SENTV : Dans l’application de la norme communautaire, le juge sénégalais du fond s’est érigé en véritable juge de droit commun tandis que l’office du juge du droit est souvent marginal, résiduel. Ce déséquilibre est source de difficultés tant pour le juge que pour le justiciable. Il urge d’y remédier.
I/ Le juge du fond, juge de droit commun dans l’application de la norme communautaire
« Les Traités ou Accord régulièrement ratifiés ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois sous réserve pour chaque Accord ou Traité, de son application par l’autre partie » (Art.98 Constitution Sénégalaise).
Cette règle fameuse de notre Charte Nationale consacre clairement la prééminence des normes communautaires adoptées par notre pays sur les lois nationales.
Le principe de primauté (de la norme communautaire) qui se dégage de cette règle s’est finalement étendu à la constitution ; ainsi que l’a relevé Monsieur le Conseiller Idrissa SOW en rappelant la position de notre Conseil Constitutionnelle sur la question.
Ainsi, les normes communautaires constituent un corpus de règles intégrées dans l’ordonnement juridique national.
Et à ce titre, elles sont appliquées par le juge national au même titre que la loi interne.
Cette insertion de la norme communautaire dans l’ordre juridique interne qui confère au juge national une compétence de plein droit est réalisée par le législateur communautaire à la faveur du principe de l’application directe.
• Le Traité de l’OHADA consacre bien ce principe magique quand, en son article 10, il énonce :
« Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans chaque Etat-partie nonobstant toute disposition nationale contraire ».
Les dispositions combinées des articles 6 et 43 du traité de l’UEMOA sont on ne peut plus claires : « Les actes arrêtés par les organes de l’union pour la réalisation des objectifs du traité… sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire ».
La Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance du code CIMA n’est pas en reste ;
En ses articles 99 et 279, le code CIMA d’Assurance rappelle le principe de l’application directe en ces termes :
« les dispositions des articles 1 à 98 et 200 à 278… s’appliquent sans délai aux nouveaux contrats »
Toutefois, à l’analyse, cette incorporation des normes communautaires dans l’ordre juridique interne met davantage à l’épreuve le juge du fond selon la volonté du législateur communautaire.
C’est ainsi que le Traité de l’OHADA dispose en son article 13 que « le contentieux relatif à l’application des actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats-parties » tout en précisant dans son article 14 que c’est la CCJA qui assure dans lesdits Etats, l’interprétation et l’application commune du Traité, des règlements pris pour son application et des Actes Uniformes ;
Cette attribution substantielle de compétence en faveur du juge national du fond, amène certains auteurs à considérer les juridictions de fond comme « des juridictions de première ligne » (Traité des Actes Uniformes commenté et annotés sous la direction de Joseph Issa FAYECH, Edition 2002)
Cette posture avant-gardiste du juge du fond apparait de manière claire et constante dans la distribution quotidienne de la Justice.
L’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Dakar le 16 Février 2001 en est une illustration éloquente.
Une société commerciale invoquait le droit de rétention du chef de sa créance impayée contre son débiteur qui lui avait confié par ailleurs du matériel de pêche.
Les premiers juges ont respectivement condamné l’emprunteur au remboursement de sa dette et la société prêteuse à la restitution du matériel, sous astreinte.
La société créancière a relevé appel du jugement.
La Cour d’Appel, examinant la question de droit posée souligna d’emblée que « les prétentions fondées sur le droit de rétention relèvent des dispositions de l’Acte Uniforme relatif aux suretés dès lors que les faits sont postérieurs à l’entrée en vigueur de ce texte, le 1er Janvier 1998. » Se référant à l’article 41 de l’acte uniforme susvisé, le juge du fond releva que les conditions posées par ce texte n’étaient pas réunies en l’espèce.
Il a, en définitive, confirmé le jugement querellé.
(CA DKR_ 16 Février 2001 Affaire MAREGEL / MBACKE_ OHADA_TA_J_121)
Ainsi donc, qu’elle s’exprime clairement ou en termes quelque peu ambigües, la norme communautaire doit recevoir application et le juge ne peut lui substituer une norme nationale.
Il applique la règle communautaire en tout état de cause.
