Dans notre précédente contribution (15 février 2018, mêmes sources), nous nous sommes appesanti sur la prolifération coûteuse des agences nationales, avec leurs contrats spéciaux qui constituent, pour notre pauvre pays, un énorme gouffre financier et un lieu de recyclage de clients politiques.
Les résultats d’une étude réalisée sur plus de 50 agences par le FMI à la demande des autorités étatiques en ont administré une parfaite illustration. C’est le Représentant Résident du FMI, M. Boileau Loko, qui a rendu compte de ces résultats lors d’un point de presse donné le mercredi 8 janvier 2014 (voir contribution susmentionnée). Deux ans après, il revint à la charge pour rappeler au président-politicien sa promesse ‘’de réduire de façon drastique les agences nationales’’. Ayant saisi l’opportunité que lui offrait l’édition d’octobre 2016 des perspectives économiques régionales en Afrique subsaharienne, il eut une rencontre d’échange avec des membres du Collectif des journalistes économiques du Sénégal (Cojes). Il commença par reconnaître les efforts faits par les autorités étatiques ‘’en matière de rationalisation des dépenses’’. Mais beaucoup reste à faire, poursuivit-il car, « Nous avons (encore) des agences créées et qui sont inefficientes. Ce sont des doublons. Nous estimons que pour la ‘’soutenabilité’ de la croissance sur une longue période, l’Etat doit supprimer ces doublons et ainsi contribuer à la rationalisation des dépenses fiscales. »
Loko prêche dans le désert : le président-politicien continue d’entretenir une multitude d’agences dont la plupart ne servent à rien, « sauf à payer des salaires doubles de ce qui est payé dans la Fonction publique». Il continue néanmoins de rappeler au président-politicien l’engagement qu’il avait pris à rationaliser ce secteur (des agences). Il poursuit ainsi son explication : « Les ressources des agences peuvent servir à financer le Pse, les dépenses sociales, les universités. Il ne faut pas chercher à protéger trois personnes au détriment de la population. C’est des ressources qui peuvent servir de façon efficace et de créer de la valeur ajoutée. » Il précise davantage sa pensée en ces termes : « On ne dit pas qu’il faut mettre les gens à la porte. On dit que si possible, il faut les réintégrer dans la Fonction publique en fonction de leurs compétences. On va même plus loin. On dit qu’il faut garder le niveau de salaire qu’ils ont dans les agences pour qu’ils ne se sentent pas frustrés». « A mon avis, poursuit-il, c’est important de réformer les agences et de restructurer les entreprises publiques qui ont besoin d’être restructurées. »
Avant d’aller plus loin, j’exprime mon désaccord avec le fonctionnaire international quand il suggère qu’on aille plus loin s’il le faut, « (en gardant) le niveau de salaire qu’ils ont dans les agences pour qu’ils ne se sentent pas frustrés ». Ce ne serait pas juste, ce serait prolonger les inégalités dans la Fonction publique. En évitant ainsi de les frustrer, on en frustre d’autres : les agents qu’ils trouvent sur place. Leurs salaires devraient être en rapport strict avec leurs compétences, avec leur capacité d’apporter de la valeur ajoutée. Un audit profond devrait déterminer qui doit rester et qui doit partir, en fonction des différents profils. Les nombreux agents qui ‘’n’ont rien dans le ventre’’ et qui sont payés à ne rien faire, devraient être purement et simplement remerciés, après leur avoir payé leurs ‘’droits’’.
Pour revenir à M. Loko, il aborde la question des recettes fiscales que le Sénégal devrait continuer à mobiliser, en élargissant notamment l’assiette ; en d’autres termes, en faisant payer l’impôt à tous les compatriotes qui y sont assujettis. Ce sera très difficile dans notre pays dont les principaux responsables des régies financières se sont jetés sans retenue dans la mare politicienne. En tous les cas, M. Loko affirme en s’en désolant : « Dans ce pays, il y a plus de gens aisés qui ne s’acquittent pas de leurs fiscalités (impôts) que de gens pauvres. Donc, injustice fiscale ! Parce qu’ils estiment n’avoir pas à payer d’impôts sous prétexte que leurs enfants et femme (s) sont à l’extérieur. Mais ils oublient qu’ils empruntent les routes et autres construites à partir de recettes fiscales. D’où l’importance de dénicher tous ceux-là qui tuent l’impôt (l’Etat). »
Ils n’oublient rien, ces prédateurs. Ils savent parfaitement qu’ils doivent payer l’impôt comme tous les autres, peut-être même avant les autres. Ils refusent de payer car ils connaissent bien ceux qu’ils ont en face. Même s’ils devaient payer, ils bénéficieraient de privilèges énormes, comme des remises et ‘’épongements’’ substantiels qui nous coûtent plusieurs centaines de milliards par an. Des milliards qui pourraient servir à construire nombre d’infrastructures et à baisser notablement le taux d’endettement qui nous entraîne de plus en plus vers le bas. Rien de vraiment étonnant quand on sait, qu’au Sénégal, de ‘’gros bonnets’’ du secteur privé sont conseillers spéciaux du président-politicien ; que d’autres sont proches des patrons des impôts et, d’une manière ou d’une autre, du Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan.
