Mahomet est la négation de Muhammad comme soumission l’est pour Islam. Le discours sur l’Islam requiert une attention particulière aux concepts, à leurs sens étymologiques, à leurs usages dans les textes fondateurs ainsi qu’à leurs développements. Le simple recours aux traductions de vulgarisation non savantes, induit lourdement en erreur fut-ce pour une première approche superficielle. Notons que cette remarque est aussi valable pour d’autres approches et pour d’autres conceptions philosophiques.
C’est dans cette optique que nous allons tenter de rendre au terme Islâm le ou les sens qu’il déploie pour exprimer une conception et une attitude à la fois.
Le mot Islam, Al-islâm en arabe, a comme racine le verbe salima qui signifie au sens premier, non altéré, préservé en l’état premier, sain. D’où Al-salâm[1] l’expression de la non-hostilité et de la paix « lorsqu’ils sont interloqués par les ignorants, ils disent salâmâ[2] ». Al-islâmdoncdétermine un étatde paix et l’expression de non-hostilité envers autrui. Ainsi, Le verbe aslamaqui exprime l’action de celui qui rentre en Islamexprime d’abord un état d’être, celui d’êtreentier, en paix avec soi-même. Ensuite celui dont les personnes ne redoutent ni son hostilité verbale ni physique[3]. Et principalement, celui qui, retrouvant la voix de sa nature première[4]fait acte volontaire d’adhésion à la voie qui mène vers Al-salâm, Allah le Sain.
L’idée de soumission pour désigner l’Islam est l’expression d’une variante retenue par certains commentateurs et qui reflète plus l’idéologie dominante de leur époque que le sens étymologique du terme ou l’usage conceptuel coranique et prophétique.
Il convient ici de rappeler que dans le Coran aussi bien que dans les traditions du Prophète, les trois termes Islâm, Imân et Ihsân désignent tous les trois la voie de l’Islam. Le mot Al-islâma été retenu comme générique, car il se rapporte à la base commune. Al-imân étant un degré avancé dans l’approfondissement spirituel et moral, alors qu’Al-ihsân représente une étape supérieure au niveau métaphysique.
Respectivement, Imân et Ihsân signifientavoir confiance en ou faire acte de foi et parfaire ou agir avec excellence. La soumission ne peut être retenue pour qualifier le terme Islam, car elle n’embrasse pas ses trois dimensions.
Un autre terme fort utilisé pour désigner le musulman dans les usages et dans les textes scripturaires est celui de ‘Abd, souvent traduit par serviteur ou esclave. Ainsi, ‘Abd-Allah donne esclave d’Allah ce qui renforce l’idée de soumission comme attitude du musulman. Alors que la racine ‘Abbada est un verbe qui signifie aplanir, rendre droit.
Dès la première moitié du IIe siècle de l’hégire[5], Al-Mo’tazila mouvement qui prône que l’usage de la raison est indissociable de l’intelligibilité du texte sacré ainsi que pour distinguer le message coranique des doctrines présentes au sein de la société musulmane.
« Leur doctrine est centrée sur deux principes : à l’égard de Dieu, principe de la transcendance et de l’unité absolue ; à l’égard de l’homme, principe de la liberté individuelle entraînant la responsabilité immédiate de nos actes »[6]. La justice divine et la responsabilité individuelle fondent le principe de la liberté humaine, dès lors, c’est à travers ce prisme qu’au IIIe siècle de l’hégire, le célèbre traditionniste Al-Tirmidhi distingue entre al-ibâda et al-‘ubûdia ou al-‘ubûda. Al-‘ubûdiapour lui est l’état originel de la créature étant dans la dépendance et le besoin vis-à-vis de son créateur. Al-‘ubûdiadonc est l’état de la créature qui a pour correspond la seigneurie divine, al-‘ubûdia vsseigneurie d’Allah.
Également en tant que cheminement spirituel d’un point de vue soufi, al-‘ubûdiaserait la prise de conscience totale, de la pauvreté absolue de l’humain envers Allah l’Autosuffisant alors qu’ al-‘ibâdaserait l’expression de cette distinction et cette dépendance. Aussi, al-‘ibâdase nourrit de cette prise de conscience faute de quoi elle n’est qu’apparence sans vie ni souffle.[7]
Plus proche de nous, le contemporain et emblématique Nasr Hamid Abu Zayd[8] dans son livreLe discours et l’hermétique,montre sans ambiguïté la prolifération de textes scripturaires affirmant le principe globalde liberté dans le projet islamique. La liberté individuelle dit-il, ne cesse pas en s’engagent dans l’Islam, le musulman demeure libre et non rendu esclave démuni de sa liberté et de son choix ce qui est l’essence même de son humanité.
« Ceux qui font croire aux gens cela, font l’amalgame entre le concept antéislamique al-‘ubûdia, lié à l’organisation socialeet esclavagiste d’un coté, et le concept d’al-‘abâdiafaçonné pour décrire la relation Humain-Allah par le Coran. Ceux-ci ignorent que le pluriel de ‘abd est ‘abîd utilisé dans le Coran uniquement pour exempter Allah de l’injustice : III/182, VIII/51, XXII/10, XLI/46, L/29. Alors que l’usage coranique récurrent est ‘ibâd et non pas ‘abîd.»[9]
Faire foi ou avoir foi est souvent exprimé par l’affirmatif dans les religions. À notre connaissance, l’Islam seul se distingue par une attestation qui s’annonce d’abord et avant tout comme une négation : Lâ, non. Ce nonqui traduit philosophiquement un double mouvement incessant, alternant la négation lâ et l’affirmation illâ. Ce mouvement anime une dialectique de la pensée, dans laquelle le croire n’est pas une simple installation confortable dans un dogme inerte. Ce nonencore, est la condition sine qua non pour attester l’Unité Absolue et absolument inatteignable.
Savoir dire nonc’est avant tout, savoir refuser la soumission.
Savoir dire nonc’est ce moment de recul pour s’approprier l’engagement. Savoir dire nonc’est aussi dire non, islâm n’est pas soumission.
[1]Nom d’Allah dans le Coran : LIX/23.
[2]Coran : XXV/63.
[3]« le muslim est celui dont les personnes restent saines de sa langue et de sa main » hadith.
[4]« Tout nouveau-né, naît selon la fitra… » hadith
[5]Wâsil ibn ‘Atâ’ 131/748, considérer comme fondateur du mouvement.
[6]Corbin Henri, Histoire de la philosophie islamique,Gallimard, 1986, p.158.
[7]Le livre des nuances ou de l’impossibilité́ de la synonymie. Kitâb al-mufâraqât, dans : kiâb khathm al-awlia, Othmân I. Yahyâ, I.C.B. 1965, p. 120.
[8](1949-2010) dont l’audace lui a valu l’exil de son pays en 1990, incompris et combattu par des esprits étroits ainsi que l’establishment académique en Égypte. Il a appliqué au Coran une étude littéraire et herméneutique dans ses travaux, condition nécessaire selon lui pour comprendre actuellement le texte coranique.
[9]Al-khitâb wa al-ta’wîl,2000, Beyrouth et Casablanca, p.204-205.
par Saïd Moustarhim