilité de ce moyen de défense, M. Khalifa SALL, dans ce procès devant le Tribunal correctionnel de Dakar, fait du dilatoire et tente de politiser cette affaire, apparemment crapuleuse. Après le rapport de l’Inspection générale des services, M. SALL avait reconnu son forfait (2,7 millions d’euros détournés dans la régie d’avance), mais il estime que «tout le monde faisait» pareil.

Constatant la faiblesse de cet argument de défense réprouvé par les Sénégalais, il a vite changé de fusil d’épaule : s’il est poursuivi, c’est parce que c’est un opposant inflexible du président de la République. Or, sur les 155 partis politiques, 152 sont dans l’opposition. Par conséquent, la ligne de défense de M. Khalifa SALL est, désormais, d’affirmer que ce procès est politique. «Les poursuites sont sélectives» souligne l’un des avocats. «Khalifa Sall est aujourd’hui une cible, la cible». «On lui fait toutes ces vacheries, car il n’est pas du bon côté, car il s’oppose» ajoute un autre. Pour la défense, le mécanisme de décaissement, chaque mois, de 30 millions de francs CFA, est ancien ; ce serait des fonds politiques, dont l’usage n’a pas à être justifié. Or dans cette affaire, Mamadou Oumar BOCOUM et Ibrahima TOURE, accusés d’association de malfaiteurs, de complicité de détournement de deniers publics et complicité d’escroquerie portant sur des deniers publics, ont validé, sous l’autorité de Khalifa SALL, entre 2011 et 2015, les factures de tonnes de mil et de riz et leurs justificatifs fournis par la mairie, afin d’autoriser les décaissements d’une caisse d’avance. Des mouvements irréguliers mis en cause dans ce dossier. Ces factures incriminées comme étant des faux auraient servi à décaisser des fonds, près de 30 millions de francs CFA (45 700 euros) par mois sur cinq ans, soit la somme d’1,8 milliard de CFA (2,7 millions d’euros) pour laquelle Khalifa SALL, le maire de Dakar, est accusé entre autres chefs d’inculpation, de «détournements de fonds publics».

Pour l’agent judiciaire de l’Etat, ce n’est pas un procès politique, c’est la gestion du Maire de Dakar qui est examinée devant le Tribunal Correctionnel. «Aucun texte de loi ne dispose que les fonds de la caisse d’avance sont des fonds politiques. Ce sont des vues de l’esprit», martèle Maître Boubacar CISSE. Depuis 2003, la Caisse d’avance est bien soumise à tous les contrôles de l’Etat ; ce ne sont nullement des fonds politiques : «Les régisseurs d’avance sont tenus de produire les pièces justificatives prévues par la réglementation en vigueur. Les doubles des pièces justificatives sont conservés pendant deux ans par le régisseur qui les tient à la disposition des organes ou agents de contrôle», prescrit l’article 13 du décret n°2003-657 du 14 août 2003 relatif aux règles de recettes et régies d’avance.

Dans sa stratégie du dilatoire, une fois élu député à l’assemblée nationale, M. SALL ressort le coup de l’immunité parlementaire. Ce débat a, en grande partie de l’été et de l’automne, occupé l’opinion publique. Deux écoles se sont affrontées. D’une part, les faits incriminés s’étant produits avant l’élection législative et ne se rapportant pas à la fonction de député, il n’avait aucun obstacle juridique aux poursuites devant la juridiction répressive. D’autres estimant que M. SALL étant élu député, il ne pouvait poursuivi devant le juge qu’après la levée de son immunité parlementaire. Finalement, cette seconde position qui a prévalu. En effet, l’Assemblée nationale sénégalaise a levé, le samedi 25 novembre 2017 par125 députés contre 27. Mais Khalifa SALL ne rate aucun événement sans tenter de ralentir la procédure. Etant détenu, il a refusé de se présenter devant la Commission, estimant qu’en tant que député il ne pouvait être entendu que libre. Mais la Commission a estimé qu’il a été régulièrement convoqué, et donc mis à même de se défendre, utilement. «Nous allons présenter tous les moyens de défense que la loi sénégalaise donne à un citoyen devant une justice», a déclaré maître Seydou DIAGNE.