La tache peut ne pas être aisée et le législateur communautaire en est conscient.
C’est ainsi que dans le système OHADA, il autorise le Juge du fond et lui seul, à demander l’Avis de l’organe de régulation que la communauté a mis en place, à savoir la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. (CCJA)
Aux termes de l’article 14 al2 du Traité Instituant l’OHADA, « la faculté de solliciter l’avis consultatif de la cour est reconnue aux juridictions nationales saisies en application de l’article 13 ci-dessus ».
Les cas de demande d’avis du juge national à la CCJA ne font pas légion.
Cette abstinence pourrait traduire chez le juge une assimilation parfaite de la règle communautaire ou un orgueil mal placé.
Il est quand même arrivé au juge sénégalais de demander à l’organe de régulation de l’OHADA, son avis sur une question de droit liée à l’application d’une norme communautaire.
A titre d’illustration, on peut citer cette demande consultative qui a généré le célèbre Avis N°01/2003/EP du 04 Juin 2003 rendu par la CCJA.
En application des dispositions combinées des articles 592 du COCC, 106 du même code et 47 du CPC sénégalais, la jurisprudence de nos cours et Tribunaux avait clairement consacré la compétence exclusive du juge des référés en matière de résiliation de bail commercial.
Hélas, l’avènement de l’acte Uniforme de l’OHADA sur le Droit Commercial Général a semé le doute dans l’esprit du juge national quant à la question de la juridiction compétente.
En effet, à la faveur d’une norme pour le moins ambigüe, le législateur communautaire est venu, selon le mot de Joseph DIOGBENOU, « rompre la stabilité prétorienne d’antan »
(Joseph DIOGBENOU – commentaire de l’Avis N°1/2003/EP du 4 Juin 2003 de la CCJA credo-multimedia.com.)
La norme incriminée de l’OHADA est l’article 101 de l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général notamment en ses alinéas 2 et 5 infine :
« À défaut de paiement du loyer ou en cas d’inexécution d’une clause de bail, le bailleur pourra demander à la juridiction compétente la résiliation du bail et l’expulsion du preneur et de tout occupant de son chef… » (Art. 101 al2)
« le jugement prononçant la résiliation ne peut intervenir qu’après expiration d’un délai d’un mois suivant la notification de la demande aux créanciers inscrits » (Art.101 al5 in férie)
En énonçant que la résiliation du bail est prononcée par un JUGEMENT, la loi communautaire a insidieusement crée, au sein de la juridiction sénégalaise compétente (le Tribunal Régional) un conflit interne de compétence entre le juge du fond et le juge des référés.
C’est dans ce contexte que le Président du Tribunal Régional de Dakar, par l’organe du Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a, le 28 février 2003, requis l’avis consultatif de la CCJA.
La demande d’avis portée par le Sénégal avait essentiellement pour objet d’amener la juridiction communautaire à déterminer, à titre principal, le juge compétent en matière de résiliation de bail commercial et accessoirement, le contenu de la notion de « JUGEMENT » dans l’Acte Uniforme.
Dans son avis N°1/EP/2003/ en sa séance du 4 Juin 2003, la Haute juridiction a renvoyé la question de la compétence aux législations des Etats parties tout en précisant que la notion de « jugement » devra être comprise dans son sens générique.
Elle s’est en effet déterminée en ces termes :
« Il incombe à la juridiction nationale, saisie d’une demande de résiliation de bail commercial, de rechercher dans les règles du droit interne de son Etat, si elle est compétente ratione materiae pour connaitre de ladite demande, étant précisé que le terme « jugement » est utilisé à l’alinéa 5 dudit article dans son sens générique et désigne toute décision de justice »
Ainsi, selon l’organe communautaire de régulation, le terme « jugement » peut parfaitement viser l’ordonnance rendue par le juge des référés si la législation de l’Etat partie consacre la compétence de cette juridiction.
Cet avis précieux de l’instance de régulation a eu pour effet de rétablir chez le juge national « la stabilité prétorienne d’antan »
Il convient toutefois de relever en le soulignant que l’avis de la CCJA n’est assorti d’aucune obligation de conformité ; le demandeur d’avis pourrait donc choisir de ne pas s’en prévaloir dans sa prise de décision.
