Une nouvelle structuration de la chaîne de valeur de l’oignon s’impose afin de garantir un approvisionnement fiable tout au long de l’année.
SENTV : Presque chaque année, le Sénégal fait face à une pénurie d’oignons qui entraîne inévitablement une inflation des prix de ce légume. Depuis plusieurs jours, le prix d’un kilogramme d’oignons atteint près de 1500 ou 2000 FCFA, voire plus, sur nos marchés. Avec le niveau de pauvreté qui prévaut dans notre pays, de nombreux foyers ne pourront pas se permettre d’acheter quotidiennement ce légume, qui est largement consommé au Sénégal.
L’oignon constitue l’un des légumes majeurs que nous aimons quotidiennement cuisiner et intégrer à nos plats. Selon certaines statistiques, le pays produit environ 460 000 tonnes d’oignons chaque année. Bien que cette quantité soit suffisante pour couvrir la demande annuelle, il est difficilement acceptable que le Sénégal se trouve confronté à une pénurie chaque année. Cette situation de déficit met en évidence une désorganisation dans le secteur et un manque de coordination entre les acteurs de la filière. De plus, cette pénurie cyclique s’explique manifestement par un déficit d’initiatives anticipatives et de prospectives de la part des décideurs.
Le gel des importations n’a pas jusqu’ici empêché les pénuries récurrentes et la hausse des prix. En raison de l’insuffisance d’infrastructures de stockage adéquates, il est évident qu’une partie de la production non écoulée se dégrade dans les champs et les entrepôts. En outre, les effets du changement climatique ont un impact sur la production agricole mondiale, y compris aux Pays-Bas, d’où l’oignon est massivement importé, qui subissent également les conséquences climatiques. Et cela risque de s’aggraver dans le futur. Les répercussions des aléas climatiques ne se limiteront pas seulement à l’oignon, elles pourraient également perturber la chaîne d’approvisionnement mondiale des produits alimentaires dans les années à venir. Par conséquent, il est impératif d’œuvrer en vue d’assurer une production alimentaire adéquate et suffisante pour subvenir aux besoins de la population.
L’Agence de régulation des Marchés (ARM) semble ne pas disposer de bonnes stratégies ainsi que les outils nécessaires pouvant lui permettre de collecter les informations essentielles en vue d’agir efficacement pour maîtriser la filière, normaliser le marché et contribuer à stabiliser les prix. Actuellement, elle semble éprouver des difficultés pour contenir les mécanismes du marché. L’importation rapide de milliers de tonnes d’oignons en provenance de l’étranger ne représente qu’une mesure provisoire et de court terme face à une pénurie enracinée structurellement.
La structure globale de la filière, depuis la production jusqu’au stockage en passant par la commercialisation destinée à la consommation, doit être réévaluée et révisée. Le gel des importations ne devrait pas être effectué de manière périodique, mais plutôt en fonction des quantités d’oignons disponibles pour les 3 à 4 mois à venir, ainsi que du gab à combler pour répondre suffisamment à la demande locale. De plus, il est important de prendre en considération à la fois la quantité de production locale et de consommation à l’échelle nationale, ainsi que les volumes d’exportation, en particulier par voie terrestre. Cela exige une parfaite maîtrise des circuits de production et de distribution par le régulateur principal.
L’ARM pourrait jouer un rôle central dans la régulation des filières si elle disposait de bonnes stratégies, de ressources adéquates et d’une gestion rigoureuse, soutenue par des moyens appropriés. De plus, pour une coordination accrue du secteur, il est primordial que l’Agence de régulation des Marchés (ARM) puisse posséder son propre système fiable de collecte d’informations en temps réel sur la situation du marché local et sur les quantités consommées. L’importation de ce produit et tant d’autres denrées alimentaires de base entraîne sans aucun doute des pertes significatives de devises. C’est pourquoi l’État ne devrait pas se désengager du secteur de l’approvisionnement alimentaire, en particulier en ce qui concerne les produits hautement stratégiques largement consommés au niveau national tels que les oignons, le riz, la farine, l’huile, etc. Bien que le secteur privé joue un rôle crucial, l’État doit également jouer un rôle plus actif dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pour mieux réguler le marché et maîtriser les prix, afin de préserver le pouvoir d’achat des ménages et d’éviter les spéculations excessives et irresponsables. En tant que régulateur, il est également impératif qu’il agisse en tant qu’acteur du marché en investissant dans la mise en place d’infrastructures de stockage et même dans la commercialisation. Dans un pays en développement avec une économie fortement tributaire de l’extérieur, l’État devrait se positionner en tant qu’entrepreneur afin de stimuler les filières stratégiques et de dynamiser le marché intérieur.
Il est essentiel de développer et de construire des infrastructures de stockage pour les produits alimentaires. Ces Unités de stockage devraient être réparties sur l’ensemble du territoire afin d’assurer un approvisionnement continu tout au long de l’année. Cette tâche ne doit pas être la seule responsabilité du secteur privé ; l’engagement de l’État est nécessaire. Pour réduire les coûts, l’énergie solaire, largement disponible dans notre pays, pourrait être utilisée pour alimenter les chambres froides de stockage à moindre frais.
Au-delà du stockage, il est nécessaire de développer et de promouvoir des techniques de transformation pour les oignons et autres produits alimentaires, afin de réduire les pertes après la récolte.
Dans l’objectif d’améliorer la qualité des oignons locaux, un investissement substantiel dans la formation et le soutien des producteurs est requis. De même, il est crucial d’améliorer les techniques de culture et d’utiliser des engrais appropriés. Dans ce contexte, l’engagement actif de l’État demeure indispensable. Les organes de l’Etat concernés doivent intensifier leurs efforts en encourageant de nouvelles approches rigoureuses basées sur les meilleures pratiques, afin d’accroître le rendement des terres et d’améliorer la qualité de la production locale.
Dans un autre contexte, il serait souhaitable de réexaminer nos habitudes alimentaires et de limiter la consommation de certains aliments ou légumes pour lesquels le pays ne dispose pas de capacités de production suffisantes.
Enfin, il conviendrait de promouvoir et de renforcer les investissements dans la recherche scientifique dans le but de développer des nouvelles techniques de culture vivrière et de production alimentaire variée, assurant ainsi la sécurité et l’autonomie alimentaire du pays.
Babacar Ndiogou
Membre cercle des Cadres Alliance pour la citoyenneté et le Travail (ACT)