A la suite de cette levée de l’immunité parlementaire, et c’est le droit du mis en cause, M. Khalifa SALL a obtenu le report des séances du 14 décembre 2017 et du 3 janvier 2018 au 23 janvier 2018, estimant qu’il y aurait un défaut d’avis pour ses avocats, des problèmes dans la citation des témoins de la défense et la non disponibilité de l’intégralité des cotes de la procédure. Le juge LAMOTHE a accédé à cette troisième demande de renvoi, la dernière.

La ville de Dakar s’est constituée partie civile dans cette affaire : «Khalifa Sall est une victime d’un complot politique qui vise simplement à éliminer un adversaire politique», estime M’Backé SECK. Pour lui, l’Etat n’a pas été floué dans cette affaire, et ne pourrait donc pas être partie civile. «Si par incidence, il y a le retrait de l’Etat, ce sera tant mieux pour nous, parce que l’Etat, en vérité, n’a absolument rien à faire dans ce procès-là », affirme-t-il. Or, dans un système décentralisé, l’Etat exerce un contrôle de légalité pour assurer l’unité de l’Etat. Ces 2,7 millions d’euros détournés, l’ont été au détriment des habitants de Dakar, capitale de l’Etat du Sénégal. L’État du Sénégal et ses avocats considèrent que cette «manœuvre» n’a qu’un seul objectif : retarder l’échéance des débats sur le fond de l’affaire. La défense et la Ville de Dakar redoutent un procès sur le fond du litige. Quant aux attaques voulant écarter l’Etat de la procédure, au prétexte qu’il ne pourrait se constituer partie civile car ce détournement ne lui aurait pas porté préjudice : «Ils parlent de l’autonomie financière de la ville, alors que celle-ci reçoit des fonds de l’Etat ventilé dans tout le budget y compris dans cette caisse d’avance. L’Etat est bien victime de cette affaire» rétorque l’agent judiciaire de l’Etat.

Alors que le procès de Khalifa SALL, qui devait s’ouvrir ce jeudi 14 décembre 2017, a été reporté au 3 janvier 2018, à l’instigation de Mme Anne HIDALGO, maire de Paris et ami de Khalifa SALL, le Conseil de Paris a adopté un «vœu» souhaitant «engager des démarches au plan international pour créer un Observatoire international des maires en danger» qui aurait pour vocation d’assurer une «veille des atteintes aux élus locaux et de la protection de leurs droits». Pour la Ville de Paris, Khalifa SALL est poursuivi «à cause de son bilan et de ses ambitions politiques». Dans un communiqué du 13 décembre 2017, l’A.P.R., le parti du président Macky SALL, dénonce «l’arrogance de Mme Hidalgo face à la souveraineté du Sénégal, de son peuple et de ses institutions, notamment judiciaires», qualifiant la prise position de la Maire de Paris de «posture aux allures nostalgiques d’un colonialisme révolu».

M. Khalifa SALL a vu sa demande de liberté provisoire, en versant une caution rejetée. En effet, l’article 134 du Code de procédure pénale prescrit que «dans le cas où la liberté provisoire aura été subordonnée au cautionnement, il sera fourni en espèce, soit par un tiers, soit par l’inculpé le montant […], suivant la nature de l’affaire déterminée par le juge d’instruction, le tribunal ou la Cour». Les avocats de M. SALL estiment que cette règle n’est pas d’ordre public. Le juge Malick SALL a précisé les motifs de ce rejet : «Il ne se pose pas de problème de sa recevabilité, mais de son bien-fondé», dit-il. Le magistrat fonde sa décision sur la circonstance que 8 des 13 biens immobiliers proposés par les avocats des mis en cause appartiennent à de tierces personnes. «Ni le juge civil, ni le tribunal ne peut saisir le bien appartenant à des tiers non concernés directement par l’affaire. En sus de cela, des terrains relevant du domaine national ont été relevés dans la liste de biens immobiliers soumis comme moyens de cautionnement» dit le juge.

