Sept (7) raisons de croire à un procès ridicule et à un verdict courageux du juge (Par Ndiaga Loum)

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SENTV : Sept (7) raisons de croire à un procès ridicule et à un verdict courageux du juge

1. La commande politique non livrée : Quel est ce seul pays au monde où une condamnation minimale à des peines de sursis ou d’amande pour le délit de diffamation pourrait invalider la candidature à l’élection présidentielle du leader de l’opposition? Sans aucun doute, le raisonnement du juge au moment de rédiger son verdict n’a pas été insensible à ce questionnement. Pour échapper au ridicule et préserver la dignité de sa fonction, il a fallu un peu de courage qu’il faut lui reconnaître en la circonstance, face à une accusation renforcée par un procureur qui ne « rougit » pas de zèle et d’effronterie en interjetant en plus appel, comme pour exprimer son insatisfaction, parce que la marchandise (l’invalidation de la candidature) n’a pas été livrée au commanditaire.

2. Les deux honneurs à sauver : Le juge avait deux honneurs à sauver : celui d’un ministre (monnayable à souhait, 200 millions pourquoi pas, pour celui qui a si peu de considération pour son honneur qu’il lui attribue une valeur strictement monétaire) et celui d’une corporation soumise à haute pression de l’autorité écrasante d’un exécutif revanchard. Il a préservé les deux avec une intelligence contextuelle. Car, il sait, il s’en est rappelé, il s’en est prévalu : la justice est rendue au nom du peuple. On nous dira, il ne faut pas le féliciter, il n’a fait que son travail et par ailleurs, la somme de 200 millions octroyés est sinon ridicule, du moins insensée. Ici, sous les tropiques, on est tellement habitué au pire que même le mal devient une source de satisfaction. Soit! Mais pour qui connait la pesanteur et l’emprise du pouvoir politique sur le judiciaire dans les démocraties bananières, là où les tentations de penser aux avantages que procure la proximité avec le Prince l’emportent souvent sur le sens des deux éthiques de la responsabilité et de la conviction, l’on apprécie donc à sa juste valeur le courage dont a fait preuve le juge en la circonstance.

3. Un problème de système mais surtout d’homme et d’examen de conscience : notre conviction a toujours été, que le problème de notre justice si décriée, est certes systémique, mais à un certain niveau, il est plus lié à la nature des hommes qui l’incarnent via certains postes prisés et qui se sentent obligés de « retourner l’ascenseur » là où devrait s’imposer à eux le « devoir d’ingratitude » (Badinter). Le déplacement du contentieux politique sur le terrain judiciaire est en fait un vrai piège pour les juges. Ces derniers devraient-ils refuser ce jeu qui n’est pas le sien et qui les expose à un déterminisme factuel et finalement cruel pour leur image : « amis des uns et ennemis des autres »? Lorsque les magistrats chargés de juger des contentieux impliquant des politiciens du pouvoir et de l’opposition se rendent au tribunal, ont-ils en tête leur serment (l’exigence de vérité due au peuple au nom duquel ils jugent)? Ou bien, ont-ils plutôt en tête leur objectif personnel de carrière avec des promotions en vue, ou mieux, l’instinct de préservation des positions déjà occupées? L’enjeu commande souvent de se soumettre à l’ordre politique ou de disparaitre. Que vous viennent alors au secours de votre conscience les mots du doyen Ousmane Camara qui, devant la Haute Cour de justice chargée de juger Mamadou Dia, affirmait ne faire que son devoir « sans être persuadé de la culpabilité de l’accusé ». « Lorsque la politique rentre au palais de justice par la porte, le droit sort par la fenêtre » disait l’autre. Le courage est une attitude, la soumission est un choix, l’indépendance reste une option, elle est sans doute celle qui nous préserve de l’arbitraire.
4. Le vrai procès est en attente : si nous étions dans un pays où la démocratie fonctionne normalement, le procès que vous auriez à faire en la circonstance, porterait sur le contenu du rapport portant sur la nébuleuse des 29 milliards du Prodac. Il ne porterait pas que sur un délit de diffamation consécutif à des propos allégués in re dans le débat politique, pour laver un hypothétique honneur du principal concerné dans la gestion des dits fonds publics. Étant bien entendu ici, que l’établissement du délit de diffamation n’efface pas la vérité des faits allégués. Ce qui explique d’ailleurs le parti-pris volontaire du procureur dans cette « affaire dite privée opposant deux citoyens », pour corser le dossier d’accusation en y ajoutant un délit « forcé» (l’injure publique) et un délit anticipé (le faux et usage de faux). Le courage et le sérieux du juge Keita, c’est aussi d’avoir écarté ces deux délits évoqués par le représentant du parquet agissant sans doute sous dictée de sa tutelle avec une insoutenable légèreté.  Ses collègues en appel et éventuellement en cassation, auront-ils le même courage en envoyant le message aux hommes politiques que leur contentieux doit d’abord se régler sur le terrain politique du débat public contradictoire et ensuite dans les urnes le jour des élections, seul moment de vérité en démocratie?

