L’Institut Pasteur développe trois vaccins contre le coronavirus

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SENTV : L’Institut Pasteur travaille depuis le mois de janvier sur trois projets de vaccin contre le Covid-19. Le premier dérive du vaccin contre la rougeole dont on aura modifié le patrimoine génétique. Le second reprend le même principe, sauf qu’il s’agit d’utiliser comme vecteur un vaccin de la famille des lentivirus. Enfin, la troisième piste – très différente et très innovante – consiste à utiliser une molécule ADN capable de pénétrer dans nos cellules pour les amener à produire une protéine du nouveau coronavirus. Christophe d’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur, détaille ces trois stratégies vaccinales prometteuses.

Le candidat-vaccin dérivé du vaccin contre la rougeole
Les chercheurs de l’Institut Pasteur ont eu l’idée d’utiliser le virus atténué de la rougeole (celui qui sert normalement à vacciner contre cette maladie) et de le modifier génétiquement. Schématiquement, ils ont inséré dans son patrimoine génétique une séquence d’ADN qui correspond à la région du génome du SARS-CoV2 qui code pour la protéine Spike du coronavirus. Cette protéine Spike (appelée aussi protéine S) est la clé qui permet au nouveau coronavirus de pénétrer dans les cellules humaines. C’est aussi cette protéine qui – lorsqu’elle se combine avec deux de ses semblables – forme les spicules visibles à la surface du virus, qui lui confèrent cet aspect en forme de « couronne ». Grâce à cette modification génétique, on se retrouve donc avec un virus atténué de la rougeole contenant en plus une protéine Spike du SARS-CoV2.

Ce virus recombinant (dont l’ADN a été recombiné) est censé se répliquer dans l’organisme et produire la protéine du coronavirus qui sera théoriquement reconnue – et combattue – par notre système immunitaire. Cette injection doit entraîner la production d’anticorps neutralisants, c’est-à-dire d’anticorps dirigés contre la protéine Spike du coronavirus et capables de bloquer son entrée dans les cellules.

Ce vaccin « coronavirus » dérivé du vaccin « rougeole » a déjà fait l’objet de phases pré-cliniques. Il a donc été testé sur des modèles animaux afin d’évaluer sa capacité à les protéger contre le SARS-CoV2. Pour l’instant, les chercheurs ont pu montrer que ce candidat vaccin générait bien une production d’anticorps dirigés contre la protéine Spike. Ces premiers résultats encourageants ont amené le laboratoire à tester le futur vaccin sur des hommes.

Un protocole a été mis en place, détaille Christophe d’Enfert, le directeur scientifique de l’Institut Pasteur : « Depuis la fin du mois d’août, on démarre un essai clinique de phase 1 – dont l’objectif est d’évaluer l’innocuité du vaccin (l’absence d’effets secondaires lorsqu’on l’utilise) et sa capacité à induire chez l’homme une réponse immunitaire » . Pour l’instant, il s’agit donc de vacciner d’abord six personnes, que l’on nomme des « sentinelles », précise Christophe d’Enfert. Si ces premiers volontaires « ne rencontrent aucun effet secondaire, alors le protocole prévoit d’augmenter le nombre de personnes à 90 au total. »
Six volontaires « sentinelles »
Difficile de se prononcer plus avant sur le temps qu’il faudra attendre avant d’avoir les premiers résultats. Christophe d’Enfert accepte de donner les grandes lignes de l’essai, mais ne peut fournir de détails sur l’état exact des recherches. Les premières « sentinelles » vont être suivies pendant une année entière, afin d’examiner si elles ne développent pas d’effets secondaires sur le long terme. Et afin de mesurer également combien de temps leurs anticorps semblent efficaces. Mais bien avant la fin de cette période, les scientifiques devraient lancer la phase 2 de l’essai clinique.

Cette phase sera pilotée par un partenaire de l’Institut Pasteur. Il s’agit de la société de biotechnologie Thémis, une société autrichienne avec laquelle Pasteur a déjà créé des candidats vaccins contre trois autres maladies émergeantes. Ces vaccins là sont aussi développés à partir de la plateforme vaccinale polyvalente basée sur le virus de la rougeole. L’un d’entre eux, le vaccin contre le chikungunya « est en essai clinique de phase 3 », se félicite Christophe d’Enfert, avant de préciser :

La société Thémis a été rachetée récemment par le groupe MSD. Même si nous pilotons cet essai clinique de phase 1 en France et en Belgique, les essais cliniques de phase 2 et 3 seront sous la responsabilité de MSD.