M. Khalifa SALL a introduit, le 22 janvier 2018, une procédure d’urgence auprès de la Cour de justice de la C.E.D.E.A.O., estimant que ses droits ne seraient pas été respectés, que l’enquête n’aurait pas été menée dans les règles de droit. «Ce que nous allons demander à la Cour, c’est que l’Etat du Sénégal respecte ses engagements internationaux et respecte l’immunité de Khalifa Sall, mais surtout et fondamentalement, son droit à un procès équitable et qui soit placé dans des conditions d’égalité», soutient Maître Seydou GUEYE, l’un des 22 avocats de Khalifa SALL. Pour l’agent judiciaire de l’Etat du Sénégal, cette procédure engagée vise à paralyser ou retarder le cours de la justice ; c’est du dilatoire. Maitre Baboucar CISSE estime que Khalifa SALL retarde, indûment, le cours de la Justice : «Quand ils disent que les droits de Khalifa Sall ont été bafoués dans cette procédure, c’est faux et archi-faux. M. Khalifa Sall refuse qu’on le juge parce que les pièces du dossier parlent d’elles-mêmes. Même si ces procédures sont engagées au niveau de la CEDEAO, elles n’ont aucune incidence sur le déroulement du procès». Dans sa décision du 30 janvier 2018, rendue le 31 janvier, la Cour de Justice de la CEDEAO a fait savoir que l’urgence pour trancher l’annulation de la procédure n’est pas fondée.

Utilisant tous les moyens dont il dispose par la loi, M. Khalifa SALL a soulevé 22 exceptions préjudicielles, de nullité et de fin de non-recevoir, «in limine litis», c’est –à-dire avant tout débat au fond. Par ailleurs, il a saisi la Cour suprême, à trois reprises, en cassation.

I – Les exceptions de procédure devant le Tribunal correctionnel de Dakar

A – Les différentes exceptions soulevées devant TGI

1 – L’incompétence du TGI

M. SALL a soulevé l’exception d’incompétence en soutenant que le tribunal correctionnel n’est pas compétent pour juger cette affaire. En effet, suivant les dispositions de la loi organique sur la Cour des Comptes et du Code général des Collectivités locales, la Cour des Comptes est seule juge des comptes des collectivités locales. Exerçant une compétence exclusive, elle est seule habilitée à connaitre de la gestion des collectivités locales. Dès lors, le Tribunal de Grande Instance de Dakar, siégeant en matière correctionnelle, serait incompétent pour connaître de cette affaire.

2 – La litispendance

L’exception tirée de la prescription de l’action publique s’attache aux faits, indépendant des personnes en cause. Elle entraine l’extinction du droit de poursuivre après écoulement d’un certain délai. Dans cette affaire, à l’exception du délit de détournement de deniers publics, tous les autres faits qualifiés d’infractions pénales qui auraient été commis avant le 03 mars 2014 sont tous prescrits, c’est-à-dire effacés par le temps et ne pouvaient plus fonder des poursuites.

Les comptes de la Ville de Dakar sont soumis à la Cour des Comptes qui dispose d’un délai de 5 ans pour les juger. Passé ce délai, la loi considère que ces comptes ont été validés. Il s’en évince qu’au moins le compte de gestion de l’année 2011 a été validé par la Cour des Comptes par jugement implicite et qu’en vertu de l’autorité de la chose jugée, le tribunal correctionnel ne peut statuer sur le compte de gestion de l’année 2011. Par ailleurs, le principe de l’intangibilité des comptes interdit au juge de remettre en cause ces comptes de 2011.

La défense a soulevé l’exception litispendance qui signifie que deux juridictions sont saisies du même litige. Les comptes de gestion des années 2012, 2013, 2014 et 2015 étant en attente de jugement devant la Cour des Comptes, le Tribunal correctionnel ne peut pas statuer sur ces comptes de gestion. En effet, il est interdit à une juridiction de statuer sur une affaire qui est pendante devant une autre juridiction.