Rappelons que, avec l’accession du vieux président-politicien à la magistrature suprême, nous avons fait des pas géants en arrière. Les Socialistes défaits nous avaient laissé trois agences. Avant de quitter le pouvoir, le vieux président les a portés à plus de cinquante (50). Son successeur et sosie qui s’était engagé à les réduire de façon drastique, s’en est plutôt accommodé pour sa politique politicienne et électoraliste. De sorte qu’elles continuent de gonfler la masse salariale plus que de raison. S’y ajoutent des indemnités et autres avantages octroyés à la tête du client et de façon anarchique. Ce qui a eu pour conséquence de créer des frustrations insoutenables et de détraquer le système de rémunération du Sénégal qui était organisé, de façon stricte, par la Loi n°61-33 du 15 juin 1961 relative au statut général des fonctionnaires, notamment réactualisée en 2005. Cette loi organisait toute la vie professionnelle du fonctionnaire : recrutement, rémunération, évaluation et avancement, discipline (sanctions, récompenses, etc.), position (détachement, disponibilité, etc.). Elle est, aujourd’hui, royalement ignorée par nos gouvernants.
De nombreuses voix se sont élevées pour attirer l’attention sur la dégradation progressive du système de rémunération des agents de l’Etat. Ainsi, Mr Ali Mansoor qui dirigeait une mission d’inspection du FMI au Sénégal (du 24 avril au 7 mai 2015) faisait remarquer, à propos dudit système : « Le système n’est pas transparent parce qu’il y a un salaire et des indemnités qui ne sont pas fixées selon une règle connue. C’est-à-dire que c’est fort possible que des gens qui font le même travail pour l’Etat aient des rémunérations différentes, ce qui n’est pas juste. Tout le monde devrait avoir le même montant pour le même travail et il faudrait revoir la rémunération pour que le système soit soutenable et permette d’avoir assez d’espace pour le social, l’investissement dans le capital humain. »
D’autres partenaires techniques et financiers, ainsi que des lanceurs d’alertes de l’intérieur attireront l’attention de nos autorités sur ce caractère non transparent et manifestement injuste et inéquitable de notre système de rémunération. Finalement, n’en pouvant plus en particulier devant l’ébullition du front social qui fait rage et dont elles n’ont pas de solutions en vue, elles (nos autorités) finissent par se rendre à l’évidence. C’est d’abord le Ministre de la Fonction publique, du Renouveau du Service public et de la Rationalisation des effectifs (Mme Bompassy) puis celui de l’Economie, des Finances et du plan qui passent à table. Ce sera au tour de celui qui est buur et bummi de faire son ndëpp, son mea culpa à l’occasion du ‘’Forum national sur l’Administration’’ à Diamniadio. Il y déclarait sans ambages : « L’Etat va harmoniser le système de rémunération de ses employés, dans le souci de corriger les inégalités entre plusieurs secteurs d’activité, en matière de traitement salarial. Une décision sera prise pour tout remettre à plat. A un moment donné, il faudra tout harmoniser pour avoir une administration qui marche à la même vitesse ». Il reconnaît qu’ « une administration ne peut pas avoir des corps super-privilégiés et d’autres complètement sacrifiés ». Et c’est exactement le cas puisque, poursuit-il, « certaines catégories ont des avantages que d’autres n’ont pas, tout en ayant les mêmes profils et les mêmes ressources ». Cette situation injuste ne pouvant pas continuer, il révèle enfin « l’audit commandité par le Gouvernement dans le but d’équilibrer le système de rémunération des employés du secteur public ».
Cet audit a déjà déposé ses conclusions. Depuis lors, le président-politicien n’en souffle pas un seul mot. Les recommandations qu’il fait exigent, pour leur application, des mesures fortes qu’il n’a pas le courage de prendre. Des mesures fortes qui remettraient en cause les énormes privilèges sur lesquels lui-même, ses parents, ses beaux parents, ses camarades de parti, ses alliés à un moindre degré et nombre d’autres compatriotes accrochés à ses basques, sont confortablement assis. L’audit et ses recommandations resteront donc dans les tiroirs, comme nombre d’autres dossiers, jusqu’au-delà de février ou de mars 2019. Espérons qu’il revienne à un autre gouvernement, à des hommes et à des femmes neufs, d’en appliquer les recommandations. En attendant, je pense qu’en matière de système de rémunération des employés du secteur public, il faut tout remettre à plat. Et je me permettrai de dire modestement comment, dans ma prochaine et dernière contribution sur la question.
Dakar, le 19 février 2018
Mody Niang