SENTV : Bourses de sécurité familiale en panne de paiement, couverture maladie universelle à l’agonie, abris provisoires devenus définitifs : c’est dans ce pays que les autorités ont, comme des prestidigitateurs, sorti 43,4 milliards FCFA pour maintenir des familles dans la dépendance vis-à-vis d’un régime. Combien d’emplois pouvait-on financer avec cette manne financière ? Pendant ce temps, des milliers de jeunes se bousculent dans ces embarcations pires que les négriers pour aller vendre leur force de travail, leur dignité et leur humanité à une Europe qui les traite moins bien que des chiens. Ces hommes politiques ont une très médiocre idée de ce que doit être la bataille pour le développement. Nos autorités manquent cruellement de générosité, comme nous citoyens du reste, car comment un peuple soucieux de l’avenir de ses enfants peut supporter pareille injustice envers les jeunes ?
Il se dit que Macky Sall nourrit le projet sournois de se représenter aux élections de 2024, mais n’est-ce pas la preuve qu’il n’a jamais été motivé par le changement structurel du pays ? Un homme d’Etat sérieux sait que le plus flattant pour un chef d’Etat n’est pas le nombre d’infrastructures qu’il aura léguées à son pays, mais les transformations des consciences qui permettront à peuple de se comporter lui-même comme un vecteur de développement. Nous devons tous avoir mal, surtout ceux qui ont contribué à crédibiliser Macky Sall en tant qu’homme politique, car les actes qu’il ne cesse de poser prouvent qu’il n’est pas l’homme qu’il faut pour le Sénégal. Ce système de corruption est la énième preuve qu’il ne se sert du pouvoir que pour le pouvoir. En réalité il ne finance pas le développement, il finance la dépendance, ou pire, la sujétion électorale.
Sur ce point également notre classe politique ainsi que notre société civile manquent de courage et de responsabilité. Ce type de financement est forcément attaquable au niveau de la justice et ce, pour plusieurs raisons. La première est que les instruments de mesure qui permettent de choisir ceux qui méritent cette pseudo-aide n’ont aucune objectivité. Il y a forcément une ségrégation dans cette forme de discrimination positive. Un bon avocat dans des pays où il y a une société civile capable de faire une pression objective et sans concession sur le gouvernement, réussirait à faire infléchir les autorités sur cette question.
L’Assemblée nationale devrait également pouvoir demander au gouvernement des explications sur cette trouvaille qui n’a apparemment pas été prévue dans le vote du budget. La seconde raison est que les objectifs de développement tels que visés par le concept de budget-programme sont fortement hypothéqués par de pareilles mesures, certes populistes, mais sans impact sur le sort des populations. On ne peut pas agglutiner des politiques prétendument sociales sans jamais faire le bilan pour savoir si elles ont amélioré les conditions d’existence des couches défavorables de la société.
Une petite enquête révélerait à coup sûr des dérives politiciennes (car dans le cadre des bourses de sécurité familiale on a vu de véritables courtiers) ; ce qui devrait suffire à invalider cette pratique qui voit l’argent du contribuable aller dans la gestion d’une clientèle politique. On ne devrait pas laisser prospérer une telle pratique, car il y va de la pérennité de notre république et de notre démocratie : la mentalité d’assisté tue la foi en la capacité salvatrice de l’effort personnel et de la persévérance. On ne sort pas un peuple de la pauvreté en lui offrant la nourriture, c’est même irrespectueux, indigne.
La classe politique ne devrait pas non plus être en reste, mais tout le monde est frileux par démagogie : on ne veut pas dire aux électeurs des choses qui dérangent, quand bien même ce serait la vérité. Tout ceci montre la faiblesse et le caractère extraverti du débat politique dans notre pays. Les plus en vue préfèrent satisfaire la demande médiatique en parlant de problèmes politiciens, de généralités sur l’injustice que l’Occident fait subir à l’Afrique (c’est vrai que c’est moins risqué, plus facile et plus accrocheur) plutôt que de poser les vrais problèmes de gouvernance qui plombent notre pays. Tout le monde sait que la motivation de cette libéralité excessive n’est pas la solidarité, et que sa finalité n’est guère de sortir des pauvres de leur état. On cherche au contraire à les maintenir dans cet état en leur ôtant toute envie de se défaire de ceux qui en sont la cause.
