Le Sénégal peut-il être autosuffisant en céréales pour se nourrir ? Par Ibrahima Sène*

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SENTV : Les questions de l’engrais et de l’autosuffisance alimentaire, et céréalière au Sénégal ! Une contribution de Monsieur Ibrahima Sène du PIT.  Dans sa casquette d’Agro Economiste, il apporte des réponses sur les capacités du Sénégal à s’auto-suffire en engrais et en céréales.

In Extenso

Avec la crise engendrée par la guerre de la Russie en Ukraine et le blocage des exportations des céréales et des engrais de Russie et d’Ukraine, un débat s’est instauré sur l’autosuffisance en engrais et en céréales dans notre pays ;
Beaucoup d’intervenants se sont scandalisés du fait que le Sénégal, malgré sa richesse en phosphates, continue, encore, d’importer des engrais et de quoi vivre !

Concernant l’engrais, les gens semblent ignorer quels sont les types d’engrais, utilisés au Sénégal, pour savoir est ce que le Sénégal, avec ses phosphates, pouvait les produire pour s’auto suffire ?

Concernant l’autosuffisance alimentaire, notamment en céréales, les gens occultent le fait que dès les années 80, avec l’émergence des » Programmes d’Ajustement structurel » (PAS), le FMI et la Banque mondiale, soutenues par des Universitaires et autres experts sénégalais en Économie et en Agriculture, ont imposé à nos États de renoncer à « l’objectif d’autosuffisance alimentaire », au profit d’un objectif de sécurité alimentaire », en adoptant la stratégie de développement axé sur les exportations pour avoir les ressources nécessaires pour rembourser leur dette extérieure et importer de quoi se nourrir !

I) Le Sénégal, avant l’exploitation du pétrole et du gaz, a-t-il les ressources naturelles nécessaires pour produire ses besoins en engrais ?
La réponse est Non !

En effet, avec seulement des Phosphates, le Sénégal est obligé d’importer de l’Urée et du Sulfate de Potassium, pour produire les types d’engrais dont il a besoin, dont, le NPK, et le DAP.

C’est ainsi que très tôt, le Sénégal s’était doté d’une Usine de production d’engrais, (SIES) pour fabriquer les engrais dont il avait besoin ; besoins exprimés annuellement dans le cadre d’un Programme Agricole (P.A), qui était défini et financé par le gouvernement, accompagné d’une politique de subvention des entrants et de l’équipement agricole, destinés aux producteurs ruraux.

C’est par la suite que la SIES, d’entreprise privée étrangère française, a été remplacée par une entreprise nationale « SENCHIM », comme une filiale des « Industries chimiques du Sénégal » (ICS).

Ce sont les PAS dans les années 80, avec le retrait de l’État des activités relevant du domaine marchand, et la libéralisation de l’Économie, la fin du crédit aux paysans subventionné par l’État, au profit de la « Vente au comptant et à prix coutant, la dissolution de « l’ONCAD », organisme public de distribution des semences et des engrais », au profit du privé, et la privatisation de « SENCHIM », qui ont été à l’origine de la dépendance du Sénégal de l’importation des engrais et de céréales.

Depuis lors, que s’est installée la dépendance du Sénégal, de l’importation des engrais pour satisfaire les besoins solvables de ses agriculteurs s’est accentuées. C’est cela qui a fait passer l’offre annuel d’engrais de 120.000 tonnes que fournissait l’ONCAD, puis la SONAR, à moins de 50.000 tonnes par le privé, durant les années 80 et 90 !
C’est donc, le libéralisme économique dicté par les PAS, qui ont plongé l’Agriculture sénégalaise dans cette vulnérabilité extrême, accentuée par les sécheresses occasionnées par les changements climatiques, malgré les efforts louables d’adaptation, grâce à sa Recherche agricole dont les résultats ont produit des variétés de semences et de méthodes culturales de plus en plus adaptées à la dégradation de la pluviométrie.

Aujourd’hui, que sa production de pétrole et de gaz va démarrer, avec ses ressources en phosphates, Sénégal va avoir, pour la première fois de son existence, les possibilités d’accéder à l’autosuffisance en engrais, qui risque, cependant, d’être entravée par le tournant libéral de son Économie, accéléré depuis 2000, par la gestion durant 12ans, du Président Wade.

Mais grâce au timide retour de l’État dans les domaines marchands, sous Macky Sall, accentué depuis 2014, par le « PSE » qui a intensifié la subvention des engrais au profit des producteurs ruraux, l’offre d’engrais a rebondi pour atteindre plus de 60.000 tonnes par an, malgré leur vente au comptant à prix fortement subventionné, suscitant l’ire du FMI, et de la Banque mondiale, qui n’ont de cesse d’exiger la fin de ces subventions.

Ainsi, le Sénégal, malgré ses potentialités actuelles, ne peut atteindre l’autosuffisance en engrais, au profit de ses producteurs ruraux, qu’en rompant clairement avec les politiques économiques libérales, héritées des PAS.
II) Le Sénégal peut-il être autosuffisant en céréales pour se nourrir ?
Tant que la stratégie de développement par les exportations restera en vigueur, et les politiques économiques libérales qui la sou tendent, la réponse est Non !
En effet, seuls le renoncement à l’objectif « sécurité alimentaire », au profit de « l’autosuffisance alimentaire », et le retour de l’État dans le secteur marchand, accompagné d’une forte subvention des prix des semences et engrais, dans le cadre d’un crédit public, peuvent donner au Sénégal les moyens d’une indépendance céréalière.

C’est ainsi que, dès le début des années 60, le Sénégal, au sortir des sécheresses des années 50, le Sénégal avait misé sur la politique de maîtrise de l’eau et sur sa Recherche Agronomique, pour lutter contre la salinisation des terres en Casamance, et l’assèchement des terres le long du Fleuve Sénégal.
C’est ainsi que, sur le Fleuve Sénégal, fut construit un Barrage de régulation du cours du fleuve, d’une part, et d’autre part, sur les cours d’eau de Casamance, des barrages anti sel) furent construits, avec les barrages en Basse Casamance (Afiniang), en Moyenne Casamance, sur le fleuve Gambie, et en haute Casamance sur l’Anambé, et grâce aux nouvelles variétés de céréales adaptées au raccourcissement des cycles pluviométriques et au « PA », le Sénégal s’acheminait vers l’autosuffisance en riz.

Cette politique de maîtrise de l’eau au profit de l’Agriculture pour atteindre l’autosuffisance en riz, fut bloquée par les PAS, durant les années 80 et 90 dans le bassin arachidier, au Fleuve Sénégal, et en Casamance, blocage aggravé par la rébellion armée qui y a éclaté au début des années 80.

Donc, sans le renoncement aux politiques économiques libérales véhiculées par les PAS, et le retour définitif de la paix en Casamance, la politique de maîtrise de l’eau pour l’Agriculture, ne saurait permettre le Sénégal d’assurer son autosuffisance en céréales.
Ainsi les politiques adeptes du libéralisme économique, et autres théoriciens favorables à l’Économie libérale et/ou hostiles au retour de l’État dans le secteur marchand, en faveur du privé national, sous prétexte de lutte contre la « mal gouvernance » et la corruption, et les va-t’en guerres, partisans de la rébellion armée en Casamance, camouflés dans l’arène politique et dans la société civile, au prétexte de défendre de la Démocratie et des Libertés au Sénégal, sont, aujourd’hui, les véritables obstacles à la souveraineté alimentaire de notre pays, et à son autosuffisance en engrais.

*PIT-SÉNÉGAL Agro Économiste

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