3 – La nullité de la procédure devant l’IGE

La transmission du rapport de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) au procureur a été faite sans fondement juridique et sans un décret préalable de déclassification alors qu’il s’agit d’un rapport classé «secret».

La mission de vérification de l’Inspection Générale d’Etat à la Ville de Dakar porte atteinte la loi portant création de l’IGE. Suivant les dispositions de cette loi, l’IGE vérifie seulement les structures de l’Etat central et non les collectivités locales. En effet, seule la Cour des Comptes est compétente pour juger les comptes des collectivités en vertu des dispositions de la loi organique sur la Cour des Comptes et du Code général des Collectivités locales.

Le procès-verbal d’enquête préliminaire ne mentionne aucun avis donné aux personnes entendues du droit qu’elles avaient d’être assistées par un avocat. L’article 14-3-d du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit : «Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : d) à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un». De même l’article 7-1-c de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples prévoit : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :…c. le droit à la défense y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix».

En outre, l’article 5 du règlement n°05/CM/UEMOA du Règlement relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA, stipule: «Les Avocats assistent leurs clients dès leur interpellation, durant l’enquête préliminaire, dans les locaux de la police, de la gendarmerie, ou devant le parquet».

Dans son réquisitoire introductif adressé au Doyen des juges pour l’ouverture d’une information judiciaire, le procureur a listé des infractions pénales en visant le rapport de l’Inspection Générale d’Etat et le procès-verbal d’enquête préliminaire. Or suivant les dispositions du Code de Procédure pénale, le procureur doit requérir sur des faits qu’il doit expressément viser sous peine de nullité du réquisitoire.

L’ordonnance de renvoi du doyen des juges ne mentionne pas le décret qui l’a nommé à ses fonctions en violation de la loi.
Le doyen des juges a refusé que les inculpés soient assistés et défendus par un avocat lors de l’interrogatoire de première comparution en violation des dispositions de l’article 5 du règlement n°05/CM/UEMOA du Règlement relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d‘avocat dans l’espace UEMOA et de l’article 55 du Code de Procédure pénale.

4 – Le motif tiré de l’immunité parlementaire

A compter de la proclamation des résultats définitifs des élections législatives par décision du Conseil Constitutionnel du 14 août 2017, Khalifa SALL, élu à l’assemblée nationale, bénéficie de l’immunité parlementaire conformément aux dispositions de l’article 61 de la Constitution et de l’article 51 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

Or, malgré la requête de ses avocats, le juge d’instruction a refusé de lui accorder la liberté d’office. En application des dispositions ci-dessus, son maintien en détention consacre une détention arbitraire et constitue une violation de la loi et une méconnaissance de l’inviolabilité du mandat du député Khalifa SALL.

En matière délictuelle, le juge est tenu d’accorder une liberté d’office aux personnes inculpées et placées sous mandat de dépôt si elles ne sont pas jugées dans un délai de six mois à compter de leur détention. Dans le cas d’espèce, tous les inculpés de complicité ont été maintenus en détention en violation de la loi pénale. L’article 181 du Code de procédure pénale dispose : «Lorsqu’il est interjeté appel d’une ordonnance autre qu’une ordonnance de règlement, le juge d’instruction poursuit son information, sauf décision contraire de la chambre d’accusation». En violation de cette disposition, le juge d’instruction a clôturé l’instruction alors que même qu’un appel avait été formé devant la chambre d’accusation contre son ordonnance de refus d’audition des témoins et son ordonnance de refus d’expertise. En effet, ces appels qui lui ont été notifiés, lui empêchaient de rendre une ordonnance de renvoi et l’obligeaient à poursuivre l’instruction dans l’attente d’une décision de la chambre d’accusation, et le cas échéant de la chambre criminelle de la Cour suprême.

En cours d’instruction, il appartenait au doyen des juges de saisir le Ministère de la Justice pour demander la levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa SALL. Le procureur, qui est dessaisi du dossier du fait de l’ouverture de l‘information judiciaire, ne pouvait pas, sans violer la loi demander la levée de l’immunité parlementaire par voie de réquisitoire.