Sans vouloir trop s’engager sur des délais, qui sont donc du ressort de son partenaire, Christophe d’Enfert estime néanmoins que avant la fin de l’année, il pourrait y avoir de premières indications intéressantes :

On peut estimer, étant donné la nature du protocole de l’essai clinique de phase 1, que d’ici fin novembre on aura suffisamment de résultats pour réfléchir à la mise en oeuvre d’un essai clinique de phase 2. Cela ne peut pas être avant car le protocole prévoit deux immunisations successives.

Concrètement, cela veut dire que les 6 personnes sentinelles se sont vues (ou vont se voir) injecter deux fois ce candidat vaccin. Or, « Il faut attendre un mois après la deuxième immunisation pour avoir des résultats sur l’immunogénicité du vaccin », autrement dit sa capacité à produire des antigènes efficaces contre le SARS-CoV-2.

On sait en général à propos d’autres candidats vaccins, conclut le professeur d’Enfert, que les essais cliniques élargis commencent la plupart du temps lorsque l’on a « des éléments relativement solides sur l’innocuité du vaccin et des résultats sur son caractère immunogène », sa capacité à induire une réponse immunitaire. Mais ces décisions seront donc prises par MSD et les futurs essais ne seront plus pilotés depuis la France. « Si le vaccin obtient une autorisation de mise sur le marché, MSD s’occupera de la commercialisation de ce vaccin. »
Un lentivirus modifié génétiquement
La deuxième piste sur laquelle travaille l’Institut Pasteur utilise une technique tout à fait similaire à celle développée à partir du virus de la rougeole. Seulement cette fois, le vecteur viral utilisé est un lentivirus. Ce sont des virus lents, qui ont une très longue période d’incubation avant de manifester leur pouvoir pathogène sur les cellules, comme l’explique un article très synthétique du site Futura-Science. Ils ont aussi la particularité de tuer les cellules qu’ils infectent. « Par exemple, le VIH fait partie de la famille des lentivirus », précise Christophe d’Enfert.

Ce nouveau candidat-vaccin a lui aussi été modifié génétiquement, comme dans le cas de la rougeole, pour « servir de support aux protéines du coronavirus », précisément à la célèbre protéine Spike. Lors de ces travaux, ce lentivirus a aussi été rendu inoffensif. Pour le premier candidat vaccin dont nous avons parlé, le vecteur rougeole est atténué, détaille Christophe d’Enfert, « c’est-à-dire qu’il est capable de se multiplier mais il n’est pas capable de causer une maladie ». Ici, dans le cas du lentivirus, le « vecteur viral non réplicatif » utilisé permet d’apporter à l’organisme un virus qui ne pourra pas se multiplier s’il entre dans nos cellules humaines. Ce candidat vaccin va donc se comporter un peu comme un « cheval de Troie », capable d’apporter des protéines qui stimuleront la réponse immunitaire des personnes vaccinées. Mais un cheval de Troie incapable d’attaquer lui-même notre organisme.

Le développement de ce candidat vaccin en est encore au stade pré-clinique. Il n’a donc pas été testé chez l’homme. Mais les premiers résultats semblent très prometteurs. L’équipe qui mène ces recherches appartient au laboratoire commun Pasteur-TheraVectys, dirigé par Pierre Charneau, lui-même chercheur à l’Institut Pasteur. Ses travaux ont donc montré que les souris une fois vaccinées développent une réponse immunitaire particulièrement forte. « Lorsqu’on fait une première injection de ce vaccin et ensuite un rappel par spray nasal, on a une excellente protection de l’infection par SARS-CoV-2 dans un modèle murin ou dans un modèle hamster », souligne Christophe d’Enfert, le directeur scientifique de l’Institut Pasteur :

C’est extrêmement encourageant parce que cela suggère que ce vaccin pourrait être utilisé avec une formulation en spray, plutôt que par voie injectable. Au moins pour le rappel.

