SENTV : Par Madiambal DIAGNE – La mort afflige les proches et amis. La perte d’un être constitue une lourde épreuve. Il suffit simplement d’observer le monde animal pour deviner la peine et la douleur qui possèdent une bête, devant le cadavre d’un animal de son espèce. C’est dire que l’être humain, à plus forte raison, ne pourrait être insensible à la mort d’un semblable. Dans toutes les cultures, on s’incline devant la mort et les soins et l’attention portés aux défunts et à leur mémoire sont strictement codifiés. Les non-croyants ne peuvent s’empêcher d’observer un deuil. Tout cela pour dire que celui qui ne respecte pas la mort d’un autre, qui ne respecte pas la douleur des proches du défunt, n’est rien d’autre, pour citer Napoléon s’adressant à son ministre Talleyrand, que «de la merde dans un bas de soie».
La mort du juge Samba Sall a pu donner cours à un déferlement d’une certaine violence verbale, non seulement indigne, mais aussi qui constitue une véritable menace pour la paix et la cohésion sociale. D’aucuns ont été plus émus par des réactions jubilatoires que la mort même de cet illustre magistrat. Ceux qui ont poussé l’ignominie jusqu’à insulter la mémoire du juge Samba Sall, avant même que son corps ne soit porté sous terre, n’ont sans doute pas connu l’homme. Le magistrat Mouhamadou Moustapha Sèye ne savait certainement pas si bien leur répondre quand il a posté un témoignage éloquent pour non seulement rendre hommage à son collègue «Bathie», mais aussi pour rappeler le sacerdoce et l’ingratitude du métier de juge. Il a écrit : «‘’Bathie’’, les magistrats se proposent de faire un métier sublime et surhumain puisqu’en définitive, seul Dieu peut juger sans se tromper. Hommes publics par la force des choses, nous sommes journellement victimes d’insultes, de médisances et de calomnies. Et pourtant, avec le sacerdoce en bandoulière, nous essayons chaque jour de rendre réelle la paix sociale dans la cité. Hommes du silence et de silence, le devoir de réserve nous empêche de réagir et, stoïquement, nous endurons mensonge et mépris. J’ai l’habitude de dire que le métier de magistrat est le seul qui assure chaque jour à son titulaire un nouvel ennemi. Il en est ainsi parce que par sa nature, le procès appelle le juge à trancher entre les prétentions de deux parties adverses. Pour celui qui perd, le juge est seul responsable de sa situation et le perdant en arrive même à oublier sa propre responsabilité dans les faits. Tenez, pour le voleur pris avec le sac de riz volé entre ses mains, son séjour en prison tient à la seule méchanceté du juge. Personne ne doit dès lors être coupable et le juge est alors coupable de tout, surtout dans une société où l’hypocrisie, la ruse et le mensonge sont érigés en valeurs sociales. ‘’Bathie’’, au nom de tous les magistrats, je tiens à te dire que tu n’as pas démérité. Dans le champ d’action, personne ne peut être parfait. L’important est seulement d’essayer d’être un bon juge, un bon diseur de vérité et de droit. Sous cet angle, tu auras fait de ton mieux. Et aucun soldat ne peut jurer qu’il reviendra indemne du front.»
