« Notre pays, notre pirogue, dirai-je, traverse des eaux sombres battues de courants étranges » par Waly Latsouck Faye
SENTV : Depuis l’avènement des Kounkandé de la politique, qui promettent de fendre l’océan Atlantique du développement, faisant suite à la floraison de partis-vendetta puisque non mus par une idéologie et, encore moins, par une vision mais s’accoudant sur une pure et simple frustration, le peuple souverain est balloté de gauche à droite, otage aux yeux bandés que l’on traîne par les sables mouvants d’un désert sans fin où il ne semble pas avoir une promesse de lendemain séduisant. Et on se l’affilie à tort et à travers, comme si on avait sa voix et sa volonté jusque dans les plus sombres labyrinthes d’une mégalomanie fabriquée au ciment des chimères.
Comment en est-on arrivé là ? Pour trouver une réponse, il sied de lorgner premièrement vers la démocratie, qui est en train de devenir une démocratie car c’est en s’appuyant sur ses principes de droits que certains sujets crânent jour et nuit. Ignorent-ils que le sous-vêtement, le slip du droit – osons dire le mot pas politiquement correcte – c’est la responsabilité ? Pourquoi parle-t-on toujours de droits sans jamais piper mot sur cette responsabilité qui lui donne sa raison d’être ? Peut-on réellement parler de droits bafoués lorsqu’on foule soi-même avec des pas pachydermes le plus simple brin déontologique de sa profession ? Comment une maison de télécommunication peut-elle réunir son personnel sur un plateau fait maison, au lieu de faire appel à des experts, et que ces gens, dans une tendance sans nul doute partisane, puissent systématiquement appuyer ou combattre les opinions d’invités ? Le journaliste peut, dans une démarche investigatrice recadrer la réponse de son invité ou apposer une autre perception véhiculée dans la société mais pas combattre une opinion au point de vouloir en venir aux poings. Et c’est là le problème de la démocratie, que l’on hisse pourtant sur le podium, lorsqu’elle est déposée entre les mains de professionnels laxistes, et indolents et dépourvus de toute déontologie : La démocratie, qui vise la liberté de tous, n’imposerait pas les règles précises que requiert la vie en société, et elle tendrait donc à laisser s’épanouir la licence. Elle devient alors un « bazar de constitutions » où chacun se sent libre de faire ce qu’il entend : il obéit s’il le veut bien, fait la guerre si l’envie lui prend, etc. Car « n’est-ce pas le désir insatiable de ce que la démocratie regarde comme son bien qui perd cette dernière ? C’est à dire la liberté ? En effet, dans une cité démocratique, tu entendras dire que c’est le plus beau de tous les biens, ce pourquoi un homme né libre ne saurait habiter ailleurs que dans cette cité. (…) Lorsqu’une cité démocratique, altérée de liberté, trouve dans ses chefs de mauvais échansons, elle s’enivre de ce vin pur au-delà de toute décence ; alors, si ceux qui la gouvernent ne se montrent pas tout à fait dociles et ne lui font pas large mesure de liberté, elle les châtie, les accusant d’être des criminels et des oligarques. Et ceux qui obéissent aux magistrats, elle les bafoue et les traite d’hommes serviles et sans caractère. Par contre, elle loue et honore, dans le privé comme en public, les gouvernants qui ont l’air d’être gouvernés et les gouvernés qui prennent l’air d’être gouvernants. N’est-il pas inévitable que dans une pareille cité l’esprit de liberté s’étende à tout ? Qu’il pénètre dans l’intérieur des familles, et qu’à la fin, l’anarchie gagne jusqu’aux animaux ? Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque, et l’étranger pareillement. (…) Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés ? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent ? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître. Eh bien ! c’est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie. (…) Ainsi, l’excès de liberté doit aboutir à un excès de servitude, et dans l’individu, et dans l’État. » (Platon, La République VIII, 5562 b).
Revenant aux politiques, nos Kounkandé poussent comme des champignons. Ainsi d’aucuns pensent pouvoir gérer la Cité pour avoir réussi à mettre en place une boutique ; d’autres ont voulu revisiter la marche de Kabila, Sassou Nguessou – les deux avaient réussi – ou, plus récemment, celle du maréchal Haftar sur Tripoli en Lybie : aller de localité en localité pour collecter des suivants, atterrir sur la Dakar et marcher sur le palais. Très heureusement, cette tentative, mal comprise par beaucoup de gens, a fini par un échec à l’instar du dernier des trois mousquetaires de la liste. D’autres, bien qu’ayant occupé les hautes sphères de la République ont irresponsablement flirté avec la théorie du complot lorsque des citoyens furent calcinés dans un bus suite à une attaque au cocktail Molotov (par pédantisme apprenez que ce dispositif incendiaire, utilisé pour la première fois en Espagne (1936-1939), sera repris par les Finlandais (1939) qui le baptiseront Cocktail Molotov durant la guerre d’Hiver en réponse aux déclarations du premier ministre russe Viatcheslav Molotov certifiant que l’armée soviétique ne bombardait pas la Finlande mais parachutait de la nourriture).
Mais que dire de nos acteurs de société civile, médiateurs muets devant des bavures mais sortant des lanières contre le pouvoir à tout bout de champ ? Que dire de nos afro centristes perdus le long des méandres générationnels, plutôt arrivistes qu’hommes de conviction dans la mesure où ils semblent vivre le contraire de ce qu’ils véhiculent ? A travers eux l’Afrique semble plus exposée à des coups de sabres jamais vécus de l’indignité. Ignorant quasiment tout de la Realpolitik et se nourrissant du lait empoisonné d’un puukare épidermique qui manque la dimension du caractère universel de l’Homme, ils forment le carré de ces Dégagistes et leurs alliés qui ont ouvert la porte à de délinquants disciples invétérés d’un populisme embryonnaire et ont fait insulter un procureur de la République, et à travers lui, leur propre pays qu’ils veulent traîner dans la boue et les flammes à tout prix. Pourtant, jadis, ils prônaient une fermeture totale et catégorique à tout contact avec la soi-disant France néocoloniale, bouc émissaire ou dépôt de toutes nos bévues. Leur emboîtant le pas dans la semence du vent, un allié contre nature qui se déclarait ne pas être un poltron, et être prêt à en découdre, finira par se travestir en pêcheur pour échapper aux mailles du filet : un poisson qui se pensait pêcheur ?
Voilà où nous en sommes. Reste maintenant l’avenir qui s’étale comme un couple Sahara-Namibe. Et le long de cette étendue où dansent les mirages sous la chaleur des réseaux sociaux, il est important, pour chacun d’entre nous, de semer la graine salvatrice du discernement, car de plus en plus, entre propagandes, fake news et manipulations il est facile d’écouter sans entendre et de regarder sans voir.
Waly Latsouck Faye