Mais, cette attitude de défiance n’est pas permise au juge national dans la législation de l’UEMOA.
Ayant certainement circonscrit cette insuffisance qui entache la règle de l’avis consultatif, le législateur de l’Union Economique Et Monétaire a d’emblée opté pour la technique du recours préjudiciel auprès de la Cour de Justice qui, en tant qu’instance de régulation, « veille au respect du droit quant à l’interpellation et à l’application du Traité … et des actes pris par les organes de l’union » (Art.1, 5 et 12 du Protocole Additionnel N°1 relatif aux organes de contrôle de l’UEMOA).
A ce titre, son interprétation est obligatoirement requise par le juge national chaque fois que ce dernier doit statuer en dernier ressort, ce recours étant facultatif dans les autres cas. (Art. 12 al 2 du Protocole Additionnel N°1).
Et contrairement à l’avis de la CCJA, l’interprétation donnée par la C.J s’impose au juge national.
Cette obligation est clairement énoncée à l’article 13 du Protocole additionnel susvisé, qui précise : « les interprétations formulées par la cour de justice dans le cadre de sa procédure de recours préjudiciel s’IMPOSENT à toutes les autorités administratives et juridictionnelles dans l’ensemble des Etats membres ».
Et le législateur d’ajouter, dans un relent comminatoire, que « l’inobservation de ces interpellations peut donner lieu à un recours en manquement » contre l’Etat concerné.
Décrivant cet instrument de sanction, le juge Mouhamadou Mactar MBACKE énonce : « la commission (de l’UEMOA) est chargée de constater les manquements … pour y mettre fins.
C’est en dernier recours, qu’elle saisit la Cour (de justice) pour procéder, à toutes fins utiles, à l’authentification judiciaire de l’inconduite persistante relevée » (la Cour de justice de l’UEMOA son organisation, ses compétences et ses règles de procédure… EDJA 1999)
En dépit de ces quelques « garde-fous » conçus par le législateur communautaire pour prévenir les dérives, le juge national du fond demeure l’organe privilégié, le maître d’œuvre de l’application de la règle communautaire.
Pour rester fidèle à la formule consacrée par les glossateurs, il est incontestablement « le juge de droit commun de la règle communautaire »
Le juge du droit ne semble pas bénéficier du même traitement ;
Dans l’application de la règle communautaire, il apparait dans une certaine mesure comme un organe dépouillé de ses prérogatives, comme une juridiction aux compétences résiduelles, marginales.
II/ Le Juge du droit, un juge marginalisé dans l’application de la règle communautaire
Selon la législation communautaire issue du Traité de l’UEMOA, «la Cour de Justice de l’union veille (seulement) au respect du droit quant à l’interprétation et à l’application du Traité de l’union »
L’application de la norme supranationale dans les Etats parties obéit à l’ordre judiciaire national qui, ici comme ailleurs, consacre la prééminence de la juridiction de cassation ou juge du droit.
Cet état de fait prévaut également au sein de la Conférence des Marchés d’Assurance, organisation génératrice du code CIMA.
Mais le juge de cassation, juge de droit, régulateur et censeur, est tombé de son piédestal depuis l’avènement du Traité de Port Louis portant institution de l’OHADA.
Son sort est scellé par l’article 14 du Traité qui dispose sans ambages : «la Cour commune de justice et d’arbitrage assure dans les Etats parties l’interprétation et l’application commune du présent Traité, des règlements pris pour son application et des Actes Uniformes ».
Comme pour lever toute équivoque sur l’éviction du juge national de cassation, le législateur communautaire énonce : « saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etas parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes Uniformes et des règlement prévus au présent Traité à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales ».
Ainsi, la CCJA est la seule juridiction de cassation dans tout l’espace OHADA, en toutes matières soulevant des questions relatives à l’application des Actes Uniformes et des règlements prévus au Traité à la seule exception des décisions qui appliquent des sanctions pénales.
Il est donc formellement interdit au juge national de cassation quand il s’agit de la matière OHADA, d’exercer le métier qu’on lui connait : casser ou rejeter.
