Il semblerait que Dieu ait créé le temps pour rendre l’humanité humble avec elle-même. Car, au-delà de la mise à l’épreuve que constitue son passage, qu’il s’écoule à cadence infernale souvent excitante ou par une lente marche ressemblant parfois à de l’ennui, toute réflexion sur ce cadre universel et insurmontable qu’est le temps pousse la conscience à conclure que si toute chose ne peut survenir que dans un temps donné, beaucoup de solutions à nos problèmes ne sont élaborées faute de temps.
L’obsolescence programmée
Prenons l’exemple de l’obsolescence programmée, sur laquelle s’est développée la civilisation industrielle moderne. Pour rappel, l’obsolescence programmée consiste en ce que les produits industriels, fabriqués à la chaîne, possèdent une durée de vie limitée. Ceci afin d’obliger, entre autres, le consommateur à se procurer un nouveau produit, généralement dans la gamme suivante.
A la réflexion, bien qu’il soit devenu à la mode, pour des raisons louables notamment liées à l’environnement et au pouvoir d’achat, de critiquer toute entreprise se basant sur ce mode de fonctionnement, il ne pouvait en être autrement. Peut-être même que la férocité actuelle de la concurrence actuelle oblige à ne pas s’en séparer, contrairement à ce que préconise la législation en vigueur depuis 2015.
Car en réalité, une usine, cherchant à faire le plus d’économies possible en organisant une chaîne de production se construisant sur la durée, met en place une logistique complexe qui elle-même a des incidences sur son environnement même (sous-traitants, distributeurs, réseaux de communication physiques ou dématérialisés…). Autrement dit, une puissante structure, occupant la vie de centaines, voire de milliers d’hommes, se crée et, par « diachronicité », surimpose à un monde plus vieux des nouveautés spatiales quasiment irrémédiables. Or, cette nouvelle implantation économique ne peut que disparaître du jour au lendemain en causant de sérieux dommages sociaux (chômage) et économiques (non profitabilité) si une obsolescence programmée n’avait été imaginée afin que les outils et les hommes soient continuellement utilisés pour concevoir les nouveaux biens répondant aux besoins des victimes de la fin de vie de leurs achats. D’autant que l’acheteur n’achète finalement, plus que le produit lui-même, qu’un temps plus ou moins fini d’utilisation.
Et si celui-ci avait une durée de vie infinie, son prix en deviendrait logiquement exorbitant afin que la structure puisse se défaire et se reconstruire en une autre organisation de manière économiquement et écologiquement viable…
Cet exemple qui illustrerait en quoi le temps est indomptable, même en économie, nous impose l’humilité qui doit être nôtre lorsque l’on critique les activités humaines telles qu’elles ont eu lieu dans l’Histoire, bien qu’elles impliquent indéniablement des conséquences plus ou moins graves. Ce qui n’implique surtout pas que des solutions ne doivent être trouvées (l’une d’entre elles pouvant se situer pour ce qui est de l’obsolescence programmée dans l’économie de fonctionnalité défendue notamment par Nicolas Hulot).
Le temps politique
Prenons un autre exemple, cette fois en rapport avec la politique immédiate. Un autre effet de mode que celui de la mise à mal de l’obsolescence programmée réside dans l’intransigeance des critiques et l’attente impatiente exprimées par les foules vis-à-vis de nos élites politiques, surtout du président de la République qui devrait presque, selon la rumeur populaire, être l’homme providentiel devant sauver la France.
L’actuel locataire de l’Elysée base actuellement son discours sur le temps long et les résultats de sa politique qu’il laisserait forcément apparaître. Mais en réalité, François Hollande, comme tous ses pairs, reste d’abord arc-bouté à ce que l’illustre historien Fernand Braudel appelait le « temps individuel », celui lié à l’histoire évènementielle qui, aujourd’hui, nous tient quotidiennement en haleine par l’entremise des médias. C’est que les masses citoyennes se déterminent d’abord sur des questions de pouvoir d’achat et d’emplois, voire, par les temps qui courent, de sécurité. La peur du chômage est le seul horizon pour tous. Et l’absence de résultat dans la lutte contre ce fléau vaut un « anti-satisfecit » généralisé et immédiat.
Ainsi donc, il est demandé à un homme, le temps d’un quinquennat, ce qui correspond, si l’on prend en compte l’espérance de vie des Français, à un peu plus de 5% d’une existence (et moins dans le cas où ce pourcentage serait défini à partir de la durée moyenne de la vie active), de trouver des solutions immédiates à un problème de fond qui touche le pays depuis des dizaines d’années. Etat de fait plus prégnant encore à l’approche des présidentielles de 2017, tout concurrent à la succession de François Hollande ne peut promettre que monts et merveilles dans ce domaine s’il souhaite être élu.
Mais la qualité de la démocratie libérale est aussi son défaut. Ne laissant qu’un temps extrêmement limité aux dirigeants élus pour mettre en pratique leurs solutions, elle voit se succéder des équipes qui défont parfois les politiques menées par leurs prédécesseurs provenant du bord partisan opposé. Ainsi de la TVA sociale de Nicolas Sarkozy aussitôt annulée par François Hollande en 2012, pour être ensuite, en plusieurs mesures, réintroduite (hausses successives de la TVA, CICE, Pacte de responsabilité qui, ensemble, ressemblent à s’y méprendre à la décision prise à la fin du précédent quinquennat). Il est pourtant dit que François regretta sa décision d’abrogation de la TVA sociale…
Cet exemple nous montre que la démocratie, qui est le moins mauvais des régimes politiques, est aussi celui qui supporte le moins l’épreuve du temps long. A elle seule, sans une culture spécifique, une certaine spiritualité et/ou une morale définie, elle ne pousse pas les hommes sous sa gouvernance à la recherche de la vertu, c’est-à-dire à la prise de conscience de la lenteur nécessaire au changement vers le Mieux.
Conclusion : l’importance de l’Histoire
C’est pourquoi, en France notamment, l’Histoire est importante : elle seule peut nous inculquer les leçons des temps anciens nécessaires à l’affrontement de l’épreuve de l’avenir, proche ou lointain, tout en instillant dans les esprits une certaine profondeur, voire une certaine sagesse. Or, comme notre monde contemporain se caractérise avant tout par son rétrécissement inédit dû à la mondialisation en cours, l’enseignement qui devrait être donné de cette discipline à l’école devrait se baser sur le développement pluriséculaire de ce phénomène, y compris dans la périodisation utilisée.
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