Les Tunisiens noirs « victimes collatérales » de la campagne anti-migrants

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SENTV : « Dégage, que fais-tu encore ici »: la jeune Nebras se sent mal à l’aise comme bon nombre de Tunisiens noirs après qu’un discours incendiaire du président tunisien Kais Saied contre les migrants illégaux subsahariens a entraîné des agressions racistes.

Depuis ses propos le 21 février dénonçant l’arrivée de « hordes » de clandestins et un complot pour « changer la composition démographique » du pays, des exactions ont été recensées à l’encontre de ressortissants d’Afrique subsaharienne, dont des centaines ont été rapatriés par leurs ambassades.

Nebras, 26 ans, une diplômée actuellement serveuse, dit avoir « senti davantage de racisme » qui « se manifeste sans que les gens ne soient inquiétés ni poursuivis ».

« Après le discours, j’ai remarqué que les Noirs de Tunisie avaient aussi la peur au ventre », assure Saadia Mosbah, présidente de l’association anti-raciste Mnemty, évoquant « cinq ou six agressions de Tunisiens noirs ».

Outre une tempête de haine en ligne, cette ex-hôtesse de l’air de 63 ans dont le combat a débouché sur une loi anti-discrimination en 2018, a fait l’objet elle aussi d’invectives en pleine rue telles que « retourne chez toi ».

Sa réaction a été la solidarité avec les migrants subsahariens dont un grand nombre (sur plus de 21.000 recensés officiellement) se sont retrouvés privés de travail et logement, en apportant des produits de première nécessité aux plus démunis d’entre eux.

« Tunisiens à part entière »

Selon la militante, le racisme « plus ou moins caché » en Tunisie est brusquement « remonté à la surface alors que je disais toujours que l’Etat tunisien n’était ni raciste ni ségrégationniste ».

Le discours de M. Saied a été « comme un feu vert du pouvoir politique aux racistes », ajoute-t-elle, étonnée de reconnaître parmi eux « des gens de l’élite intellectuelle, des personnes éclairées ».

Estimés à entre 10 et 15% d’une population totale de près de 12 millions, les Tunisiens noirs, en majorité descendants d’esclaves, se concentrent dans le sud du pays.

Et « même si leur condition sociale est hétérogène, la majorité habite dans des régions défavorisées et appartient aux couches les plus pauvres », a écrit la chercheuse Maha Abdelhamid pour l’institut EuroMesco en août 2018.

« Les Noirs de Tunisie sont une victime collatérale du discours du président qui ne visait pas la peau noire, mais les sans-papiers », souligne auprès de l’AFP l’anthropologue Stéphanie Pouessel.

Ils subissaient déjà « un racisme latent mais régulé, un racisme de tous les jours, avec aussi la difficulté d’accéder à des postes supérieurs », dit-elle.

Après « la bombe » du président, beaucoup de Tunisiens noirs sont restés silencieux car ils « ne veulent pas être rattachés à une question (migratoire) qui les ramènerait à une condition d’étrangers dans leur pays alors qu’ils luttent depuis toujours pour être considérés comme des Tunisiens à part entière », selon la chercheuse.

« Afrique née en moi »

L’ancien capitaine noir de l’équipe nationale de football de Tunisie, Radhi Jaidi, s’est lui exprimé par un tweet de solidarité avec les Africains subsahariens: « Je suis Africain non pas parce que je suis né en Afrique mais parce que l’Afrique est née en moi ».

« Ca m’a énervé que des individus prennent l’initiative de faire le travail du gouvernement contre l’immigration illégale avec agressivité et en dehors de la légalité », déclare à l’AFP l’ancien défenseur, joint par téléphone en Belgique où il fait partie du staff technique du Cercle Bruges.

« Mon post visait à demander le respect des droits » des migrants, ajoute-t-il, déplorant que les agressions aient « sali l’image de la Tunisie », dont il est « fier d’avoir porté le drapeau 105 fois » à l’international.

Par ailleurs, « il faut se pencher sérieusement sur l’intégration des noirs tunisiens. C’est un sujet qui traîne depuis des années sans qu’on voit une vraie initiative » », estime-t-il.

Il espérait que son tweet allait être imité par d’autres célébrités tunisiennes mais constate qu’à part la star du tennis Ons Jabeur, le mouvement n’a pas pris.

Malgré les récents évènements, il veut continuer à vanter à l’étranger une « Tunisie pays de liberté, avec son sens de l’accueil, sa variété ».

Mais il redoute leur impact durable dans le reste de l’Afrique, évoquant le « geste très politique » des joueurs de l’équipe de moins de 20 ans du Sénégal qui ont célébré récemment une victoire contre la Tunisie en montrant leur peau noire.

AFP

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