Cette curieuse trouvaille de financement de la pauvreté est dans la même logique de non-sens politique qu’est la parité aux élections. Au lendemain de son institution par le régime de Wade, j’avais dit que cette initiative viole le principe de l’égalité entre les citoyens et du principe de la sélection par le mérite et la compétence. L’égalité est un principe moral et philosophique, pas une affaire de nombre.
En 1961, le Président américain John Fitzgerald Kennedy prit la décision jugée révolutionnaire (l’ordre exécutif n° 10925) d’obliger les programmes financés par le gouvernement fédéral de faire une « take affirmative action » (prendre une action affirmative) afin de s’assurer que les discriminations raciales et sexuelles soient congédiées de l’accès à l’emploi. Par la suite les Présidents Lyndon B. Johnson (executive order 11 246 du 24 septembre 1965) et Nixon (1969) ont continué cette discrimination positive ; et aujourd’hui encore la promotion des étudiants appartenant aux minorités dans l’accès aux universités, même si leurs résultats sont inférieurs, reste une forme de discrimination positive. Mais quel est l’impact réel de ces discriminations positives ?
Il faut souligner d’ailleurs que cette mesure avait été attaquée en justice par des citoyens américains qui pensaient, à juste raison, que cette discrimination positive était contraire au principe de l’égalité naturelle des chances. La notion d’égalité ne peut pas se ramener à une logique numérique, c’est une absurdité ! Faut-il d’ailleurs rappeler que la cours suprême des États-Unis a été amenée en 1978 à se prononcer sur la constitutionnalité de la notion de race dans l’accès aux universités ? C’est dire si le principe de la discrimination positive est loin d’être une affaire aisée et ce n’est qu’au Sénégal qu’une telle loi peut passer comme lettre à la poste. Certaines universités américaines (Californie, du Texas et de Floride) sont revenues sur ce programme en le supprimant, et ce n’est pas sans raison. Qu’est-ce qui nous garantit, en effet, que cette facilité offerte sur un plateau d’argent ne continue pas à creuser l’écart dans l’exigence de sacrifice et d’efforts entre les communautés ? Un noir qui sait que même avec moins d’effort que son concitoyen blanc, il a des chances d’entrer dans ces prestigieuses universités est-il tenu de se dépasser pour devenir plus fort ?
C’est la même question qu’on doit se poser avec ce système loufoque et anti-progressif de la parité. Avec cette discrimination positive, des femmes moins compétentes et moins populaires figurent en bonne place dans les listes électorales. Une société n’est pas divisible en communautés ou en genres qui rivalisent, elle doit être solidaire, soudée en ayant comme seul critère de sélection l’excellence, le mérite. A la place de la parité il fallait tout bonnement supprimer toutes les pesanteurs qui empêchent la promotion de la femme économiquement et socialement (en agissant sur le système des représentations). Il ne faut d’ailleurs pas s’étonner si demain certains pays qui ont encouragé le Sénégal à entretenir la loi sur la parité nous demandent de l’élargir aux prétendues minorités sexuelles !
Au regard de toutes ces considérations, il n’est pas injuste de suspecter la classe politique sénégalaise de s’entendre sur les faux débats, de s’occuper des débats purement formels qui occultent les vrais enjeux du pays. Au lieu de poser ces problèmes, nos universitaires, nos avocats et praticiens du droit préfèrent s’égosiller sur les décisions du Conseil constitutionnel (évidemment que c’est important) comme s’il n’y avait que ça. Peut-être que si on avait disserté avec la même rigueur et la même hargne sur la parité et le parrainage, les citoyens auraient été plus faciles à mobiliser pour stopper Macky Sall. Mais on a de plus en plus l’impression que dans ce pays chaque camp a sa lecture du droit, ses chroniqueurs télé, ses universitaires et techniciens du droit. Tous ont évidemment raison et ce, non pas parce que le droit est un sophisme où la norme de la vérité serait la relativité, mais parce que les méthodes et règles d’interprétation de la loi sont multiples. Mais personne ne commencera sa thèse en vous précisant la méthode d’interprétation qu’il a adoptée : on les verra donc bomber le torse, narguant le peuple comme si le droit était une science extraterrestre alors que les choses seraient plus claires si chacun, comme le font les mathématiciens, commençait par poser ses axiomes ou postulats de départ.
* Par Alassane K. KITANE