Dans son réquisitoire définitif dressé en vue de la clôture de l’instruction, le procureur ne mentionne pas la levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa SALL alors que sans la levée de l’immunité parlementaire ce dernier ne pouvait être présenté à une juridiction de jugement.

L’avis de clôture en date du 03 avril 2017 est devenu caduc après la prétendue levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa SALL. Le doyen des juges était tenu, par ce fait, de prendre un nouvel avis de clôture et l’adresser à tous les avocats pour leur permettre de faire des observations avant la clôture de l’instruction.

Comme tous les avocats de la défense, Maître Doudou NDOYE, avocat de Fatou TRAORE, devait recevoir l’avis de clôture de l’information pour lui permettre de faire valoir ses observations. Même s’il ne s’est constitué qu’en septembre 2017, le doyen des juges avait l’obligation de lui transmettre cet avis puisqu’il a eu connaissance de sa constitution en faveur de Fatou TRAORE, constitution qui lui a été notifiée par écrit.

Dans le cadre d’une information judiciaire, le juge d’instruction est tenu d’instruire à charge et à décharge. La garantie d’une justice impartiale et des droits de la défense aurait du incliner le Doyen des Juges d’Instruction à instruire à décharge, à effectuer des investigations et à interroger des témoins avant de prendre des décisions en toute indépendance. Au lieu de cela, l’instruction a été menée à charge et au pas de charge. Le doyen des juges a refusé la demande d’expertise formulée par la défense mais surtout la demande d’audition des témoins présentés par la défense.

En conclusion, l’exception de procédure, qui conteste la régularité de la procédure, est définie comme tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. Dans notre espèce, les exceptions soulevées par la défense visent à faire annuler la procédure. Le tribunal a décidé de les joindre au fond mais se prononcera vendredi sur l’exception d’incompétence, l’exception de litispendance et sur la demande de liberté provisoire contre cautionnement.

5 – La prétendue prescription des poursuites pénales

La défense a également plaidé la prescription de certains faits, affirmant qu’à l’exception du «détournement de deniers publics» (prescription de sept ans), tous les autres faits ont dépassé la durée de prescription légale, qui est de trois ans.
L’AJE et ses avocats ont répliqué en soulignant que tous les autres chefs d’inculpation sont directement liés à l’infraction principale, le détournement de deniers publics, le délai de prescription devient donc le même pour tous les faits : sept ans.

B – Un procès exemplaire ayant rehaussé l’image de la justice sénégalaise

M. Khalifa SALL redoutait une justice fondée sur la vengeance politique. Or, tous semblent s’accorder sur la tenue exemplaire d’un procès médiatique et complexe comme le Sénégal n’en avait pas connu depuis longtemps. La justice, un rouage essentiel de la démocratie, a été sereine, exemplaire et équilibrée. Ce procès a rehaussé l’image d’une justice indépendante et impartiale du Sénégal. Magistrat intransigeant mais équitable, le juge Malick LAMOTTE a réussi à préserver la sérénité des débats. Bien qu’il ait dû user à quelques reprises de mises en garde et d’expulsions à l’égard d’avocats séditieux, aux plaidoiries émaillées de bons mots et parfois de piques frôlant l’injure. «Vous nous avez demandé de juger en droit, de rendre justice. Nous rendrons justice en disant le droit» a déclaré Malick LAMOTTE, président du Tribunal correctionnel.

Son avocat Maître Bamba CISSE estime : «Il n’y a pas la preuve que Khalifa Sall s’est approprié personnellement les deniers qui ont profité aux populations de Dakar». On connaît la formule «Responsable, mais pas coupable». Comme le veut la tradition, l’accusé, M. Khalifa SALL ayant eu le dernier mot, a réaffirmé le 23 février 2018, à la barre, sa «détermination à servir ce pays» et assurant n’avoir «jamais eu un quelconque reproche» dans ses fonctions politiques, «C’est la raison pour laquelle je reste au service des Sénégalais. Je leur redis mon engagement, ma disponibilité, ma détermination à servir ce pays» dit-il.