L’insoutenable indécence de Ousmane Sonko, Abdoul Mbaye et autres
Quelle mouche a pu piquer Abdoul Mbaye ? L’ancien Premier ministre s’est précipité, à l’annonce de la mort du juge Samba Sall, pour poster sur les réseaux sociaux un message on ne peut plus abject, cynique et déshonorant. Il a écrit : «J’apprends la triste nouvelle du décès du Doyen des juges Samba Sall. Je présente mes condoléances à sa famille et à celle judiciaire. Puisse Allah (swt), le Seul Juge, traiter tout juge comme il aura lui-même rendu justice à ses semblables.» La sortie a ému bien de monde et la réponse ne s’était pas fait attendre. Une dame lui répliqua du tic au tac en lui disant : «J’espère que votre père (l’ancien juge Kéba Mbaye) sera traité comme il traitait son prochain).» Pan ! Des réactions tout aussi indignées se sont enchaînées et Abdoul Mbaye s’empressa alors de retirer son message digne d’un maître Aliboron. Le mal était déjà fait, car d’aucuns ont pu se rappeler que le message constituait l’expression d’une rancune tenace, d’une vengeance personnelle, pour le fait que Samba Sall avait connu du dossier de l’instruction judiciaire d’un contentieux judiciaire opposant Abdoul Mbaye à son ex-épouse Aminata Diack. Face au tollé suscité par la réaction de Abdoul Mbaye, jusque dans ses cercles intimes, il daigna, deux jours plus tard, mettre sur le dos de son «community manager» la responsabilité du malheureux post. Soit ! Mais Abdoul Mbaye se serait montré plus chevaleresque et plus crédible s’il s’était excusé, au passage, de la gêne et de l’embarras provoqués par cette fameuse première réaction.
Ousmane Sonko, le leader de Pastef, se garde encore de se prononcer sur la mort de Samba Sall qui a eu à lui notifier les charges retenues contre sa personne dans le dossier de faits d’abus sexuels pour lesquels la dame Adji Sarr avait porté plainte. Personne ne saurait obliger une autre personne à présenter des condoléances, à qui que ce soit, mais Ousmane Sonko a l’obligation de se démarquer des attaques ignobles proférées en son nom et au nom de son parti par des sbires qui s’en donnent à cœur joie sur les réseaux sociaux pour salir la mémoire du défunt juge. Les personnes qui s’acharnent sur la dépouille du juge Sall ne cachent pas leur militantisme actif à Pastef, et le silence de Ousmane Sonko pourrait laisser croire qu’il a pu les encourager. En définitive, Ousmane Sonko apparaît incapable de repentir, de contrition ou d’empathie. Qui l’a entendu condamner les violences perpétrées par des manifestants du 8 mars 2021 qu’il avait préalablement chauffés à blanc ? Qui l’a entendu exprimer la moindre compassion, excuse ou empathie pour les personnes qui ont été victimes de ces manifestations et qui ont vu leurs maisons incendiées, leurs voitures et autres commerces détruits ? Le silence de Ousmane Sonko devant la mort de Samba Sall est dégueulasse, d’autant que lui-même disait, au sortir de son face-à-face avec le magistrat qui lui précisait les charges retenues contre lui, qu’à l’occasion, le Doyen des juges l’avait bien traité. Comment peut-on être aussi insensible à la mort d’une personne qui vous aurait bien traité, quelles que soient les circonstances ?
On ne peut s’empêcher de se demander comment on peut aspirer diriger un Peuple en ignorant ses ressorts les plus essentiels ? Dans la société sénégalaise, la mort transcende l’adversité et fait taire les rancœurs. Le meilleur exemple est l’attitude adoptée par l’ancien président du Conseil de gouvernement du Sénégal, Mamadou Dia, à la mort de Léopold Sédar Senghor en 2001. Mamadou Dia s’était montré affligé par la disparition de son ancien compagnon et, parce que le Président Senghor n’était plus de ce monde, M. Dia poussa son attitude de grandeur et de dépassement jusqu’à décliner l’offre du Président Abdoulaye Wade de rouvrir le procès de «tentative de coup d’Etat de 1962». Cette affaire avait valu à Mamadou Dia et ses compagnons d’infortune une réclusion carcérale pendant douze bonnes années. A la faveur d’une grâce, Mamadou Dia n’était ressorti de prison qu’en mars 1974, avec une cécité due à une maladie des yeux mal soignée durant son incarcération. Il bénéficia d’une amnistie en avril 1976, à la veille de la réforme institutionnelle restaurant le multipartisme au Sénégal. Roland Colin, ami commun et ancien collaborateur de ces deux figures politiques historiques du Sénégal, témoigne : «Dia avait tout à fait réussi à procéder à une démarche intérieure de pardon et d’apaisement vis-à-vis de Senghor. Il a d’ailleurs cherché la réconciliation : deux jours après sa sortie de prison, il a demandé à rencontrer Senghor qui était très pris au dépourvu par cette démarche. Senghor l’a reçu au Palais, c’était le soir. Dia s’est avancé vers Senghor qui était là, planté. Dia lui a dit : ‘’Alors, tu ne m’embrasses plus Léopold ?’’»
