SENTV : Grand vainqueur du scrutin de dimanche dernier, Ousmane Sonko est maintenant au carrefour des institutions. Il peut consolider son rôle de chef d’un gouvernement en pleine mutation ou gravir une nouvelle marche en présidant l’Assemblée nationale. L’un dans l’autre, dans des élans jupitériens, il trône au faîte de sa popularité et incarne la rupture institutionnalisée. Mais sur ses épaules, reposent d’immenses espoirs…
Les électeurs ont été cohérents en plébiscitant la liste du Pastef lors du scrutin de dimanche dernier. Ils ont fait plus que confirmer leur choix de la présidentielle de mars ; ils l’ont sanctuarisé en accordant, avec panache, une puissante et fraîche majorité parlementaire aux « Patriotes » qui complètent ainsi leur dispositif de gouvernance institutionnelle mis en branle depuis huit mois maintenant. Ils ont surtout renouvelé leur confiance en un homme, Ousmane Sonko, plus que jamais au faîte de sa popularité.
Les effets de la présidentielle sont toujours là et les urnes ont de la mémoire. Les composants de la troisième alternance au sommet de l’État opèrent toujours de sorte que le leader de la coalition au pouvoir, chef du gouvernement, n’a eu qu’à paver la piste tracée depuis la présidentielle-référendum et la victoire de son candidat, comme un compactage de l’asphalte posé depuis 2014, à la naissance de ce parti aujourd’hui porté au pinacle. Les conséquences du dernier scrutin présidentiel étaient encore opératoires au cours de ces législatives, d’abord parce que le casting n’avait pas trop bougé, les mêmes leaders et les mêmes organisations, à des détails près, se faisant face.
Ensuite, parce que la campagne électorale a été le continuum de débats entamés lors de cette même présidentielle. Enfin, parce que les électeurs sont à la fois contributeurs et consommateurs des mots d’ordre d’une opinion publique nourrie à un récit disruptif, celui qui présente les pouvoirs politiques précédents –de Senghor à Macky Sall– comme coupables d’extraversion dans les priorités depuis les indépendances, d’alignement sur les intérêts de l’Occident, de détournement des ressources publiques, de toutes sortes de prédations qui justifieraient aujourd’hui le retard économique du pays et la persistance des inégalités sociales malgré ses atouts et la justesse des diagnostics établis depuis des décennies. Les électeurs sont dans une logique d’acquiescement à cette volonté de « rupture » théorisée depuis dix ans et que le nouveau pouvoir veut matérialiser. Plus qu’un vote de confirmation, c’est un plébiscite pour les « Patriotes ». Et incontestablement, donc pour Ousmane Sonko.
Les performances électorales graduelles du Pastef s’expliquent, en grande partie, par l’attrait de son leader auprès de larges franges de la population, renforcé par les perceptions des politiques publiques par les populations. Sa dénonciation des ordres établis, sa rhétorique sur la préférence nationale, son indexation de la corruption des élites comme principale cause de la faible réponse de l’État aux demandes sociales et surtout ses déboires d’opposant au pouvoir « Benno » entre 2021 et 2024 l’ont fait muter d’opposant intransigeant en messie des franges populaires, en recours pour tout dire. Mutation De mémoire d’observateur de la scène politique sénégalaise depuis la fin des années 1990 et de lecture des récits constitutifs de notre processus démocratique, jamais un acteur politique n’a été aussi adoubé que le nouvel homme fort du pays. La popularité de Sonko est sans pareille depuis sans doute les années d’opposant de Wade, à la différence que les « patriotes » diffusent un phénomène de société, ils miment leur leader, construisent des identifiants autour de sa personne, labellisent un état d’esprit.
Les inconditionnels du « Pape du Sopi » n’avaient pas tous le crâne rasé de près comme leur mentor, pas plus qu’ils ne portaient systématiquement des bretelles. Un peu plus loin dans le temps, les militants se suffisaient de reconnaissances chromatiques (Rouge Sfio, Vert Bds, Bleu Pds, Vert Ps, Marron-beige pour l’Apr). Avec Ousmane Sonko, un mot lancé à la volée, une capture vidéo d’une prise de karaté de quelques secondes, le fait de sucer des pastilles lors de ses meetings, un code vestimentaire, une barbe naissante, tout devient appropriation et sentiment d’appartenance à un idéal. Ces symboles, même anodins, renforcent une identification collective chez ses partisans. Ils agissent comme des signifiants qui véhiculent des valeurs, des idéaux ou un style de leadership auxquels les gens peuvent se retrouver. Les gestes et attitudes d’Ousmane Sonko, amplifiés par les médias et les réseaux sociaux, participent à cette construction charismatique. Tout détail devient porteur de sens et participe à son idéalisation. Sans oublier la stratégie performative de l’ancien maire de Ziguinchor dans sa communication, traitant pied à pied avec ses contradicteurs, toujours à l’initiative.
La victoire acquise, les chantiers attendent et les espoirs vivaces. De grands chantiers. De gros espoirs. Ousmane Sonko, au carrefour des institutions, incarne désormais la dualité du pouvoir : consolider son rôle de chef d’un gouvernement en pleine mutation ou gravir une nouvelle marche en présidant l’Assemblée nationale. Dans l’un ou l’autre cas, il demeure le symbole d’une rupture institutionnalisée et le visage d’une génération qui, par les urnes, redéfinit les contours du leadership politique sénégalais.
Samboudian KAMARA
Le Soleil