Les audiences sont terminées, l’affaire mise en délibéré pour le 30 mars 2018. Le Parquet, M. Bassirou GUEYE, a requis sept ans fermes et une amende de 5,49 milliards de francs CFA (8,37 millions d’euros) contre Khalifa SALL et Mbaye TOURE, le directeur administratif et financier de la Ville de Dakar. Il a réclamé des peines de deux ans, dont un avec sursis, à cinq années de prison ferme contre quatre prévenus et la relaxe pour les deux percepteurs. Quant à l’Etat du Sénégal, il réclame plus de 10 millions d’euros de dommages et intérêts au maire et à ses coaccusés.

M. Khalifa SALL pourrait aussi perdre ses droits civiques, s’il est reconnu complice de faux et usage de faux sur un document administratif. Une décision qui mettrait un terme à ses ambitions politiques.

II – Les différents recours devant la Cour suprême
et la Haute cour de justice de la CEDEAO

Pendant la bataille procédurale, qui intéressera les apprentis juriste, M. Khalifa SALL a usé de toutes les voies de recours mis à sa disposition. Il a saisi la Cour Suprême du Sénégal, ainsi que la Cour de justice de la CEDEAO. Ses différentes requêtes ont été rejetées. Nous attendons donc le jugement sur le fond du 30 mars 2018.

A – Les 3 arrêts de la Cour suprême du Sénégal en cassation,

1 L’arrêt n°46 du 20 juillet 2017

Par ordonnance du 3 avril 2017, le Doyen des juges d’instruction, saisi par Khalifa Ababacar SALL et autres, de demandes de mise en liberté provisoire, les a rejetées aux motifs que les requérants n’ont pas émis de contestations sérieuses et n’ont ni cautionné, ni remboursé le manquant qui leur est reproché et les faits ont troublé l’ordre public économique.

Les 3 et 5 avril 2017, les inculpés ont interjeté appel, et la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar qui a confirmé l’ordonnance 3 avril 2017, par un arrêt n°150 du 2 mai 2017. C’est cet arrêt de la Cour d’appel qui est attaqué devant la Cour de cassation, chambre criminelle.

Dans son arrêt du 20 juillet 2017, la Cour de cassation constate que, sous le couvert de violation de la loi, les moyens des requérants ne tendent qu’à discuter le fondement de l’obligation de justification de l’usage des fonds de la Caisse d’avance de la Mairie de la Ville de Dakar, et de ce fait, ils remettent en cause le fondement légal des poursuites menées contre eux, et dont l’appréciation relève de la compétence exclusive du tribunal correctionnel.

La Cour de cassation fait observer que tous les moyens de cassation soulevés contre une décision de placement ou de refus de placement en détention ou de refus de mise en liberté provisoire d’un inculpé doivent tendre uniquement à démontrer l’existence ou non de la réunion des conditions légales de détention ou de mise en liberté provisoire de celui-ci, sans chercher, à contester directement ou indirectement, le bien fondé des poursuites déclenchées contre lui. La Cour suprême intervenant en matière de cassation rappelle un point de droit «la chambre d’accusation, saisie d’un contentieux en matière de détention, ne saurait sans excéder ses pouvoirs se prononcer sur le bienfondé de la poursuite».

La Cour suprême, juge de droit, estime que la chambre d’accusation a fait une correcte application de la loi : «il ne peut être donné mainlevée du mandat de dépôt décerné que si, au cours de l’information, surviennent des contestations sérieuses ou le remboursement ou le cautionnement de l’intégralité des manquants» d’une part, pour ensuite constater, d’autre part, qu’il n’existe pas de contestations sérieuses à l’encontre des inculpés et que ces derniers n’ont ni remboursé ni cautionné voire offert de le faire ; et de conclure, enfin que c’est à bon droit que l’ordonnance entreprise a rejeté leurs demandes de mise en liberté provisoire». Par conséquent, le recours en cassation contre l’arrêt n° 150 du 2 mai 2017 de la cour d’appel de Dakar, est rejeté.