Le silence de Khalifa Ababacar Sall, ancien maire de Dakar, et qui est lui aussi passé devant le juge Sall, qui l’inculpa de détournement de deniers publics, est également étonnant. Franchement, Khalifa Sall avait habitué son monde à plus de magnanimité, mais le post équivoque d’un de ses proches collaborateurs, en l’occurence Barthélemy Dias, a encore rendu le silence de l’ancien édile de Dakar bien assourdissant.
Une belle tradition politique qu’on ne devrait pas perdre
Les aînés nous ont légué l’élégance républicaine, les bonnes convenances civiles et politiques. A-t-on le droit de laisser à des messies auto-proclamés l’outrecuidance de refaire notre destin national en piétinant tout ce que ce pays avait de plus noble et qui a fait sa force, et qui a donné au reste du monde des raisons de l’admirer ? Faudrait-il se résigner à faire avec des gueux qui investissent la vie publique sénégalaise et qui finissent par ne plus rien respecter ? Assurément non, on devrait les remettre à leur place, quitte à souffrir leurs injures, leurs menaces et leurs calomnies. C’est sans doute qu’ils cherchent à exercer une terreur par la violence physique, l’insulte, la calomnie pour que plus personne n’ose exprimer une opinion opposée à la leur. Ainsi, ils espèrent faire le vide autour d’eux et se donner l’impression, et sans doute aux autres, que leurs opinions sont dominantes dans ce pays. On a beau vouloir croire à la maturité du Peuple sénégalais, à cette masse silencieuse qui sait toujours faire les bons choix au moment du vote, il faut bien considérer qu’il arrivera un moment où ces gens qui insultent, invectivent, menacent et en arrivent à brûler des édifices et biens publics ainsi que les maisons et commerces d’humbles citoyens, et qui exercent une terreur noire sur leurs familles, arriveront à ne plus permettre que le citoyen puisse aller voter librement. Qui ne se rappelle pas que le soir du scrutin du 24 février 2019, des chaînes d’informations s’étaient vues intimer l’ordre, par des groupes d’opposants politiques, d’arrêter illico leurs émissions de soirées électorales qui donnaient en direct les résultats électoraux ? Cette pratique ancrée dans notre système démocratique avait pourtant fait école à travers le monde et constituait le véritable gage de transparence du contrôle du vote des électeurs, car les résultats proclamés étaient sortis directement des bureaux de vote, sans aucune possibilité de manipulation dans le circuit de transmission aux instances chargées du contrôle des élections. Mais la minorité qui voyait défiler des résultats qui la donnait inexorablement perdante ne voulait plus entendre diffuser des résultats défavorables. Les médias avaient cédé à leurs cris d’orfraie et autres menaces, et l’opinion publique, résignée, leur avait manifestement, avec cet épisode, donné des raisons de poursuivre leur défiance. Ils pouvaient donc se sentir forts, capables d’imposer leur volonté à leurs concitoyens. Si on n’y prend garde, la dictature finira par s’installer de leur fait. L’histoire a enseigné que les opposants politiques qui arrivent à instaurer la violence et un climat de peur peuvent arriver au pouvoir, et le cas échéant se révéler être les pires dictateurs de l’histoire. Les groupes de média qui sont dans leur collimateur doivent bien savoir, déjà, à quoi ils pourront s’attendre, une fois qu’ils seront au pouvoir. Ainsi, aucune complaisance ou compromis ne devrait être possible ou envisageable avec ces gens. Nous sommes en train d’assister, impassibles, à la situation où notre idéal démocratique est en train de nous filer entre les doigts. mdiagne@lequotidien.sn