Parce qu’ils sont fâchés de la gouvernance du Président Macky Sall, des responsables de l’opposition estiment que les autres Sénégalais devaient faire comme eux, sortir dans la rue, braver les institutions de la République et en découdre avec les forces publiques.
De quelle légitimité d’ailleurs ces personnes sont-elles investies pour décider de notre bonheur à notre place, de ce que nous devrions vouloir pour nous-mêmes, de notre appréciation de nos conditions de vie et de notre avenir et de celui de notre progéniture ? De quel droit peuvent-ils nous insulter pour n’avoir pas répondu à leurs manifestations du 19 avril 2018, dont les motifs ont été, du reste, clairement démontrés comme étant fallacieux et que ces manifestations procédaient d’une action subversive pour ne pas dire insurrectionnelle ? Il suffit de s’en référer aux éléments de langage partagés par les organisateurs ! Les Sénégalais seraient-ils même mécontents de Macky Sall, qu’ils auraient le droit de choisir de ne pas l’exprimer de la même façon que voudrait l’opposition. Il est donc malvenu que l’opposition, amère suite à sa «bérézina» du 19 avril 2018, se permette de faire la leçon aux autres Sénégalais et même de les insulter.
La classe politique qui a voulu défier le pouvoir et lui imposer un rapport de forces, aurait dû se demander si leurs concitoyens ne trouvent pas légitime de ne plus permettre à n’importe quel énergumène, de se mettre à la tête d’un parti politique et de polluer le débat public, et de se servir de cet instrument comme moyen pour gagner sa vie. Les hommes politiques devraient se demander s’ils sont véritablement en phase avec ces millions de Sénégalais qui travaillent dur pour gagner leur vie, pendant que ces hommes politiques sont pour la plupart, abonnés à un chômage de longue durée. Quels sont ces hommes politiques qui exercent un travail connu, par lequel ils gagnent des revenus et sur lequel ils s’acquittent de contributions à la prise en charge des besoins de la Nation ? Ils sont nombreux à n’avoir que la politique comme activité professionnelle !
Le refus des populations de répondre aux appels à manifester de l’opposition doit interpeller. «Y’en a marre», justement, pour les Sénégalais, de voir des gens s’autoproclamer parler en leur nom et en faire des moyens pour tirer des subsides par des formes de pression, de trafic d’influence ou, au meilleur des cas, des collectes de fonds. Sans doute que les Sénégalais préféreraient que tous ceux qui prétendent parler à leur nom, travaillent comme eux, et s’investissent pour construire ce pays. Les Sénégalais ont sans doute exprimé, par leur attitude, qu’ils ne souffrent plus l’existence de plus de 300 partis politiques ; qu’ils sont rebutés par des candidatures les plus farfelues à des élections nationales. Les Sénégalais tiennent ainsi à un assainissement de la vie politique.
Et si les populations «en avaient marre de la classe politique» ?
L’opposition au Président Macky Sall semble se tromper d’enjeux. Elle semble mal apprécier la maturité politique des Sénégalais, qui sont conscients de la force de leurs votes et choisissent de s’exprimer à des échéances régulières et ne sauraient s’associer à des actions qui voudraient bousculer le calendrier institutionnel du pays, ou provoquer un mode de dévolution du pouvoir autre que par la voie des urnes. Le 19 avril 2018, les populations sénégalaises ont démontré, à ceux qui l’ignoraient encore, qu’elles ne se laissent plus embarquer dans des aventures à la petite semaine. Les opposants, qui sont courroucés de n’avoir pas pu mobiliser les foules de citoyens, se sont-ils demandés si les populations sénégalaises n’ont pas fini par prendre conscience d’avoir toujours été les dindons de la farce. Qui a vu dans les rangs des manifestants les épouses et enfants de ces leaders politiques ? Eux-mêmes prennent le soin de ne pas aller à la «castagne» avec les Forces de l’ordre et s’aménagent des moyens pour pouvoir décamper à la première charge. On a vu dans les réseaux sociaux, le sprint à la Usain Bolt d’un Abdoul Mbaye. On comprend bien les raisons pour lesquelles il ne faisait pas partie du lot des personnes arrêtées. On a aussi vu une photo circuler dans les réseaux sociaux, celle d’un Mamadou Diop Decroix, attablé dans un Fast food. Rien ne prouve l’authenticité de la photo ou même si elle avait été prise au moment où l’opposition cherchait à mettre le feu dans les rues de Dakar. C’est peut-être cette photo qui explique que l’ami Decroix n’a pas été vu par les forces de sécurité. Par exemple, un Karim Wade peut bien rester dans son palais douillet de Doha et envoyer de l’argent pour mobiliser des marcheurs. Il peut être assuré de ne pas inhaler les gaz lacrymogènes de la police ou de recevoir le moindre coup de matraque.