2 –L’arrêt de la Cour Suprême n°50, du 21 septembre 2017
Par requête en date du 23 mars 2017, M. SALL a saisi la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar aux fins d’annulation du procès-verbal d’enquête préliminaire, du réquisitoire introductif et du procès-verbal d’interrogatoire de première comparution de la procédure initiée contre lui, en soulevant une exception d’inconstitutionnalité.
Il s’est pourvu en cassation, la chambre d’accusation de la Cour d’appel ayant refusé de transmettre sa requête au Conseil constitutionnel.

La Cour de cassation, et au vu du défaut de consignation, a rejeté sa requête pour forclusion.

3 –L’arrêt de la Cour Suprême n°57, du 14 décembre 2017
M. SALL avait formé, le 2 octobre 2017, un pourvoi en cassation contre un arrêt de la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Dakar confirmant l’ordonnance de refus de mise en liberté provisoire du 30 août 2017.

L’agent judiciaire a fait remarquer que M. SALL qui a formé son pourvoi le 2 octobre 2017, n’a produit sa requête que le 3 novembre 2017, soit hors le délai de 15 jours prévu par la réglementation. Il est donc forclos.

La chambre d’accusation avait estimé que «les poursuites ayant été déclenchées bien avant son élection les dispositions précitées n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce» à des faits «n’ayant absolument rien à voir avec les opinions ou votes émis par le député».

La Cour de cassation a précisé que M. SALL ayant été poursuivi pour des faits antérieurs à son mandat de député, et, à la suite de son élection en qualité de député, en l’absence d’une demande de suspension de la détention émanant de l’Assemblée nationale, il ne peut pas se réclamer, utilement, de l’immunité parlementaire.

Le pourvoi contre l’arrêt n°315, du 28 septembre 2017, de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar est rejeté.

B – Ordonnance de référé, en urgence, devant
la Cour de justice de la CEDEAO, n°2/18 du 20 février 2018

Khalifa Sall a saisi la cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aux fins d’obtenir sa libération immédiate et un dédommagement de cinquante milliards de francs CFA, dénonçant notamment ce qu’il qualifie de « détention abusive ». L’affaire sera entendue à Abuja, au Nigeria, le mardi 30 janvier. Les avocats de la défense pourraient donc, ce matin encore, réclamer un autre report jusqu’à la délibération de la Cour de justice de la CEDEAO. Cette procédure ne peut pas obliger le juge sénégalais à reporter le procès.

Par requête du 26 décembre 2017, M. Khalifa SALL et autres, ont saisi la Cour de justice de la CEDEAO pour violation des droits de l’homme par l’Etat du Sénégal et en référé, en soutenant que la procédure serait justifiée par l’urgence à prendre des mesures conservatoires, en arguant que la justice sénégalaise «s’empresse à les juger, avec des risques réels et prévisibles, d’une probabilité d’un déni de justice et d’une iniquité à leur préjudice», sans un procès équitable et sans respect des droits de la défense. M. SALL avance que le procès mené contre lui, se déroulerait dans des conditions «inaccoutumées», sans être assisté d’un conseil lors de l’interpellation, violation de la présomption d’innocence, non audition de témoins à décharge, possibilité de solliciter une expertise, droit d’interjeter appel, non respect du principe d’égalité devant la loi et la justice, violation des droits civiques, politiques et de l’immunité parlementaire. En conséquence, M. SALL demande à la Cour de Justice de la CEDEAO une suspension immédiate des procédures en cours et la garantie, par l’Etat du Sénégal, d’un procès équitable.