Sous forme de spray nasal, le candidat vaccin paraît plus efficace
Dans un article paru le 4 juillet dans la revue BioRxvi, l’équipe de Pierre Charneau montre effectivement que le candidat vaccin en développement génère une production d’anticorps particulièrement efficace quand il passe directement par le nez. « Un vaccin contre le coronavirus efficace est celui qui permet d’amener la protection vaccinale à la porte d’entrée du virus, à savoir les voies respiratoires. », précise le responsable de l’unité de virologie moléculaire de l’Institut Pasteur, « les anticorps neutralisants présents dans le sang ne participent finalement que d’une façon marginale à la protection. Notre candidat vaccin réduit d’une façon drastique la charge virale dans les poumons (d’un facteur 100 000) », ajoute Pierre Charneau dans un article paru sur le site internet de l’Institut.

Pour bien comprendre ce qu’il se passe à ce moment là dans l’organisme, il est intéressant de se pencher sur un mécanisme de la réponse immunitaire face au Covid-19, qui a été assez peu étudié jusqu’ici. Directeur du département d’immunologie biologique de la Pitié-Salpêtrière, le professeur Guy Gorochov a créé avec d’autres collègues de l’AP-HP une bio-banque qui archive des milliers d’échantillons sanguins de malades atteints du Covid-19. Ces données, mises à la disposition de la communauté scientifique, sont d’autant plus précieuses que les patients « sont prélevés plusieurs fois, afin d’avoir des données sur l’évolution de la maladie », précise le chercheur dans un entretien qu’il a accordé à Sorbonne Université, la faculté de médecine où il est aussi Professeur. En analysant les données de cette bio-banque, COVIDef, l’équipe du professeur Gorochov a pu identifier les types d’anticorps qui sont les plus efficaces contre le nouveau coronavirus.

« Dans l’organisme, nous avons plusieurs types d’anticorps dont les IgG (immunoglobulines G) et les IgA. Si les premiers sont dominants dans le sérum, les IgA se retrouvent surtout dans la salive, le lait maternel, les larmes et les sécrétions respiratoires et gastriques. », développe Guy Gorochov dans son article, « Produits au niveau du système immunitaire muqueux, les IgA nous protègent contre les infections des muqueuses respiratoires et gastro-intestinales ». Or, lorsque des médecins vaccinent un patient, en lui piquant le bras, par exemple et en procédant donc à une injection intra-musculaire, ils induisent principalement des anticorps IgG, ceux qui s’avèrent moins efficaces pour protéger contre des maladies respiratoires, donc contre le Covid-19.

Cette étude à laquelle il a participé, a donc inspiré Pierre Charneau et son équipe de l’Institut Pasteur et de TheraVectys. Elle a conçu une nouvelle stratégie vaccinale qui passe par une injection puis un spray nasal, de manière à mettre le candidat vaccin directement en contact avec les muqueuses. Et sans surprise, les chercheurs ont constaté que la réponse immunitaire des animaux était bien plus forte que lors de deux injections : « Ces travaux introduisent la notion importante que l’activité de neutralisation mesurée dans le sérum sanguin n’est probablement pas corrélée au niveau de protection mais plutôt que la protection vaccinale contre le SARS-CoV-2 nécessite une immunité spécifique, et notamment des anticorps IgA, au niveau de la porte d’entrée du virus, à savoir les voies respiratoires supérieures », conclut sur le site de l’Institut Pasteur Laleh Majlessi, co-auteure de l’étude et directrice de recherche au sein du laboratoire commun Pasteur-TheraVectys.

Reste maintenant à éprouver ce nouveau candidat-vaccin sur l’homme et à lancer un essai clinique de phase 1. Pour l’instant, Christophe d’Enfert rappelle que c’est à l’équipe du professeur Charneau de prendre cette décision et se refuse à donner un calendrier.
Un vaccin à ADN très novateur
La troisième stratégie que développe l’Institut Pasteur est totalement différente puisqu’il s’agit d’un modèle de vaccination ADN. Une technique sur laquelle les chercheurs ont commencé à travailler il y a une vingtaine d’années mais qui n’a encore jamais obtenu d’autorisation de mise sur le marché. Les seuls vaccins ADN ou ARN qui existent sont réservés aux animaux et seuls 4 vaccins de ce type sont commercialisés aujourd’hui. L’un d’entre eux est par exemple réservé aux saumons d’élevage qui doivent être protégés contre une maladie qui attaque leur pancréas, comme l’explique un long article du site Industrie Techno.

