Niger: «L’attaque du camp a été minutieusement organisée»

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SENTV.info -(Dakar) L’armée du Niger vient de subir l’attaque terroriste la plus meurtrière depuis 2015. Plusieurs dizaines de soldats ont été tués mardi dans l’assaut du camp militaire d’Inatès, près de la frontière malienne. Les jihadistes prennent-ils le dessus ? Seidik Abba, essayiste et journaliste nigérien, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Comment expliquez-vous un bilan aussi lourd dans les rangs de l’armée nigérienne ?

Je pense que l’attaque a été minutieusement organisée par les assaillants, qui rêvaient d’une vengeance sur l’armée nigérienne, parce qu’elle était quand même venue, il y a quelques jours, au secours de son homologue du Mali, et les blessés maliens ont été ramenés au Niger, et même les victimes maliennes étaient aussi ramenées au Niger. Donc il y a cet aspect de vengeance, et ensuite l’effet de surprise a sans doute amené à ce bilan qui est un des bilans les plus lourds pour l’armée nigérienne depuis 2015. Parce que le dernier bilan aussi lourd, c’est après l’attaque qui avait été perpétrée sur l’île de Karamga au sud-est du Niger, dans le bassin du lac Tchad, où l’armée avait perdu environ 70 personnes.
Cette attaque contre le camp militaire d’Inates, près de la frontière malienne, ce n’est pas une première…

e n’est pas une première ! Il y a eu plusieurs attaques dans cette zone ; on se souvient que la prison de haute sécurité de Koutoukalé, qui est dans cette partie de la frontière nigéro-malienne, avait été attaquée justement par un groupe terroriste. Il y a chez ces groupes-là, la volonté de jouer sur l’effet de surprise quand ils attaquent Tillabéri ou Ayorou. Il y a donc la multiplication des cibles qui fait que souvent ils peuvent être amenés à déjouer la vigilance et à se faufiler pour pouvoir attaquer des villes.

Le premier coup d’éclat des jihadistes dans cette région, c’est l’attaque de Tongo Tongo. En octobre 2017, cinq militaires nigériens et quatre soldats américains sont tués. Est-ce qu’on peut parler aujourd’hui d’une montée en puissance de l’EIGS, l’État islamique au grand Sahara ?

Absolument, l’EIGS est le groupe le plus actif. Il y a trois groupes, il y a l’EIGS, il y a le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) de Iyad Ag Ghali et il y a Aqmi. Donc de tous ces trois groupes, l’EIGS est le groupe le plus important. Plusieurs sources sécuritaires redoutaient justement que, après sa défaite au Levant, le groupe État islamique se replie sur le Sahel à travers une infiltration par la filière libyenne. Et aujourd’hui, on peut justement penser que l’hypothèse d’un renforcement de l’EI, qui a été défait au Levant, prend de plus en plus forme avec ces différentes attaques.

Et quel est le profil d’Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l’EIGS ?

Le chef de l’EISG est un dissident et un héritier de Mokhtar Belmokhtar, puisque c’est lui qui avait fait la scission de El mourabitoune pour faire allégeance à l’État islamique. On se souvient que l’État islamique avait pris le temps avant d’accepter cette allégeance, donc lui, il reste encore le partisan de la manière forte. Les autres groupes jihadistes peuvent avoir des velléités éventuellement de pouvoir un jour ouvrir les discussions, mais lui il est partisan de la manière forte et c’est le même groupe qui avait, en janvier 2013, attaqué la base d’In Amenas en Algérie. Il avait à l’époque déjà pris une part active dans cette attaque très violente. Aujourd’hui, il continue.

La multiplication des attaques dans cette région des trois frontières depuis six mois, est-ce le signe que l’EIGS a pris le dessus sur les armées nationales qui sont positionnées dans cette région ?

Non, je ne le pense pas ! Je pense qu’il y a dans cette attaque, particulièrement la dernière contre le Niger, la volonté d’amener le Niger à faire un choix que le Mali a fait. Depuis la dernière attaque sanglante sur la frontière, le Mali a décidé de replier tous les postes avancés, pour qu’il y ait maintenant des garnisons importantes avec des patrouilles. Je crois que l’EIGS, sachant que le terrain lui est favorable, a la volonté aussi d’amener le Niger à cela, mais il n’y a pas un abandon de cette zone de trois frontières. Au contraire, on sait que, depuis la rencontre du 12 novembre, le déjeuner du 12 novembre à l’Elysée entre le président Macron, le président IBK, et le président Déby, il y a une décision que les forces armées tchadiennes viennent en renfort dans ce fuseau-là, dans cette zone du G5 Sahel pour renforcer les armées du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Il y a vraiment une volonté de reconquête de cette zone des trois frontières, qui est pour l’instant la zone la plus sensible et il est même annoncé que ce projet du changement du rapport de force dans cette zone de trois frontières, que ce projet soit avancé, et qu’il puisse même être concrétisé.

Oui mais si l’attaque d’Inates ce mardi a fait tant de morts chez les militaires, c’est parce que les jihadistes ont pilonné le camp à l’aide d’obus et de mortiers, les explosions de munition ont été très meurtrières. N’est-ce pas le signe que les groupes jihadistes disposent aujourd’hui d’armes lourdes qui leur permettent de faire basculer le rapport de force en leur faveur ?

Oui, aujourd’hui, il n’est pas sûr que le rapport de force soit en faveur des armées régulières au stade où nous sommes. Maintenant, la volonté, c’est d’inverser justement ce rapport de force. S’il n’y a pas un renforcement des armées nationales pour qu’elles puissent reprendre justement le dessus par rapport aux groupes jihadistes dans cette zone des trois frontières, on peut craindre qu’il y ait de nouvelles attaques de cette ampleur. C’est pour cette raison qu’il y a un besoin d’accélération de calendrier pour aider ces forces armées à monter en puissance à travers le G5 Sahel ou à travers l’accompagnement de la France, avec l’aide de la force Barkhane.

RFI

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