Voilà par exemple Abdoul Mbaye qui n’arrive pas encore à obtenir 8000 voix à des élections nationales (sa coalition Joyyanti avait récolté quelque 7500 voix, lors des dernières élections législatives), qui croit qu’il peut forcer le destin pour déloger le régime de Macky Sall qui, est-il besoin de le rappeler, avait été élu par plus de 65% des Sénégalais. Voilà que le même Abdoul Mbaye, gagné par le désespoir, décida le 19 avril 2018, de chercher à jeter de l’huile sur le feu, à inventer la mort d’un manifestant. Il serait poursuivi pour diffusion de fausses nouvelles, appel à l’insurrection ou discrédit sur les institutions publiques, que d’aucuns crieraient à la traque d’un opposant ! N’importe quel journaliste qui serait auteur d’une boulette aussi monumentale, aurait maille à partir avec la justice. Sans doute que cet ancien Premier ministre, qui manifestement n’arrive pas à dépasser son aigreur d’avoir été limogé par le Président Sall, souhaitait et espérait même, qu’il y eût mort de manifestants, afin que le discrédit soit jeté sur le régime de Macky Sall. C’est le lieu de souligner le professionnalisme et le sens de la retenue des forces de sécurité qui ont réussi, sans bavure aucune, à contenir des manifestants décidés et déterminés à en découdre. Le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, devrait être félicité pour cette bonne gestion de cette situation lourde de tensions. Et pour en finir avec Abdoul Mbaye, chez lui, c’est le déni permanent. Pour Abdoul Mbaye, la faute est toujours à d’autres. Après avoir annoncé la fausse mort d’un manifestant, il vient de se dédire en affirmant avoir été piégé par un esprit malfaisant. Cette tactique n’étonne pas de lui. Premier ministre, il avait librement signé des contrats pétroliers, et après son départ du gouvernement, il a osé dire aux Sénégalais qu’il avait été trompé quand il apposait sa signature au bas de ces contrats.
L’opposition, qui avait surestimé ses forces, s’est rendue à l’évidence qu’elle n’a pas réussi à soulever la rue, mais a cherché à faire de l’obstruction à l’Assemblée nationale. Un spectacle pitoyable a été servi aux Sénégalais avec des actions puériles que ces mêmes députés ne devraient pas tolérer de leurs propres enfants. Nous exhortions déjà, dans une chronique en date du 10 août 2015, les hommes politiques sénégalais «à mériter de nous gouverner». Le comportement des parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, au sein de l’Hémicycle, le jeudi 19 avril 2018, a fini de convaincre que ces gens ne sont pas dignes d’être nos «honorables» représentants.
