« Qu’est-ce qu’un artiste sinon un ‘moi’ dans plusieurs obscurs ? »

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SENTV : R. Kelly, « La tempête vient de commencer… »

Trente ans de prison pour une voix si belle, mais dans une âme aussi obscure peut-être ? En écoutant « the storm is over now » et en le mettant en rapport avec ce qui lui arrive, on ne peut manquer de penser qu’il a fait une chanson prémonitoire. Sauf que tout porte à croire qu’il s’agirait d’une prémonition inversée : il voyait le ciel et le soleil briller, il était même une étoile, mais désormais son ciel est tout noir, il est dans un tunnel. Quelle cruauté, quel destin obscur d’une fabuleuse carrière artistique !

Les artistes ne cesseront jamais de nous étonner. Qui peut percer le mystère de l’artiste serait devin. On présume que l’artiste est créateur d’œuvre, mais il est bien plus : tout artiste est un créateur de personnalités. Il en crée non seulement pour les autres qu’il peut façonner (comme Marley l’a fait pour des milliers de jeunes sénégalais), mais il crée à partir de son Moi (s) primitifs plusieurs Moi (s) inhibés. Mieux, l’artiste peut faire bien plus encore : noyer son moi véritable dans une infinité de Moi (s) factices. Chaque artiste est un univers que nous cache la beauté du monde qu’il crée pour nos sens.

Le mystère de la création artistique sera percé le jour où on réussira à entrer dans son long labyrinthe et en sortir indemne, c’est-à-dire sans tomber dans le piège de la séduction qu’est son Œuvre. Comment un tel talent a pu tomber aussi bas (les accusations pour lesquelles il a été condamné révèlent que derrière son génie se cachait un monstre) ? Nombreux sont d’ailleurs les artistes qui sombrent dans des histoires de ce genre. Mais qu’est-ce que nous cache donc l’artiste sinon un homme qui existe sous plusieurs facettes ; ou plusieurs hommes qui se cachent derrière une personnalité d’emprunt, de circonstance mondaine.

La force de l’artiste réside dans un va-et-vient incessant entre la normalité extérieure et l’anormalité intérieure. Un artiste est forcément un homme exceptionnel, car comment tant de beautés peuvent-elles sortir d’un humain sans l’exploser et le détruire ? Nietzsche (il sait de quoi parle celui-là), dans le Prologue de son fabuleux Ainsi parlait Zarathoustra, a dit des paroles énigmatiques : « Je vous le dis : il faut encore porter en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez encore un chaos en vous ». Cette formule interprétée de mille manières pourrait signifier qu’il y a, en chaque homme, et donc en chaque artiste une révolte contre l’ordre du monde, un volcan d’insatisfactions et de frustrations, un désert de bonheur et d’amour qu’il cherche tant bien que mal à éteindre ou à couver sous les cendres volatiles de son inspiration.

L’artiste est l’énigme en soi, et on comprend pourquoi on a du mal à comprendre, et sa vie et son œuvre. Ce propos de Nietzsche ressemble étrangement d’ailleurs à l’épigraphe du clip de « the storm is over now » (R. Kelly) dont le contenu est à peu près ceci : « en chacun de nous il y a une tempête. Certains croient qu’elle ne finira jamais : mais celui qui a la foi au Ciel d’en-haut résistera à n’importe quelle tempête ». On ne sait d’ailleurs pas s’il est l’auteur de ces très belles paroles, mais la notion de tempête est très équivoque ici : nous idéalisons tellement les artistes que finalement nous en faisons des êtres fragiles parce que ne correspondant à aucune existence concrète. Ils sont bien obligés de se comporter comme des anges alors qu’ils ne sont que des hommes. Certains se réfugient dans la drogue, d’autres dans la folie, et d’autres encore dans beaucoup de travers, et pourtant ils sont si merveilleux ! Si seulement la société pouvait voir en chaque artiste un être humain avec tout son fardeau de misère, de désirs inassouvis, de frustrations, de pression et de rancœurs, leur vie s’en porterait certainement mieux.

En méditant sur le cas de R. Kelly et de tant d’autres, on ne peut que consentir à l’évidence : derrière chaque étoile il y une infinité de planètes qui tournent et qui peuvent à tout moment heurter l’étoile ou entrer en collision entre elles. Pour nous résumer nous dirons de ce funeste destin de R. Kelly (s’il doit rester 30 ans en prison) qu’il est «‘‘mort’’ [au milieu d’un] en plein sourire » …

Alassane K. KITANE

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