SENTV : Modibo Keita, Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Dioncounda Traoré, Amadou Toumani Touré, le brillant Modibo Diarra, Ibrahim Boubacar Keita, Bah Ndaw et aujourd’hui le colonel Assimi Goïta. Pourquoi tous ces hommes, malgré leur passé respectable et parfois glorieux, n’ont jusqu’ à présent pas réussi à faire du Mali une République démocratique, un État de droit stable ? Pourquoi tant d’échecs, de violence et de morts ? Comment se fait-il que notre société, nos écoles et universités produisent des hommes que nous finissons par honnir une fois qu’ils exercent le pouvoir ?
Le pouvoir en Afrique est comme un produit corrosif pour la dignité, l’éthique et la lucidité. Le drame que vit le peuple malien est loin d’être une exception, car c’est la même chose dans presque tous les pays africains. Ils sont flamboyants dans l’opposition, mais dès qu’ils accèdent au pouvoir, tout se passe comme si du plomb en fusion crevait leurs yeux et faisait fondre leur cerveau. Jadis icônes des luttes démocratiques, ils se transforment, une fois au pouvoir, en véritables bourreaux de la démocratie, et perdent du coup leur probité morale et même intellectuelle.
Je ne peux pas croire qu’ils sont tous mauvais, qu’ils n’aiment guère leur pays ; je ne peux pas non plus croire que seuls les mauvais conquièrent ou exercent le pouvoir (ce qui voudrait dire que seuls les corrompus font de la politique !). Je refuse de croire que nous ne sommes pas murs pour la démocratie. Je refuse également de penser qu’ils n’étaient pas tels que nous le croyions ! Je préfère me demander : et si la raison de cette série de déchéances était nous-mêmes ? Les gens qui accèdent au pouvoir ne sont-ils pas pervertis par nos propres turpitudes ?
Qui parmi les policiers n’a jamais fait du racket ? Quel gradé n’a jamais utilisé le carburant de l’armée en dehors du service ? Quel soldat n’a jamais « payé » pour faire partie d’une mission de maintien de la paix sous la bannière de l’ONU ? Quel imam n’a jamais puisé dans les caisses de la mosquée pour usage personnel ? Quel agent des Impôts et Domaines n’a jamais profité de sa position de pouvoir pour s’enrichir ? Quel grand cadre de société nationale n’a jamais fait du pantouflage ? Quel président de Zone, quel président du mouvement Nawétane, quel membre de fédération ne vit aux dépens du sport ? Quel membre de la société civile ou des ONG n’a jamais perçu indûment de l’argent sous forme de ristourne après achat de produits destinés aux démunis ? Quel percepteur de mairie, quel inspecteur du Trésor, qquel agent de santé, quel douanier, quel maire, quel agent de l’administration centrale ou territoriale, quel ministre, quel Président n’utilise les biens publics à des fins personnelles ? Quel journaliste n’a jamais été soudoyé pour pervertir les faits ? Quel enseignant n’a jamais distrait du matériel pédagogique ?
Tel le Minotaure qui se nourrissant de chair humaine, la politique en Afrique se nourrit de dignité humaine : elle déprave les hommes. Et de même que malgré l’ingéniosité de Dédale, les ailes en cire de son fils Icare ne les sauvèrent point définitivement (Icare vola tellement haut que ses ailes en cire fondirent sous la chaleur du soleil, ce que le précipita dans la mer), les institutions les plus évoluées ne parviennent pas à nous tirer d’affaire.
Minotaure, ce monstre en partie taureau en partie humain est en chacun d’entre nous : il nous faut sans cesse apprivoiser et éduquer la bête qui est en nous. Il faut une éducation au civisme, il faut une brigade des mœurs du travail et de la salubrité dans ce pays. La disponibilité de notre jeunesse est une richesse inexploitée. Dans chaque quartier il y a des charretiers qui assurent la collecte des ordures, et chaque famille débourse 1500 f par mois pour l’enlèvement de ses ordures. Pendant ce temps, les dirigeants des collectivités locales sont occupés à collecter de l’argent pour leur propre entretien ! Un emprunt obligataire, un eurobond, etc. sont des mécanismes possibles pour financer une telle brigade puisque les familles payent déjà chaque mois.
D’IBK je préfère retenir son action en dehors du pouvoir. Que la miséricorde divine soit la boussole qui le guidera vers sa demeure paradisiaque dans l’au-delà.
Alassane K KITANE