La situation est résumée par le Président MAIDAGI MAINASSARA par ce constat pathétique : « en ce domaine donc, il a été retiré aux juridictions nationales de cassation leur rôle régalien ». (MAIDAGI MAINASSARA. Premier Vice-Président de la CCJA_ philosophie de l’article 14 du Traité de l’OHADA : la Supranationale de la CCJA et l’incompétence de principe des cours suprêmes nationales dans les matières relevant du droit OHADA) (ERSUMA du 17 au 21 Septembre 2012).
Le juge sénégalais du droit s’est visiblement résigné.
L’arrêt qu’il a rendu le 09 Décembre 2013 dans l’affaire Hoirs Mamadou Oulé DIALLO / Société MTS et Ch. T. NDIAYE est un signe révélateur de cette soumission.
La société MTS représentée par Ch. T. NDIAYE et le sieur Mamadou Oulé DIALLO avaient conclu une promesse de vente par laquelle la société promettante s’obligeait à céder au bénéficiaire un immeuble de 4000m² moyennant un prix convenu.
Le bénéficiaire de la promesse ayant versé un acompte à hauteur des 2/3 du prix de vente, la société promettante était tenue dans un délai de six (6) mois, de parfaire la vente, ce qu’elle manqua de faire.
Monsieur DIALLO finit par saisir le Tribunal Régional de Dakar d’une demande en perfection de vente et en réparation du préjudice subi, sur la base des dispositions du COCC ;
Les défendeurs réclamèrent à leur tour, reconventionnellement, le paiement d’arriérés de loyers.
Par un jugement du 14 Avril 2006, le juge de première instance rendit sa décision qui fut loin de satisfaire les héritiers de Mamadou DIALLO, ce dernier étant décédé en cours de procédure.
Le jugement fut déféré à la censure de la Cour d’Appel par la ’Hoirie DIALLO.
Rendant son verdict, la juridiction d’Appel constata la résolution de la promesse de vente et condamna la MTS seule à restituer l’acompte versé par DIALLO.
Il débouta en revanche les héritiers DIALLO de leur demande en perfection de vente.
Au soutien du pourvoi en cassation qu’ils formèrent devant la Cour Suprême, les héritiers DIALLO développaient deux moyens tirés de la violation de la loi et de la dénaturation des faits.
Les 1ere et 2e branches du premier moyen visaient la violation des articles 382, 118, 119 du COCC et très accessoirement, celle de l’article 161 de l’Au/ DSC_ GIE.
Au détour de deux « attendus » des plus sommaires, la Haute Cour déclina sa compétence et renvoya la cause et les parties devant la CCJA.
En effet, après avoir rappelé les prescriptions des articles 14 et 15 du Traité de l’OHADA, elle se prononça en ces termes :
« … Attendu que le premier moyen, en sa seconde branche, met en œuvre l’application et l’interprétation de l’article 161 de l’Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE ;
Qu’en conséquence, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ».
La supranationalité de la CCJA aux dépens des juridictions nationales de cassation devient encore plus prononcée à la lumière de l’article 16 du Traité.
« la saisine de la Cour commune de justice et d’arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée… »
Et le législateur de préciser : « une telle procédure ne peut reprendre qu’après arrêt de la cour commune incompétente pour connaitre de l’affaire »
Il est donc clairement énoncé que même lorsqu’il agit dans le domaine qui lui est réservé, le juge national de cassation est automatiquement dessaisi de l’affaire dès qu’un élément de celle-ci est porté devant la CCJA et sa propre procédure est immédiatement suspendue !
Ainsi, comme l’oiseau de Minerve, il ne reprendra son vol qu’à la tombée du jour quand la Cour commune le déliera par un arrêt d’incompétence.
La Haute juridiction communautaire a déjà eu l’occasion de rappeler cette règle hégémoniste à l’endroit du juge sénégalais de cassation.
L’affaire SONATEL / Société D’exploitation De La Clinique Sokhna Fatma est assez illustrative.