Cette stratégie vaccinale n’en est pas mois très novatrice et plusieurs entreprises, comme la célèbre biotech Moderna, aux Etats-Unis, misent sur ce type de vaccins.

Christophe d’Enfert, le directeur scientifique de l’Institut Pasteur résume :

Le principe (de cette vaccination) est de faire entrer une molécule d’ADN dans des cellules humaines. Les cellules sont situées au site de l’injection vont reconnaître la molécule d’ADN, elles vont ensuite la « transcrire » en une molécule d’ARN et produire la protéine Spike du virus SARS-CoV-2, à partir de cette molécule d’ARN.

Ensuite, le mécanisme devient plus classique, on espère que le système immunitaire reconnaîtra cette protéine Spike ennemie et développera des anticorps capables de la neutraliser.

Le schéma est totalement différent d’un vaccin classique, souligne encore le professeur d’Enfert : « Nos cellules vont être finalement l’usine qui va produire la protéine du nouveau coronavirus, qui sera ensuite reconnue par le système immunitaire. » Dans le cas de Moderna, les scientifiques utilisent non pas un fragment d’ADN du SARS-CoV-2 mais directement l’ARN messager. Autrement dit le « maillon manquant entre l’ADN et la protéine Spike » précise Christophe d’Enfert. L’ARN messager est effectivement comme une copie d’une portion de l’ADN qui transmet un message permettant aux cellules de fabriquer des protéines. En l’occurrence, l’objectif est encore et toujours de fabriquer la fameuse protéine Spike qui permet au nouveau coronavirus de se fixer sur un récepteur de nos cellules humaines puis de pénétrer à l’intérieur et de s’y multiplier.

Pour l’instant, à l’Institut Pasteur, les expériences sur les modèles animaux semblent très prometteuses, mais les chercheurs ne se sont pas encore lancés dans une phase clinique.

« Effectivement je dirais qu’on n’est peut-être moins avancés sur cette stratégie de vaccination que d’autres acteurs, comme Moderna, CureVac ou BioNTch Biontech », admet Christophe d’Enfert, « et on s’interroge donc sur : faut-il ou pas s’engager dans des phases cliniques avec ce candidat vaccin à ADN ? ».

Il est vrai que le développement de ce type de vaccins est très coûteux ajoute le directeur scientifique de l’Institut Pasteur. A titre d’exemple, l’Allemagne vient d’allouer tout récemment 627 millions d’euros aux groupes BioNTech et CureVac afin de financer leurs recherches déjà bien avancées. Et Moderna a lancé au mois d’août un essai clinique de phase 3 sur 30 000 volontaires.

La Fondation, dont un tiers du budget général provient de la générosité des donateurs, s’interroge donc sur l’opportunité de développer un vaccin à ADN que d’autres sont aussi en passe de savoir réaliser. Christophe d’Enfert parle de « réalisme ».

Le chemin vers ce graal vaccinal n’est cependant pas encore achevé, conclut le directeur scientifique de l’Institut :

Les vaccins à ADN et ARN posent de vraies questions en termes de sécurité parce qu’on n’a pas forcément le même recul que celui que l’on peut avoir avec des vaccins d’un autre type.

Christophe d’Enfert prend l’exemple du vaccin rougeole que Pasteur sait fabriquer depuis des années : « Même si des vaccins recombinants dérivés du vaccin rougeole n’ont pas encore atteint le marché, on sait que le vaccin rougeole a été utilisé sur un nombre très important d’enfants, sans effets secondaires majeurs, avec une efficacité très importante. Ce recul là, on ne l’a pas encore sur la vaccination ADN, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas aller de l’avant. »

En prenant bien sûr le plus de précautions possibles pour s’assurer que ce type de vaccination n’est pas associé à des problèmes d’effets secondaires.

source: .franceculture.fr

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