Pour l’Etat du Sénégal, M. SALL n’a pas administré la preuve de l’urgence à suspendre la procédure devant les tribunaux du Sénégal. En effet, détenu depuis le 7 mars 2017, M. SALL n’a pas déposé de requête en référé devant la Cour de Justice de la CEDEAO que le 5 janvier 2018, soit 10 mois, après. Sur le motif prétendu d’absence d’un procès équitable, la jurisprudence Karim Meissa WADE du 19 juillet 2013, pose le principe qu’il n’appartient pas à la Cour de Justice de préjudicier sur le fond du litige : cette instance «n’est pas compétente pour examiner les violations a priori ou a potentielles des droits de l’homme alléguées». Par ailleurs, aucune menace ne pèse sur les droits fondamentaux de M. SALL, comme le droit à la vie ou à l’intégrité physique. Par conséquent, l’extrême gravité et l’urgence ne sont pas démontrées. Par ailleurs, la demande de liberté provisoire, la caution, l’expertise, ainsi que l’audition des témoins seront examinés par le Tribunal correctionnel de Dakar. La Cour de justice n’a pas compétence pour ordonner des injonctions aux Etats membres, lorsque des procédures internes sont mises en œuvre ; la requête de M. SALL est donc irrecevable, il n’y a pas urgence.

La Cour de Justice de la CEDEAO la requête de M. SALL en la déclarant «mal fondée» ; ses prétentions ne peuvent plus prospérer et qu’il échet de l’en débouter. Le juge international se fonde sur le raisonnement suivant «La crainte des requérants se fonde, essentiellement, sur le fait qu’en dépit de l’exercice des recours contre les décisions rendues par les juges d’instructions suite à leurs demandes relatives à l’audition de témoins, à l’expertise de la gestion de la régie d’avance et à la fourniture de cautionnement pour bénéficier de la liberté provisoire, le magistrat instructeur a clôturé sa procédure par l’ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi en police correctionnelle du 7 décembre 2017». La Cour de justice considère qu’il n’y a pas d’urgence : «Le magistrat instructeur a rendu son ordonnance de règlement ; il est dessaisi de l’affaire au profit de la chambre de jugement qui, à son tour, a entamé l’examen du dossier ». Par conséquent, «l’urgence qui, a priori, légitime à la procédure de recours en référé ne peut plus valablement être invoquée par les requérants. En effet, l’urgence s’apprécie par rapport à la nécessité d’ordonner une mesure provisoire afin d’éviter une situation irréparable. Or, en l’espèce, si dommage il devrait y avoir, il est déjà né ; il ne s’agit donc plus de le prévenir».

La Cour de justice de la CEDEAO en rejetant la requête de M. Khalifa SALL se fonde aussi sur des précédents qu’elle a déjà jugés. Cette instance «réitère qu’elle n’a pas pour rôle d’examiner les législations des Etats membres in abstracto», dans l’arrêt n°06/08 du 27 octobre 2008, CJCDEAO, Hadjatou Mani KORAOU contre l’Etat du Niger.

Références jurisprudentielles

1 – Arrêts de la Cour suprême, juge de cassation

– Cour suprême, Chambre criminelle, arrêt n°46, du 20 juillet 2017, Khalifa Ababacar Sall, affaire n°J/219 bis/RG/17 du 8 juin 2016, pourvoi dirigé contre l’arrêt n°168 de la Cour d’appel du 16 mai 2017 ;

– Cour suprême, Chambre criminelle, arrêt n°50, du 21 septembre 2017, Khalifa Ababacar Sall, affaire n°J/219 Bis/RG/17 du 8 juin 2016, pourvoi dirigé contre l’arrêt 168 de la Cour d’appel du 16 mai 2017 ;

– Cour suprême, Chambre criminelle, arrêt n°57, du 14 décembre 2017, Khalifa Ababacar Sall, affaire n°J/397/RG/17 du 16 octobre 2016, pourvoi dirigé contre l’arrêt 315 de la Cour d’appel du 28 septembre 2017.

1 – L’ordonnance de la Cour de Justice de la CEDEAO

L’ordonnance en référé de la Cour de Justice de la CEDEAO, n°02/18 du 20 février 2018, M. Khalifa Ababacar SALL, Mme Fatou TRAORE, M. M’Baye TOURE, M. Ibrahima Yatma DIAO, M. Amadou Moctar DIOP, M. Yaya BODIAN, 13 pages.

Paris, le 29 mars 2018, par M. Amadou Bal BA –

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