En réponse à une exception d’incompétence soulevée par le défendeur au pourvoi qui invoquait la procédure antérieurement pendante devant la cour de cassation de notre pays, la juridiction communautaire s’est prononcée en ces termes :
« Attendu qu’il ressort de l’analyse de l’article 16 sus énoncé du Traité susvisé que contrairement à ce que soutient la clinique Sokhna Fatma, la saisine de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée, même si la saisine de la juridiction nationale est antérieure à celle de la cour commune de justice et d’Arbitrage et que ladite juridiction nationale ne peut reprendre l’examen de la procédure que lorsque la CCJA se sera déclarée incompétente pour connaitre de l’affaire ; qu’en l’espèce, bien que le pourvoi en cassation formé devant la cour de cassation du Sénégal soit antérieur à celui introduit devant la Cour de Céans, il incombe à la Cour de cassation du Sénégal de suspendre l’examen du pourvoi en cassation engagé devant elle jusqu’à ce que la Cour de céans se prononce sur le présent recours introduit devant elle ; qu’il s’ensuit que l’exception de litispendance soulevée par la Clinique Sokhna Fatma n’est pas fondée et doit en conséquence être rejetée ; »
On peut le dire tout net : l’avènement de l’OHADA a fait du juge national de cassation un juge en mal de compétence.
Dans l’application de la règle communautaire, il occupe un domaine résiduel et exerce une compétence marginale.
En effet, selon les termes du Traités, dans la matière OHADA notre juge de cassation ne peut connaitre que des décisions appliquant des sanctions pénales » (Art.14 al3).
Le Traité contient donc des dispositions consacrant des incriminations pénales ; mais il appartient aux juridictions nationales des Etats parties de déterminer les sanctions pénales appropriées pour chaque incrimination.
Le principe est posé par l’article 5 du Traité qui dispose :
« les Actes Uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale.
Les Etats parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ».
C’est ainsi que l’acte Uniforme sur le droit des sociétés commerciales et du GIE prévoit en son article 891, que l’abus de biens sociaux est une incrimination pénale.
Mais la peine applicable est déterminée par le juge du fond et il appartient à la juridiction de droit de vérifier la bonne application de la règle.
Ici, il retrouve son « rôle régalien » de juge et de régulateur.
Dans ce domaine tout de même exigu de l’application des sanctions pénales, le juge du droit est maitre de l’ordre judiciaire national :
« Charbonnier est maitre chez soi » !
Hors du domaine de la sanction pénale, le juge national de cassation ne peut espérer qu’une compétence subsidiaire née de l’incompétence de l’instance communautaire.
L’application de la règle communautaire place bien souvent le juge sénégalais dans une situation frustratoire, grosse de difficultés.
III/ Les difficultés dans l’application des règles communautaires par le juge sénégalais.
La supranationalité de la CCJA et sa compétence quasi absolue ont secrété quelques difficultés auxquelles le juge national demeure confronté.
Le partage de compétence en matière pénale entre l’incrimination et la sanction, prévu par le Traité de Port Louis est d’application peu commode.
Laisser l’appréciation de la règle d’incrimination à la juridiction communautaire et celle de la norme de sanction au juge national engendre inéluctablement une dispersion du procès source de disfonctionnement et de lenteurs.
La difficulté que présentent les litiges dits mixtes (qui impliquent l’application de normes communautaires et de règles de droit interne) est exacerbée par le pourvoir d’évocation de la Cour communautaire (Art.14 alinéa 5 du Traité).
Or, il est évident que si l’organe de régulation a le monopole et la maitrise de l’interprétation du droit communautaire, tel n’est pas le cas en ce qui concerne le droit interne des Etats parties.
Au demeurant, force est de reconnaitre que les juridictions nationales de cassation sont mieux outillées que la juridiction supranationale pour interpréter le droit interne.
Il n’est donc pas surprenant de voir au sein de la communauté, une juridiction nationale entrer en rébellion en se déclarant « plus » compétente que la cour communautaire.
Le cas du juge Nigérien dans la célèbre affaire SNAR LEYMA / Groupe HIMA SOULEY n’est qu’une illustration du malaise de toute juridiction nationale de cassation de l’espace OHADA ;
Le juge sénégalais qui, visiblement, a pris le parti de la soumission avait déjà montré des signes de défiance.
A titre d’illustration on peut citer deux arrêts que la 2e CH CIV & COM de la Cour Suprême de notre pays a rendus le même jour.
– Arrêt N°_36 du 19/01/05 : affaire Jamal SALEH / SOCIETE ULMAN
– Arrêt N°_ 37 du 19/01/05 : affaire Ahoune BABOU / Mbacké DRAME.