Quand la Société civile se fourvoie…
Les organisations de la Société civile sénégalaise doivent véritablement se remettre en cause, après avoir essuyé, aux côtés des opposants, un aussi cinglant revers infligé par les populations. C’est peut-être de bon ton de se montrer critique, voire même hostile, à l’égard d’un pouvoir politique en place. Mais il apparaît absurde que les organisations de la Société civile s’engagent, sans discernement, on peut dire de manière aveugle, à soutenir toute revendication ou tout mot d’ordre allant à l’encontre de la position du gouvernement. Chacun cherche une certaine légitimité populaire, estimant devoir être contre tout, quitte même à se mettre à hurler avec les loups. Il aurait été plus conséquent que les leaders de la Société civile eurent pris leur courage à deux mains pour dire aux responsables de l’opposition que leur attitude, qui consiste à refuser tout dialogue avec le pouvoir sur cette question, les menait tout droit dans le mur. S’il n’y pas eu de dialogue, c’est parce que l’opposition n’en a pas voulu. Le Président Macky Sall a, plus d’une fois, indiqué, à qui voulait l’entendre, son ouverture au dialogue avec l’opposition politique, mais que cette derrière trouvait toujours des arguties pour refuser la main tendue. Nous le disions la semaine dernière dans ces mêmes colonnes, s’il n’y a pas eu de dialogue et de concertation pour trouver un consensus sur cette affaire de parrainage des candidatures à l’élection du président de la République, c’est simplement parce que l’opposition avait refusé systématiquement le dialogue. «Pour dialoguer, il faut être deux.» Il apparaît inacceptable que ces leaders de la Société civile qui avaient entrepris des démarches pour rapprocher les différentes parties, n’ont pas voulu situer les responsabilités. Plus grave, ils avaient poussé la complaisance jusqu’à se joindre aux manifestants. Cette attitude révèle bien qu’ils manquent d’objectivité dans leur démarche. Comment peut-on comprendre que les représentants de la Société civile qui avaient rencontré le Président Sall et qui, à l’issue de leur audience, saluaient l’esprit d’ouverture du chef de l’Etat, ont pu mettre la responsabilité d’une éventuelle confrontation le 19 avril 2018 sur les seules épaules du gouvernement. La Société civile a fini par appeler à manifester contre le pouvoir. Jusqu’où les démarches de faiseurs de paix ne dissimulaient pas des agendas personnels, peut-on alors se demander ? Ironie de l’histoire, de nombreuses personnalités de la Société civile se plaignaient naguère, des dispositions des lois électorales qui exigeaient un parrainage pour seulement candidatures indépendantes aux élections nationales, alors qu’il suffisait d’un simple récépissé d’un parti politique, fut-il un «parti-télécentre ou parti cabine-téléphonique» (quolibets moqueurs à l’endroit de formations politiques dépourvues de représentativité). Les lois adoptées le 19 avril 2018 donnent satisfaction à une telle revendication, en décidant d’une généralisation du parrainage à tous les candidats à l’élection présidentielle. C’est, on peut le dire, un moyen de restaurer l’égalité entre les candidats.
En tout cas, cet échec et ce désaveu infligés par les populations aux marcheurs du 19 avril 2018, constituent aussi un camouflet pour les organisations de la Société civile qui n’avaient pas su rester cohérentes.
Le syndrome Hillary Clinton
Il n’en demeure pas moins que le camp du Président Sall ne devrait pas se montrer trop euphorique. Certes, l’opposition n’a pas pu mobiliser comme elle l’aurait souhaité, mais il ne faudrait pas se cacher derrière son petit doigt pour ne pas regarder la situation d’un œil lucide. Les populations peuvent bien avoir choisi de ne pas aller marcher et donc de braver les foudres de la police, mais auraient-elles bien pu se dire qu’elles ont une arme fatale, à savoir leur bulletin de vote, qu’elles utiliseront le moment opportun, c’est-à-dire le jour du vote. Les Sénégalais ne devraient pas manquer d’avoir des griefs contre le régime du Président Macky Sall, mais ils semblent s’être définitivement faits à l’idée que les grandes décisions qui inversent la vie de la Nation sénégalaise se font les jours de scrutin. Il faudrait donc bien se garder de toute tentation de considérer que le refus des populations de participer à la marche de l’opposition constitue un «blanc-seing» pour le Président Macky Sall. Il y a des victoires dont il faut savoir apprendre, après les avoir savourées.Il convient d’éviter le syndrome Hillary Clinton, c’est-à-dire, la mauvaise surprise d’une élection annoncée comme déjà gagnée.
Madiambal Diagne
lequotidien.sn