5. Le vrai honneur n’a pas de valeur pécuniaire : in fine, laver son honneur ici aurait plutôt consister à demander la publication d’un rapport estampillé confidentiel, surtout lorsque celui-ci est réputé, selon vos propres dires, vous avoir disculpé. Étrange paradoxe que celui d’une démocratie dite « authentique » qui place ses vérificateurs, ses policiers et ses juges au cœur d’un conflit dont les enjeux strictement politiques n’ont rien à voir avec les préoccupations originelles des prétoires. Et si demain, en cas d’une troisième alternance, les protagonistes changeaient de camp? Quid des sentiments de revanche et des désirs de repentance? Il est encore temps pour se ressaisir.

6. Le procès d’une opposition déjà persécutée : emprisonnements, inculpations, perquisitions, pressions, auditions, arrestations, information judiciaire, bracelets électroniques etc., voilà le quotidien des militants du parti Pastef. L’honnêteté intellectuelle commande d’en faire le constat. Dans ces affaires politiques juridiquement montées, trop de personnes ont souffert dans leur chair propre, leur vie privée et leur intimité violées à force de perquisitions, ballotées d’interrogatoire à interrogatoire, leur santé fragilisée et peut-être demain la mort, pour des raisons qui n’ont rien à voir en réalité avec les faits pour lesquels ils sont interpelés, mais pour des griefs inconnus jusque-là du dispositif législatif pénal: « délit d’amitié », « délit d’ambition », « délit d’appartenance à un camp ». Comme nous mourrons tous un jour, que nous rendrons compte personnellement, la question qui structure notre esprit dans tout ce que nous faisons, est d’abord et surtout d’ordre éthique :  pourrait-on continuer, sur ordre politique, à faire subir aux autres ce qu’on n’aurait pas supporté pour soi et ses proches?

7. L’impératif de penser à l’après pouvoir : Une expérience professionnelle parallèle à notre fonction principale de professeur d’université, nous a mené dans précisément 21 pays classés « post conflits ». Dans certains contextes, nous avons entendu dans la défense des juges, policiers et autres administrateurs soumis des anciens régimes défaits, ceci : « nous ne sommes pas responsables, nous ne faisions qu’appliquer des ordres ». Oui, mais dans l’échelle des chaines de responsabilités, l’absolution de celle de l’exécutant ne s’obtient pas par l’excuse de la contrainte imposée par le chef. Que le souvenir des cas exemplaires de la Tunisie, de l’Égypte, de la Côte d’Ivoire, du Libéria, puisse vous inciter à bien réfléchir avant d’exécuter aveuglément des commandes injustes d’une autorité politique qui peut en un temps record passer d’un palais (doré) à un autre (l’exil ou la mort) et livrer ses exécutants, ses obligés, au jugement immanent du peuple et irrémédiable de la postérité.
PS : A rebours d’arguties laborieuses d’apprenti-analyste, la judiciarisation systématique du contentieux entre politiques est bien un indicateur de l’entrée dans, ce que nous appelions en 2001, la « phase de transition régressive », autrement dit, le « désenchantement » démocratique (Gaxie, Sommier). Le point de bascule vers l’autoritarisme est proche, car la judiciarisation du contentieux entre politiques a pour but ultime de supprimer le conflit (moment de respiration démocratique) en instaurant la pensée unique. Dans une démocratie saine et vivante, tout en discutant de questions sérieuses, l’on se chamaille, l’on chicane, l’on s’apostrophe, l’on s’énerve et après l’on sympathise et rigole de nos différences si véhémentement exprimées. Dès qu’on passe à la phase de judiciarisation du conflit entre politiques, c’est qu’une partie est à court d’argument. L’on perd alors la lucidité, l’on devient méchant, l’on réprime les voix discordantes, l’on s’accroche à tout, y compris aux talons d’un cadavre néocolonial, résidu des poubelles de la Françafrique (Bourgi), porteur de mallettes auto-déclaré et « niqueur (selon ses propres termes) d’ancien premier ministre » (radié par ses pairs du barreau de Paris parce que renvoyant une « image violente, vulgaire et cynique, de nature à nuire à l’image de la profession »).
Ndiaga Loum, professeur titulaire, UQO

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