(Chronique OHADA_biblio.ohada.org)
Dans chacune de ces affaires, le demandeur au pourvoi avait présenté deux à trois moyens de cassation tirés de la violation de textes de droit interne et de règles de droit harmonisé de l’OHADA.
Le sieur SALEH invoquait à l’appui de son pourvoi la violation des articles 30, 264 du COCC et 202 de l’AU/DCD.
Quant au sieur DRAME, il faisait grief au juge d’appel d’avoir violé les articles 32 du code de procédure civile et 101 de l’AU/ DCG ; il dénonçait également une insuffisance de motifs.
Statuant sur chacun de ces recours, la Haute Juridiction de notre pays :
– S’est déclarée incompétente pour connaitre des moyens relatifs à l’application d’un Acte Uniforme.
– a ordonné le sursis à statuer sur les moyens ayant traits aux règles de l’ordre juridique interne.
– a renvoyé l’affaire devant la CCJA sous le visa des articles 14, 15 et 16 du Traité de l’OHADA.
Or, il est maintenant clair qu’à la lumière des textes ainsi visés, l’instance communautaire ne saurait souffrir un partage de compétence dans une affaire où il est question de l’application d’une norme de l’OHADA.
Au demeurant, à la lumière de l’arrêt rendu dans l’affaire Hoirs Mamadou Oulé DIALLO/ MTS, on constate que le juge sénégalais est pour ainsi dire, rentré dans les rangs.
Il faut seulement espérer que cette belle discipline communautaire ne soit pas observée dans un relent de dépit.
Et si aucun remède n’est apporté pour endiguer le désœuvrement du juge national de cassation, il est fort à craindre que demain, à l’image de son collègue nigérien, il prenne le chemin du maquis pour exprimer un trop plein de frustration.
Quelques pistes de solution peuvent être proposées.
CONCLUSIONS
Des réaménagements s’imposent pour corriger l’omnipotence de la CCJA et son lot d’inconvénients.
Dans l’ordre judiciaire interne, le juge national de cassation doit retrouver son « rôle régalien » de juge du droit et de régulateur.
Dans le même ordre d’idée, l’introduction du recours préjudiciel dans le processus de distribution de la justice communautaire suffirait à effacer les risques de disparités d’interprétations de la norme communautaire.
La proposition est d’autant plus tentante que le procédé a connu un succès expérimental dans des organisations communautaires comme l’UEMOA et la CEMAC.
Il s’y ajoute que la formule de la question préjudicielle aura la vertu salutaire d’enrayer le manque de moyens techniques du juge communautaire dans certaines matières.
Elle aura également pour effet de résoudre le lancinant problème lié à la (longue) distance entre les justiciables et la juridiction communautaire établie là-bas à ABIDJAN et dont la saisine est quand même très couteuse.
L’affaire Hoirs Mamadou Oulé DIALLO citée plus haut est restée trop longtemps en souffrance sur les bords de la lagune Ebrié ;
Dans ce registre du coût de la justice communautaire et de sa lenteur, aucune offre de solution ne sera de trop pour alléger ou abréger la souffrance des justiciables communautaires.
L’idée de création d’une Chambre Communautaire de Mise en Etat auprès de la Cour Suprême de chaque Etat-parti me parait intéressante, en attendant de réussir le pari de la dématérialisation.
Il s’agira d’une structure sans pouvoir juridictionnel, chargée de recevoir les recours, les mémoires et dossiers, de clôturer les débats et d’acheminer le tout à la Cour Commune
Ces esquisses de solution passent naturellement par une réforme du mythique article 14 et des textes connexes du Traité de l’OHADA.
L’accès à la Justice communautaire est un droit pour tout justiciable de la communauté.
Son caractère onéreux n’encourage guère les moins nantis.
Cet état de fait ne correspond nullement à l’idéal de justice et de démocratie que prônent toutes les instances communautaires.
Depuis l’époque des hiéroglyphes, la justice est symbolisée par la balance : elle est équilibre.
La justice communautaire doit être et demeurer non pas une justice pour riches mais une justice pour tous.
Dakar, le 14 Juin 2021
Me Ndéné NDIAYE
Tribune